Transitions de genre chez les mineurs : on vous explique ce que contient la proposition de loi des Républicains, qui inquiète les associations trans
C'est le nouveau cheval de bataille des sénateurs Les Républicains. Le Sénat examine, mardi 28 mai, une proposition de loi du groupe LR qui restreint la possibilité pour les mineurs transgenres (dont le sexe de naissance et le genre ressenti ne coïncident pas) d'effectuer une transition médicale. Le texte prévoit notamment d'interdire la prescription de traitements hormonaux avant 18 ans et de limiter l'accès aux bloqueurs de puberté. Il introduit également une obligation de révision dans les cinq ans suivant sa promulgation, "pour tenir compte d'éventuelles avancées de la connaissance scientifique".
En 2020, un peu moins de 300 mineurs déclaraient une affection de longue durée pour transidentité (un statut ouvrant le droit au remboursement de certains soins), rappelle un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) publié en mars 2022. Mais la hausse du nombre de consultations de jeunes en questionnement de genre interroge les sénateurs LR. "Il faut pouvoir donner du temps aux mineurs qui se posent des questions" sur leur identité, justifie la sénatrice Jacqueline Eustache-Brinio, à la tête du groupe de travail ayant rédigé la proposition de loi. Un texte similaire a été déposé par des élus du Rassemblement national à l'Assemblée, mais sans être pour l'instant inscrit à l'ordre du jour.
La proposition de loi, largement remaniée en commission des affaires sociales, reprend en partie les préconisations d'un récent rapport publié par des sénateurs LR, déjà dénoncé par les associations de personnes transgenres et la majeure partie de la communauté médicale. S'il était adopté, le texte étudié mardi "serait l'un des plus restrictifs au monde en matière de prise en charge des mineurs trans", s'inquiète Anaïs Perrin-Prevelle, directrice de l'association Outrans. Une pétition demandant aux parlementaires de le rejeter a quant à elle été signée par plus de 50 000 personnes. Franceinfo détaille le contenu de ce texte et les critiques émises par ceux qui s'y opposent.
La limitation des bloqueurs de puberté
L'article 1 de la proposition de loi restreint l'accès des mineurs trans aux bloqueurs de puberté, qui retardent son développement. Ils permettent aux enfants en questionnement de genre de "prendre le temps" d'explorer leur identité, et d'éviter une puberté pouvant être "violente" si elle n'est pas vécue dans le genre auquel ils s'identifient, détaille Morgann Gicquel, présidente de l'association Espace santé trans. Mais ces traitements "sont utilisés, dans le cas des transitions de genre, sans autorisation de mise sur le marché spécifique", dénonce de son côté la sénatrice LR Jacqueline Eustache-Brinio. Une situation courante pour des prescriptions de toutes sortes en pédiatrie, rappelait en 2020 le Conseil national de l'Ordre des médecins.
La proposition de loi initiale prévoyait d'interdire complètement ces bloqueurs. La commission des affaires sociales du Sénat est revenue sur ce choix, mais a décidé d'encadrer fortement leur autorisation. Le texte prévoit désormais qu'un arrêté listera les centres de référence spécialisés dans l'accompagnement médical des mineurs trans. Seuls les médecins y exerçant pourront prescrire ces traitements, après avis d'une commission pluridisciplinaire. Les patients ne pourront y avoir accès qu'après avoir été suivis pendant au moins deux ans, s'il est établi qu'ils disposent de leur "capacité de discernement".
Les associations de personnes trans dénoncent ce cadre qu'elles estiment trop restrictif. "Quand on se découvre trans, il est très compliqué d'en parler à sa famille. Bien souvent, les enfants ne parlent qu'au moment du déclenchement de la puberté parce qu'ils vivent mal les changements qu'ils traversent. S'ils doivent attendre deux ans, ce sera déjà trop tard", souligne Anaïs Perrin-Prevelle.
"Il est inimaginable d'avoir des bloqueurs de puberté prescrits à 17 ans, car la puberté est déjà passée par là."
Morgann Gicquel, présidente d'Espace santé transà franceinfo
Les deux femmes craignent en outre que cette durée minimale de suivi "précipite les choix des enfants en questionnement de genre". "On va les pousser tout de suite à s'engager dans un parcours médical s'ils veulent avoir accès aux bloqueurs, sans leur laisser d'abord la possibilité d'explorer leur genre revendiqué sans contrainte", en adoptant un nouveau prénom ou en modifiant sa façon de s'habiller par exemple, relève Anaïs Perrin-Prevelle. Les associations dénoncent aussi la limitation de ces prescriptions à des centres spécialisés, redoutant une "disparité territoriale". Elles souhaitent à l'inverse que les patients puissent être accompagnés par leur médecin habituel.
