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Rumeurs, homophobie : comment un jeune troll manipule les tendances sur Twitter

L'utilisateur Usernameforwat utilise une petite armée de comptes Twitter contrôlés à distance pour influer sur les sujets les plus discutés sur le réseau.

Article rédigé par Vincent Matalon
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min
Suivi par 65 000 personnes, le compte Usernameforwat utilise un programme informatique pour propulser des thèmes dans les tendances de Twitter. (LEON NEAL / AFP)

Mardi 17 mai, fin d'après-midi. Alors que la journée mondiale de lutte contre l'homophobie se termine, le mot-dièse #JourneeContreLesPD surgit dans la liste des sujets les plus discutés en France sur Twitter. En début de soirée, le mot-clé a été partagé plus de 21 400 fois, contre un peu plus de 20 000 pour #Journeecontrelhomophobie. Sur le réseau, plusieurs internautes s'insurgent contre "l'énergumène qui a pondu ce hashtag".

L'"énergumène" en question s'appelle Usernameforwat. Avec sa belle brune en photo de profil destinée à "contrer les gens qui ne follow [suivent] que des filles" et sa description qui proclame "J'SUIS PAS PD", c'est lui qui, le premier, a utilisé ce mot-dièse dans un message faussement scandalisé.

En quelques minutes, il impose un sujet parmi les plus "chauds" de Twitter

Usernameforwat, qui se présente à francetv info comme Ulrich, un jeune homme de "la vingtaine" vivant à La Réunion, ne doit pas le succès de son mot-clé homophobe qu'à ses 65 000 abonnés. Il a en fait développé une mécanique bien huilée qui permet de faire croire à Twitter que son mot-dièse est particulièrement mentionné dans les conversations sur le réseau, quand seules quelques personnes l'utilisent en réalité.

Après avoir publié son premier message, il attend que quelques-uns de ses abonnés le suivent dans sa démarche homophobe. Une fois que quelques internautes ont à leur tour publié des tweets contenant le mot-clé #JourneeContreLesPD, Ulrich les fait partager massivement par plusieurs dizaines de comptes dont il a le contrôle.

Un simple "Ptdr" ("pété de rire") ou un "Oh les bâtards" accolé au fameux hashtag se retrouve ainsi relayé à 150 reprises par tous les comptes Twitter que possède Ulrich. Il suffit de visiter l'un de ces profils pour réaliser que tous les messages qui y sont publiés sont des retweets.

 

Le jeune homme, qui refuse d'être contacté au téléphone à cause d'une "sainte horreur de tout ce qui touche de près ou de loin à la téléphonie, Skype ou autre", explique se servir d'un programme de sa conception pour faire partager en un clin d'œil les messages de son choix à sa petite armée. Il lui suffit ainsi de quelques minutes pour qu'un mot-dièse de son cru apparaisse dans la liste établie par Twitter des sujets les plus commentés. 

Le gouvernement obligé de démentir les rumeurs qu'il lance

Si l'homophobie est l'un de ses thèmes favoris (il a déjà utilisé le même stratagème pour promouvoir le hashtag #tweetcommeunPD), Ulrich est également adepte de la propagation de fausses rumeurs. Le 1er mars, il avait utilisé le mot-clé #RipOmarSy pour faire croire à la mort de la star d'Intouchables. Devant la panique de certains fans crédules, Omar Sy avait dû publier un tweet pour démentir cette information fantaisiste.

Le week-end suivant les attentats de novembre, Ulrich avait profité du climat d'inquiétude pour faire croire que les établissements scolaires resteraient fermés le lundi. Le compte officiel du gouvernement avait dû démentir l'information en utilisant le mot-clé du jeune homme, #FermetureDesEcolesLundi.

Interrogé sur ses motivations, Usernameforwat explique vouloir "faire rire le maximum de twittos". Selon lui, "la plupart des hashtags [qu'il a] mis en tendance étaient un tant soit peu drôles". Il voit dans ses mots-clés homophobes de la "taquinerie" et du "second degré", mais confie "regretter" d'avoir fait naître une rumeur "déplacée" après les attentats. Et s'empresse d'ajouter qu'il utilise sa méthode pour faire la promotion de hashtags plus nobles, comme #AntiRaciste.

Une fausse application utilisée pour pirater des comptes ?

Ulrich assure avoir créé lui-même de tous les comptes Twitter utilisés pour ses blagues de mauvais goût. Mais un élément laisse penser que certains ont pu être dérobés à leurs véritables propriétaires. En plus des messages sulfureux, les comptes contrôlés par Usernameforwat partagent en effet un lien faisant la promotion d'une fausse application, TwiDetector. Ce programme factice promet aux utilisateurs de leur dévoiler le nom de la personne qui visite le plus souvent leur profil.

En se rendant sur le lien partagé par les comptes en question, l'internaute crédule se retrouve sur un site d'hameçonnage ressemblant comme deux gouttes d'eau au site officiel de Twitter, mais qui est en fait détenu par un hébergeur privé. Après avoir renseigné son nom d'utilisateur et son mot de passe, la victime est redirigée vers le réseau social. 

Capture d'écran du site de la fausse application Twidetector. (TWIDETECTOR)

L'application n'a pas été installée, mais il y a fort à parier que les codes d'accès entrés par l'internaute ont été envoyés à une personne malveillante. Interrogé sur ses liens avec cette fausse application, Usernameforwat jure n'être au courant de rien.

Twitter se contente du service minimum

Contacté par francetv info, Twitter ne commente pas les méthodes employées par le jeune homme, et se contente de renvoyer vers son règlement, qui interdit les attaques et les incitations à la violence. Le réseau social ne reste en réalité pas complètement inactif. Après la polémique née à l'automne 2012, lorsque le mot-dièse antisémite #UnBonJuif – qui n'avait rien à voir avec Ulrich – s'est retrouvé en tête des tendances, Twitter s'est rapproché de certaines associations qui peuvent lui signaler un hashtag illicite.

L'association SOS Homophobie explique ainsi avoir alerté Twitter lors de l'émergence du mot-clé #JourneecontrelesPD.

Notre commission chargée des réseaux sociaux a pris contact avec Twitter et, à la fin de la journée, le hashtag n'apparaissait plus dans la liste des tendances. Lorsqu'on leur retire leur visibilité, ces hashtags illicites sont immédiatement moins utilisés.

SOS Homophobie

à francetv info

En attendant, Ulrich savoure ses mauvais coups, bien qu'il s'en défende. Tous les messages qu'il a "aimés" sur Twitter concernent la mise en orbite de ses hashtags. Et sur son profil, sa photo de couverture témoigne de son coup de maître : avoir réussi à placer le mot-dièse #Usernameforwat dans les sujets les plus discutés du réseau.

Capture d'écran du compte d'Usernameforwat. (TWITTER)

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