Le Mémorial ACTe ne fait pas l'unanimité en Guadeloupe
Lieu de recueillement, de commémoration et de recherches, le bâtiment majestueux domine la mer, comme une revanche des esclaves humiliés sur les océans et les colons qui les ont torturés lors de voyages à fond de cales et dans les plantations. Le socle de granit noir est pailleté de millions d’éclats de quartz qui représentent les âmes des esclaves, naufragés, torturés, exploités. Le haut de l'édifice est coiffé d'un maillage en acier, une résille argentée qui rappelle un peu le Mucem à Marseille.
Mais le président de la région Guadeloupe, Victorin Lurel, qui a vu grand, aimerait que l'architecture du MACTe devienne célèbre dans le monde entier, un peu comme l'opéra de Sydney, en Australie. "Ce n'est pas un musée, parce qu'on a voulu faire plus que ça. Un centre caribéen d'interprétation mais qui a vocation à s'adresser au monde. Ça peut paraître grandiloquent, pour ne pas dire pharaonique. C'est pas un "lamentarium", on ne va pas se lamenter ou se plaindre ici, au contraire. Et j'espère que nous aurons, tous ensemble, Français de l'Hexagone et Français d'ici, une mémoire partagée et apaisée avec les descendants des anciens maîtres. Qu'ils comprennent qu'on fait peuple et on est frère et soeur ", explique-il.
Mais sur cette terre métissée, les plaies du passé sont profondes. La présidente du CIPN, le Comité international des peuples noirs, Jacqueline Jacqueray, estime qu'on a oublié les trois "R" qui constituaient les fondations du projet de départ, la reconnaissance, le réparation et la réconciliation. "Le sentiment que nous avons nous ici en Guadeloupe c'est qu'il y aurait des crimes qui sont plus réparables que d'autres. Et Je crois que ça grandirait la France, ça grandirait monsieur Hollande, qu'il ose demander pardon, tout simplement, pour ce crime abominable. Ce crime-là n'est pas réparable, mais les préjudices du crime sont réparables ", explique-t-elle.
Le CIPN boycottera l'inauguration alors que les opposants politiques au président socialiste Lurel exigent de la transparence et demande la facture réelle de ce mémorial qualifié de caprice mégalo. "Vous avez une misère sociale dans ce pays où 60% des jeunes sont au chômage, où les gens n'ont pas d'eau chez eux, il y a des endroits où il n'y a pas d'électricité. On vient nous pondre un bâtiment à la gloire d'un autocrate. Qui nous prouve que c'est 83 millions d'euros ? Nos enfants ne doivent pas devenir les esclaves justement de nos dettes ou des dettes laissées par ces élus ", estime Mélina Seymour Gradel du parti Ambition Guadeloupe.
Le site censé refermer des blessures entre Blancs et Noirs suscite donc des polémiques sur l'île. L'artiste Joëlle Ursule, première femme noire à avoir représenté la France au concours de l'Eurovision, en 1990, avec une chanson contre le racisme intitulée White and black blues , composée par Serge Gainsbourg, est elle aussi très perplexe. Joëlle Ursule qui a même écrit à François Hollande pour qu’il reconnaisse que la traite négrière est une "déportation ".
Quelque 300.000 visiteurs sont attendus chaque année. Le mémorial espère attirer les passagers des bateaux de croisières des Caraïbes et des Etats-Unis, mais il faudra peut-être sécuriser le quartier qui n'a pas bonne réputation. "C'est le down-town, on trouve des prostituées, des gens qui vendent de la drogue", témoigne une habitante. Des cases créoles tombent en ruine et on a repeint à la hâte des immeubles HLM, mais le maire de Pointe-à-Pitre, Jacques Bangou, assume. "Il y a eu un vrai débat entre ceux qui disaient qu'il ne fallait surtout pas mettre un beau bâtiment comme ça dans ce quartier ouvrier. C'est parce qu'il y a cette symbolique, ce sera d'autant plus fort de montrer que cette édification contribue d'une reconstruction urbaine qui ne soit plus un enfermement dans quelque chose d'odieux où les bateaux débarquaient soit pour déposer des esclaves, soit après à l'abolition, pour débarquer des ouvriers et des premiers travailleurs indiens. Moi je suis fier du peuple que nous sommes devenus, je ne me sens pas une victime ", explique-t-il.
Sur l'île, ils sont nombreux à vouloir en finir avec la période de victimisation, en rappelant que les esclaves modernes que sont les migrant continuent de périr en Méditerranée à la recherche d'une vie meilleure.
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