L'interdiction des traitements hormonaux et des chirurgies de réassignation
Le premier article du texte prévoit également d'interdire aux professionnels de santé de prescrire à un mineur les traitements hormonaux qui permettent de développer les caractéristiques physiques du genre auquel il s'identifie, comme l'aggravation de la voix ou la croissance des seins. Les adolescents ayant déjà commencé un traitement pourront néanmoins le poursuivre. Le texte interdit également les opérations chirurgicales de réassignation de genre chez les jeunes, déjà très limitées. La commission des affaires sociales du Sénat "a jugé indispensable de laisser ainsi le temps aux mineurs de réfléchir à l'opportunité de traitements longs, lourds et difficilement réversibles", justifie-t-elle dans son rapport.
L'article 2 prévoit par ailleurs que les médecins ne respectant pas ces interdictions, ou les conditions de prescription limitées des bloqueurs de puberté, puissent être punis de deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende.
Priver les jeunes trans de la possibilité d'un traitement hormonal est "dangereux" pour leur santé, alertent de leur côté les associations. Anaïs Perrin-Prevelle, directrice d'Outrans, craint notamment qu'en l'absence d'accès à ces traitements, les enfants trans restent plus longtemps qu'aujourd'hui sous bloqueurs de puberté. Sur le long terme, ces traitements peuvent néanmoins causer des problèmes de densité osseuse. Sans traitement hormonal possible, les jeunes interrompant les bloqueurs ou n'en ayant pas pris connaîtront la puberté du genre dans lequel ils ne se reconnaissent pas. Un processus psychologique dévastateur et qui nécessitera, pour certains, de recourir ensuite à "des opérations chirurgicales qui auraient pu être évitées grâce aux traitements hormonaux", avance-t-elle.
Certains adolescents risquent aussi de s'engager dans une transition médicale clandestine, en achetant des produits sur internet, pouvant entraîner "des dégâts importants sur la santé". La proposition de loi LR "introduit une discrimination entre les enfants cis et trans" en interdisant seulement aux seconds l'accès à la chirurgie, dénonce par ailleurs Anaïs Perrin-Prevelle. Actuellement, les actes chirurgicaux liés à la transition qui touchent aux parties génitales sont interdits chez les mineurs.
Mais les adolescents, qu'ils soient transgenres ou cisgenres (dont le sexe de naissance et l'identité de genre coïncident), peuvent recourir à des actes de chirurgie esthétique pour le reste du corps. De rares garçons trans décident donc, à l'adolescence, de subir une torsoplastie (l'ablation de la poitrine et la masculinisation du thorax) afin que leur apparence physique soit plus en accord avec leur genre.
La mise en place d'une stratégie nationale pour la pédopsychiatrie
L'article 3 de la proposition de loi des Républicains réclame la mise en place d'une "stratégie nationale pour la pédopsychiatrie" afin que tout enfant ou adolescent "bénéficie (...) des moyens lui permettant de retrouver un état de bien-être psychique". Le rapport du groupe de travail LR, préalable au texte examiné au Parlement, rappelait que nombre de mineurs se déclarant transgenres souffrent de troubles comme l'anxiété, la dépression, l'autisme ou les TDAH (troubles de l'attention). Les sénateurs LR estimaient donc que l'accompagnement médical devait relever en premier lieu de la psychiatrie, même si la transidentité n'est plus considérée comme une maladie mentale en France depuis 2010.
Cette proposition a soulevé l'opposition de la gauche et des associations LGBT+, qui ont rappelé que les difficultés psychologiques rencontrées par les personnes trans étaient souvent la conséquence de la transphobie dont elles étaient victimes en société. Elles voient par ailleurs dans cette mesure un retour des thérapies de conversion, interdites depuis 2022 en France.
La commission des affaires sociales a donc souhaité différencier les propositions relatives à la transidentité et celles liées à la pédopsychiatrie, qui figurent dans un second chapitre du texte de loi. Les sénateurs continuent néanmoins d'exiger la présence d'un psychiatre dans les futurs centres spécialisés prenant en charge les mineurs trans.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.