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Etudier, travailler, écrire : ces détenus qui brillent à l'ombre

Le plus ancien prisonnier de France, Philippe El Shennawy, a passé plusieurs diplômes durant ses trente-huit ans de détention. Et son cas est loin d'être exceptionnel.

Article rédigé par Louis San
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Remise de diplômes aux détenus de la maison d'arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone (Hérault), le 12 avril 2011. (  MAXPPP)

La justice a accepté, mercredi 22 janvier, de libérer Philippe El Shennawy, le plus ancien détenu de France. A 59 ans, il a passé trente-huit ans en prison. Au cours de ces années, il passé plusieurs diplômes : baccalauréat, licence d'histoire, deux diplômes d'informatique, un d'histoire de l'art ou encore un CAP pâtisserie, a énuméré Le Monde, en 2012.

Francetv info revient sur les projets menés par des détenus de longue durée alors qu'en France, "le nombre de détenus effectuant une peine allant de vingt à trente ans de prison a été multiplié par 3,5 entre 1996 et 2006", indiquait l'administration pénitentiaire, rapportait La Croix, en 2009.

Etudier

"Un grand nombre de détenus ont un niveau d'étude assez faible, explique à francetv info François Korber, responsable de l'association Robin des lois qui milite pour de meilleures conditions de détention. En effet, "plus d'un quart des détenus sont illettrés ou éprouvent des difficultés à lire, et près de la moitié n'ont aucun diplôme", selon un rapport de l'Observatoire international des prisons sur les conditions de détention en France, en 2011.

Il existe des structures qui viennent en aide aux détenus. C'est le cas de la section des étudiants empêchés de l'université Paris 7-Diderot. Elle aide notamment à préparer un diplôme d'accès aux études universitaires (DAEU), un équivalent du baccalauréat, et une licence de lettres modernes, à Poissy (Yvelines). "Les étudiants qui sont en prison sont très assidus. Nous n'avons jamais eu de problèmes. Cela se passe même mieux qu'avec des étudiants classiques", indique la section à francetv info.

Les régions Aquitaine et Pays de la Loire ont mis en place des formations au sein d'établissements pénitentiaires qui se trouvent sur leurs territoires, a indiqué le quotidien régional Sud Ouest, en novembre 2013. Autre exemple, plus ciblé, à la prison de Nanterre (Hauts-de-Seine). Là-bas, les détenus peuvent suivre des cours pour obtenir un diplôme initial de langue française, un certificat de formation générale (CFG), niveau collège, le brevet des collèges, un BEP ou encore un bac pro compatibilité.

La bibliothèque de la maison d'arrêt de Douai (Nord), lors de son inauguration, le 15 novembre 2013. (  MAXPPP)

L'art. L'avocat de Philippe El Shennawy explique à L'Express que, grâce à ses études et notamment à son diplôme en histoire de l'art, son client a décroché "un poste de cadre. Il sera chef de projet, coordinateur technique pour une société dans l'événementiel culturel".

Lors de son séjour en prison, Philippe El Shennawy a organisé une exposition à la prison centrale de Poissy en reproduisant des œuvres du Louvre. L'événement était inédit car, comme l'indiquait alors Le Parisien, en 2011, "ce sont les détenus qui ont choisi les œuvres exposées et les ont accompagnées d'un texte rédigé au cours d'ateliers d'écriture" animés par un écrivain.

L'histoire. Il y a aussi le cas particulier de Philippe Maurice. Ce dernier a été le dernier condamné à mort de France. C'était en mai 1981. Mais il a finalement échappé à la guillotine avec l'élection de François Mitterrand et l'abolition de la peine capitale qui a suivi, quelques mois plus tard.

Il est libéré en 2000, mais a profité de ses vingt-trois années de prison pour étudier. Il réussit de brillantes études d'histoire. Obstiné, il apprend notamment le latin et l'occitan pour accéder aux textes anciens, rapporte le magazine spécialisé L'Histoire. Au milieu des années 1990, il obtient un doctorat d'histoire médiévale. Aujourd'hui, il est historien et chercheur au CNRS. Il enseigne notamment à l'Ecole des hautes études en sciences sociales.

