Lille: A peine construit, le tribunal est déjà trop petit

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oeil tribunal Lille
Article rédigé par L'Oeil du 20 heures
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C’est l’un des grands chantiers de la justice en France. Un nouveau tribunal pour Lille en 2026. 150 millions d’euros d’argent public. 24 000 mètres carrés pour plus de 500 magistrats et greffiers. Mais à Lille, les travaux ne sont pas encore achevés que le bâtiment serait déjà trop petit. Les avocats et magistrats locaux dénoncent un immense gâchis.

À Lille, l'idée d'un nouveau palais de justice remonte à plus de dix ans et Maître Florent Méreau suit le projet depuis presque autant de temps. Il n'est pas difficile d'imaginer la stupéfaction de l'avocat lorsqu'il y a quelques semaines, les services de l’Etat l'ont officiellement prévenu que les futurs bâtiments seraient trop petits : dans le nouveau tribunal, plus d’une cinquantaine d’agents et de magistrats n’auront ni bureau, ni salles de travail. "C'est la honte et moi, je ne suis pas fier de la justice de mon pays, tonne celui qui est actuellement bâtonnier du barreau lillois. C'est une gabegie financière, c'est quand même dommage parce qu'on aurait pu faire un beau tribunal, une cité judiciaire comme il en existe un peu partout en France. C'est une occasion ratée.Les avocats et même des juges assurent pourtant avoir alerté. Dans deux lettres datant de 2020 et 2022 adressées au ministre de la justice, ils émettaient de sérieux doutes à propos de ce futur tribunal, 8000 mètres carrés plus petit que l'actuel. "Nul ne pourra désormais prétendre ignorer cette catastrophe annoncée", prévenaient-ils dans l'une des deux missives. "On nous a dit qu'on ne comprenait pas le projet, qu'on ne comprenait pas la rationalisation", se souvient aujourd'hui Maître Méreau.

"C'est dommage parce que c'est une occasion ratée. On aurait pu faire un beau tribunal, une cité judiciaire comme il en existe un peu partout en France."

Maître Florent Méreau

Avocat-Bâtonnier du barreau de Lille

Pourquoi les avocats lillois n’ont-ils pas été écoutés ? Comment un bâtiment public à 150 millions d’euros peut-il être inadapté avant même son inauguration ? Le porteur de projet, l’agence publique pour l’immobilier de la justice (APIJ), n’a pas répondu à nos sollicitations. Pas plus que le responsable du chantier géré par Eiffage. C'est le ministère de la justice, à Paris, qui a apporté une première explication. Elle est matérielle : "Les zones inexploitables (mur, cloison, escalier), nombreuses au sein du palais de justice actuel, ont été volontairement restreintes dans l'objectif d'une gestion optimale". Puis, les services du garde des Sceaux précisent qu'entre le début des travaux en 2022 et aujourd'hui, "16 magistrats, 17 greffiers et 9 attachés de justice ont été recrutés au tribunal judiciaire de Lille.Cet argument des effectifs ne convainc pas les personnels judiciaires qui dénoncent un manque d’anticipation : le futur palais est prévu pour être utilisé pendant au moins 50 ans. Sur le chantier aussi, des ouvriers s’interrogent. Nous filmons en caméra discrète. Ceux avec qui nous échangeons ne savent pas qu'ils sont enregistrés. "C'est fou quand même d'en arriver là, raconte l'un d’eux. Il y a toujours des modifications, des adaptations mais là, c'est quand même un bâtiment à plusieurs dizaines de millions d'euros. Là, ils essaient de réaménager, de repenser l'intérieur et de voir ce qu'ils doivent supprimer, ce qu'ils doivent sacrifier."

Un bâtiment trop petit à cause de récents recrutements ?

Le ministère de la justice le confirme pourtant, ce réaménagement en urgence ne suffira pas. L’ancien tribunal situé à un kilomètre du nouveau site et pourtant vétuste va donc devoir continuer de fonctionner plusieurs années. L’activité judiciaire va être partagée entre les deux bâtiments. C'est dans ces bâtiments inaugurés en 1970 que nous rencontrons Pierre Msika. Selon ce juge des enfants et référent local du syndicat de la magistrature (SM), des magistrats, des avocats et des justiciables vont devoir faire la navette entre les deux sites. Il faut compter 30 minutes de marche aller et retour. Loin d’être idéal, selon lui, alors que le temps manque déjà dans la justice. "Nos journées sont déjà sacrément bien remplies, rappelle le magistrat. Et ce temps de marche, c'est du temps où on n'est pas à préparer nos dossiers, à être avec les familles et à prendre des décisions."

Pour régler cette situation, le ministère de la justice indique chercher un bâtiment plus proche afin  d’accueillir les personnels qui n’auront pas de place dans le nouveau tribunal. Deux sites lillois sont ciblés mais leur réhabilitation pourrait coûter plusieurs dizaines de millions d’euros supplémentaires.

Parmi nos sources (liste non exhaustive) :

Présentation du projet sur le site de l'APIJ

Ministère de la justice

Barreau de Lille

Syndicat de la magistrature

Mairie de Lille

"Ils pensent qu'on prend des décisions debout dans un couloir" : le nouveau palais de justice de Lille, en construction, déjà trop petit. France 3 Hauts-de-France, 30.04.2024

ANALYSE DE L’EXÉCUTION BUDGÉTAIRE 2022 Mission « Justice » Avril 2023

Annexe 30 "Justice", loi de finances pour 2024, coûts complémentaires palais de justice de Lille.

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