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L'auteur du slogan "Je suis Charlie" a "peur que cela finisse par ne plus vouloir rien dire"

Joachim Roncin, l'auteur de "Je suis Charlie", revient quatre mois après les attentats sur le destin de son slogan.

Article rédigé par Clément Parrot - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 4min
Le fameux slogan a notamment été utilisé, mardi 19 mai, lors de la manifestation à Paris contre la réforme du collège. (CITIZENSIDE / YANN KORBI / CITIZENSIDE.COM)

"Je suis Népal", "Je suis Zyed et Bouna", "Je suis Palestine"... Les adaptations de "Je suis Charlie" n'en finissent plus. Le slogan, né après le choc de la tuerie dans les locaux du journal Charlie Hebdo, est régulièrement détourné de son sens premier. Dernier exemple en date, dans les manifestations contre la réforme du collège, certaines pancartes affirmaient "Je suis latiniste"

L'auteur du slogan "Je suis Charlie", Joachim Roncin, observe ces détournements avec un œil bienveillant... dans une certaine limite. Francetv info revient avec lui sur le destin de ces trois mots.  

Francetv info : Le slogan "Je suis Charlie" est désormais régulièrement détourné. Que pensez-vous de ce phénomène ?

Joachim Roncin : Je me suis interrogé pas plus tard qu'hier en voyant la ministre de la Culture, Fleur Pellerin, utiliser sur Twitter le hashtag #Jesuis2025 pour défendre la candidature de la France à l'organisation de l'exposition universelle de 2025. Dans le slogan "Je suis Charlie", il y a une notion de défense de la liberté d’expression et des plus opprimés, mais "Je suis 2025", cela ne veut strictement rien dire. Ce n'est ni pertinent ni cohérent.

A la rigueur, "Je suis latiniste" peut vouloir dire quelque chose. Ça défend une position, une revendication, une appartenance. Il est sûr que l'on surfe sur quelque chose qui est entré dans le domaine public et qui n'a plus rien à voir avec le sens originel du slogan "Je suis Charlie". Si je devais m'offusquer de cet emploi abusif, je l'aurais fait depuis bien longtemps. Mais, avec les rassemblements du 11 janvier et tout ce qui a suivi, j'ai bien compris que je ne pouvais pas être le garant de la bonne utilisation de ce slogan. Et puis les dérivés, les imitations, je trouve tout cela super. J’aime l’idée que l'on puisse revisiter ce genre de phrase désormais rentrée dans la culture commune.

Même quand le slogan est détourné pour des idées contraires au sens de "Je suis Charlie" ?

C'est sûr que je suis choqué lorsque je vois "Je suis Charlie Martel" [expression utilisée par Jean-Marie Le Pen après les attentats], mais je reste voltairien donc je défends la liberté d'expression, même quand je ne suis pas d'accord avec les propos tenus. Je ne vais pas intenter un procès pour une utilisation abusive. C'est rentré dans le domaine public, donc on peut l'utiliser dans tous les sens. Ensuite, c'est sûr qu'en voyant "Je suis 2025", j'ai peur que cela finisse par ne plus vouloir rien dire.

Vous continuez en revanche à refuser l'exploitation commerciale du slogan ?

Oui, il s'agit d'une chose différente. Je me battrai toujours contre toute exploitation commerciale. Je n'accepte pas que l'on puisse faire de l'argent là-dessus. J'ai encore vu un livre intitulé "Je suis Charlie" ce week-end où il n'est indiqué à aucun endroit que l'argent récolté grâce aux ventes sera reversé aux familles des victimes des attentats.

Ensuite, il est apparu qu'il était impossible de déposer la marque à l'Inpi [Institut national pour la propriété industrielle], mais je ne peux rien faire contre les gens qui impriment des tee-shirts en-dehors de France. De temps en temps, je contacte les personnes qui tentent d'utiliser le slogan à des fins commerciales, mais ce serait un boulot à plein temps de lutter contre ce phénomène.

Sur un plan personnel, qu'est-ce que ce slogan a changé pour vous ?

C’est kafkaïen, j’ai encore du mal à réaliser quand je vois tous les jours le slogan utilisé en France ou à travers le monde, notamment dès qu'il se produit une catastrophe naturelle. Tous les jours, quelque chose me ramène au slogan "Je suis Charlie". D'une certaine manière, il est sûr que cela a changé ma vie.

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