Philippe Maurice, historien spécialiste de l'époque médiévale au CNRS, et dernier condamné à mort en France, en 2012. (FRANCK BELONCLE / PRISMAPIX / AFP)

"A un moment, je me suis rendu compte qu'il y avait en moi une haine très forte et qu'il convenait que je m'en débarrasse, et je me suis rendu compte qu'au niveau d'études où j'étais arrivé, les études allaient peut-être pouvoir me servir à quelque chose", a-t-il raconté dans un entretien à la revue Labyrinthe, en 2005.

Pour François Korber, le parcours de Philippe Maurice est "extraordinaire, un exemple de réinsertion parfaite. Et de préciser : "C'est un cas médiatique mais il y en a de nombreux autres, anonymes."

Travailler

Jamel Hamma a été condamné à une peine de trente-cinq ans de prison. Mais il a le statut d'auto-entrepreneur et a fondé sa marque de maroquinerie. Laurent Jacqua, lui-même ancien détenu, lui donne la parole sur son blog hébergé par Le Nouvel Observateur. "Je réalise moi-même et seul chaque création, de l'ébauche à l'aboutissement du produit. Je crée, je trace, je coupe et je prépare en cellule de midi jusqu'à tard le soir. J'assemble et je couds à l'atelier [de la prison]", raconte le chef d'entreprise.

Au Texas (Etats-Unis), un couple de professionnels du commerce, Catherine et Steve Rohr, ont eu l'idée de transformer des gangsters en businessmen, racontait Rue89 en 2008. "Qui, mieux qu'un chef de gang ou un dealer, sait prendre des risques, gérer des employés, faire tourner les affaires ?" résumait Catherine Rohr. Avec son mari, ils ont lancé un plan de formation pour les détenus en fin de peine. Ainsi, entre 2004 et 2007, 41 d'entre eux ont lancé leur propre entreprise.

Créer

Peindre. Gaspare Mutolo est un ancien tueur à gages. Il a commencé à peindre en 1983 lorsqu'il purgeait une longue peine dans la prison de haute sécurité de Florence, en Italie, raconte Culturebox. Il a expliqué dans de rares interviews avoir commencé par ennui, "parce que les journées passaient très lentement". Il a appris en observant un autre détenu.

S'il vit aujourd'hui dans un lieu secret, sous le régime de protection spéciale accordé aux "repentis" de la mafia, cela ne l'empêche pas d'exposer. Et de vendre : entre 400 et 1 300 euros la toile.

Un visiteur devant une toile de Gaspare Mutolo, à la galerie Baccina 66, à Rome, le 18 janvier 2013. (GABRIEL BOUYS / AFP)

Ecrire. Alaric Hunt, 44 ans, a reçu le Private Eye Writers of America, un prix littéraire qui récompense le premier roman policier d'un auteur. Le quotidien britannique The Telegraph (article en anglais) explique que l'homme qui a écrit Cuts through bone purge une peine de prison à vie avec une période de sûreté de trente ans en Caroline du Sud (Etats-Unis).

Il a été condamné pour le meurtre d'une étudiante et le braquage d'une bijouterie. Détail important, l'éditeur du roman souligne que l'histoire ne s'inspire pas du crime commis par l'auteur. Il n'empêche. Son parcours attire l'attention. Le Daily Mail (article en anglais) cite la critique du Richmond Times-Dispatch, un quotidien de Virginie : "Parfois, un roman vous captive dès la première page par son scénario. Parfois, c'est l'écriture. Rarement, c'est le passif de l'auteur. Mais Alaric Hunt réussit la passe de trois dès ses débuts."

En France, ce type de cas est très encadré. Le site spécialisé ActuaLitté rappelle la loi du 9 mars 2004 qui stipule que l'éditeur doit "s'abstenir de diffuser tout ouvrage ou œuvre audiovisuelle dont il serait l'auteur ou le coauteur et qui porterait, en tout ou partie, sur l'infraction commise et s'abstenir de toute intervention publique relative à cette infraction ; les dispositions du présent alinéa ne sont applicables qu'en cas de condamnation pour crimes ou délits d'atteintes volontaires à la vie, d'agressions sexuelles ou d'atteintes sexuelles".

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