Faux cheikh, drogue et "crime du siècle" : qui est Mazher Mahmood, ce journaliste star de la presse tabloïd poursuivi en justice ?
Pendant des années, il a fait les beaux jours de "News of the World" puis du "Sun". Il est aujourd'hui accusé d'avoir bidonné ses scoops.
Avec son costume de cheikh fortuné, il a accumulé les scoops, tous plus fracassants les uns que les autres. Mais, vendredi 30 octobre, Mazher Mahmood se retrouve devant la justice britannique et, cette fois-ci, sans déguisement. Il est accusé d'avoir bidonné ses articles. Retour sur la chute de ce journaliste vedette de la presse tabloïd britannique.
Sa technique est à chaque fois la même : déguisé, équipé de micros et de caméras cachées, il gagne la confiance de ses cibles, avant de les pousser à la faute. C'est en 1984 qu'il expérimente cette recette pour la première fois. Déguisé en cheikh, il dévoile, pour News of the World, un réseau de prostitution dans un hôtel de Birmingham. Un premier scoop qui le lance dans le métier.
Sarah Ferguson sur son tableau de chasse
Depuis, la liste de ses faits d'armes s'est terriblement allongée, avec, en bonne place sur son tableau de chasse, des membres de la famille royale, ou plutôt des pièces rapportées. En 2010, dans un salon d'un grand hôtel de Londres, il piège Sarah Ferguson, l'ex-femme du prince Andrew. Jouant un homme d'affaires désireux de côtoyer les hautes sphères de l'aristocratie britannique, il négocie avec elle une entrevue avec son ex-mari contre 500 000 livres (690 000 euros). Légèrement éméchée, "Fergie" accepte et repart même avec les 40 000 livres en liquide (55 000 euros) qu'il lui tend.
La scène fera le tour du monde. Naïve et visiblement prête à tout pour de l'argent, on entend pourtant Sarah Ferguson lui demander plusieurs fois s'il n'est pas "le type de News of the World". "Vous n’êtes pas en train de me piéger ?" insiste-t-elle. Pour toute réponse, le journaliste se contente de sourire.
Car Mazher Mahmood a déjà fait trembler la couronne neuf ans plus tôt, dans son costume fétiche cette fois-ci. Habillé en cheikh, il filme les confidences d'une autre belle-fille de la reine. Autour d'une bouteille de champagne, Sophie de Wessex, épouse du prince Edward, affirme avoir remplacé lady Diana dans le cœur des Britanniques, qualifie Cherie Blair de "méchante" et se dit convaincue que le prince Charles pourra épouser Camilla Parker-Bowles une fois que la reine, "la vieille", sera morte et enterrée. Panique à Buckingham, qui tente alors d'échanger la cassette contre une interview exclusive. Sophie de Wessex y parle de sa vie privée, de sa fertilité et de son mari – qui "n'est pas gay" –, rapporte à l'époque The Guardian (en anglais), parlant d'une "farce". Finalement, tout est rendu public : la cassette indiscrète et l'interview officielle.
Des starlettes aux carrières brisées
Autre cible de Mazher Mahmood : les stars montantes et les playmates. A chaque fois, un même appât : la drogue. En 2000, se glissant cette fois dans la peau d'un producteur en cheville avec les plus grandes stars d'Hollywood, il achète du cannabis et de la cocaïne à la vedette de sitcoms John Alford (en anglais). Résultat pour ce dernier : pas de film avec De Niro mais une condamnation à neuf mois de prison et une carrière brisée. Même scénario pour l'abonnée à la "Page 3" du Sun Emma Morgan, filmée en train de sniffer un rail de cocaïne.
L'homme ne se voit pas comme un simple journaliste, mais comme un justicier, puisqu'une fois la faute filmée, il la dénonce à la police. Mazher Mahmood revendique ainsi avoir confondu plus de 250 criminels en tous genres (trafiquants de drogue ou d'armes, passeurs d’immigrés clandestins). Outre-Manche, ses pratiques ne choquent pas, loin de là, puisqu'il a notamment reçu le titre de journaliste de l'année en 1999 pour son enquête sur le club de foot de Newcastle, avec cette confidence (très classe) de son président de l'époque, Freddie Shepherd : "Les femmes de Newcastle sont toutes des chiennes, et l'Angleterre en est pleine."
Il déjoue "le crime du siècle"
Mais la machine à scoops a des ratés. En 2002, Scotland Yard interpelle un gang qui projetait de kidnapper Victoria Beckham, l'ex-Spice Girl et femme du capitaine de l'équipe de foot d'Angleterre de l'époque. A l'origine de cette information, on retrouve l'incontournable journaliste du News of the World, qui titre le lendemain, en toute humilité : "Nous avons déjoué le crime du siècle". Les ventes explosent, mais la belle histoire se dégonfle rapidement lorsque, lors du procès, l'un des malfrats présumés révèle avoir touché 10 000 livres du journal (15 000 euros) pour dénoncer ses petits camarades. On apprend également que cet informateur avait déjà été condamné pour faux témoignage, et qu'il avait déjà fourni des tuyaux crevés au tabloïd, rappellent Les Inrocks. Résultat, les cinq accusés de ce "crime du siècle" sortent de prison au bout de sept mois.
La méthode de Mazher Mahmood tourne au glauque en 2013, lorsqu'il envoie une de ses pigistes soutirer des aveux à un dentiste soupçonné de pratiquer des excisions. "Des confidences, mais à quel prix ?" s'interroge Libération. Sur la vidéo tournée en caméra cachée, on voit le dentiste examiner certaines parties du corps de la journaliste avant qu’ils ne disparaissent ensemble pendant une heure dans une pièce voisine. La reporter niera avoir eu des relations sexuelles pour obtenir ce scoop.
Le piège de trop ?
Pourtant, ce n'est qu'en juillet dernier que le vent tourne, avec une affaire qui pourrait presque paraître anodine au vu des précédentes. News of the World a disparu, mais le journaliste met désormais ses stratagèmes au service du Sun on Sunday, et s'attaque à la popstar britannique Tulisa Contostavlos, jurée de la version britannique de "X Factor". Il se fait passer pour un riche producteur de films et lui propose un rôle important. En remerciement, elle l'aurait mis en contact avec un dealer qui lui a vendu de la cocaïne. Problème, cette fois-ci : lors du procès, le juge pointe des incohérences, et estime avoir de "fortes raisons de croire" que le journaliste a menti lors d'une audition préliminaire. Et le voilà inculpé de "complot destiné à entraver le cours de la justice".
De quoi mettre en doute l'honnêteté de ses témoignages précédents. La justice britannique, pourtant habituée à faire usage des preuves que Mahmood leur apportait sur un plateau, décide de réétudier plus d'une vingtaine d'affaires, tandis que le Sun on Sunday suspend le journaliste. Déjà, une affaire de matchs truqués qu'il avait révélée a été abandonnée, rapporte le Daily Mail (en anglais). Un procès a également été suspendu parce qu'il reposait sur des preuves apportées par Mazher Mahmood, au sujet d'un médecin accusé d'avoir fourni illégalement un produit abortif.
Une mauvaise nouvelle n'arrivant jamais seule, son apparence, jusqu'ici soigneusement dissimulée dans toutes les vidéos, a été révélée au grand jour dans un documentaire (en anglais) à charge réalisé par la BBC. On y voit non seulement les versions de ses "victimes", qui dénoncent ses méthodes, mais, surtout, on découvre enfin son vrai visage. Un coup dur pour celui qui avait fait de son anonymat son fond de commerce.
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