Areva démantelée, comment est réorganisée la filière nucléaire française ?
L'Etat restructure Areva, qui accuse une perte record de 5 milliards d'euros. Et redonne la main à EDF sur la conception et la fabrication de réacteurs.
La page Lauvergeon est tournée. L'ancienne PDG (de 2001 à 2011) avait fait d'Areva un groupe présent dans tous les métiers du nucléaire, de l'extraction de l'uranium au démantèlement des centrales, en passant par l'activité des réacteurs. Une vision trop ambitieuse, et trop onéreuse.
Aujourd'hui plombé par un endettement record, Areva devrait supprimer quelque 6 000 emplois sur ses 45 000 salariés (dont 30 000 en France). Et l'ex-fleuron du nucléaire français va être restructuré. Par la voix du ministre de l'Economie, Emmanuel Macron, l'Etat s'est dit favorable, jeudi 4 juin, à une reprise par EDF de la majorité de l'activité réacteurs d'Areva afin de "pérenniser" la filière nucléaire française. De son côté, Areva continuera l'extraction minière et la production de combustible nucléaire. Comment sera redessinée la filière nucléaire française ?
EDF reprend l'activité réacteurs
Si l'avenir de la filière nucléaire s'est joué mercredi 3 juin lors d'une réunion à l'Elysée, c'est que l'enjeu est de taille. "Le gouvernement, explique Le Monde, doit répondre à plusieurs grands enjeux : assurer le bon fonctionnement et la coûteuse modernisation des 58 réacteurs du parc EDF (55 milliards d’euros d’ici à 2025), maintenir la France dans le peloton de tête des pays exportateurs d’équipements nucléaires et sauver les quelque 200 000 emplois directs et indirects d’une filière aussi stratégique que celle de l’aéronautique."
Avec une urgence : sauver Areva du désastre. L'entreprise, qui accusait fin 2014 une dette de 5,8 milliards d'euros, doit se débarrasser d'une partie de ses activités. Avec la bénédiction de l'Etat actionnaire, EDF propose désormais 2 milliards pour la reprise de l'activité réacteurs (Areva NP).
A l'arrivée, EDF apparaît comme la grande gagnante de la chute d'Areva. Si Areva NP est cédée en totalité à EDF, remarquait Le Monde début mai, "sa maison-mère perdra plus de 40% de son chiffre d’affaires de 8 milliards d’euros et 20 000 de ses 45 000 salariés". La compagnie d'électricité, souligne le journal, reprend ainsi "la main sur la conception des réacteurs. Et probablement sur leur fabrication dans le cadre d’une filiale spécifique et ouverte à des partenaires français et étrangers".
Les "activités de conception, de gestion de projets et de commercialisation des réacteurs neufs d'EDF et d'Areva seront rapprochées dans une société dédiée", a précisé l'Elysée dans un communiqué. EDF veut y être majoritaire, mais souhaite néanmoins y faire entrer des partenaires industriels ou financiers. Des français comme Engie (ex-GDF-Suez) ou étrangers, comme l'équipementier nucléaire japonais MHI ou un fonds chinois, sont cités comme investisseurs possibles par Les Echos.
Cette reprise signifie la fin du modèle intégré à Areva. Un modèle prôné depuis la création du spécialiste du nucléaire en 2001, né de la fusion de la Cogema (spécialisée dans l'extraction d'uranium en France et en Afrique francophone), de Framatome (spécialisé dans les chaudières nucléaires et les services aux réacteurs) et de CEA Industrie.
Areva garde la filière combustible...
Areva doit donc renoncer à ses rêves de grandeur. "A l’issue des arbitrages rendus par l’Etat, actionnaire à 87% d’Areva, le groupe ne sera plus présent dans tous les métiers comme il l’était depuis sa création en 2001, où il assurait l’extraction et l’enrichissement de l’uranium, l’assemblage des combustibles, la conception et la fabrication des réacteurs, la maintenance, le traitement-recyclage des déchets et le démantèlement des centrales", analyse Le Monde.
C'est un retour quinze ans en arrière. Selon un courtier cité par l'AFP, Areva va ainsi "se retrouver avec un périmètre limité à l'ancienne Cogema (cycle du combustible) pour lequel l'activité devrait bénéficier d'un renforcement des liens avec EDF". Dans ce périmètre, Areva pourrait aussi faire appel à des investisseurs étrangers, en ouvrant le capital de certaines usines dans le cycle du combustible.
... et devra faire l'effort de se réinventer
Après restructuration, Areva devrait se spécialiser davantage, estiment certains experts. Selon Eric Bonnel, un consultant du cabinet de conseil Square cité par 20 minutes, il serait logique que l'entreprise soit "scindée en deux entités, l’une consacrée à l’activité minière et à la production de combustible nucléaire, la seconde, aux services nucléaires.
"Des investisseurs, comme Engie [ex-GDF-Suez] ou des fonds étrangers, pourraient entrer au capital de cette seconde entité qui accompagnerait les sociétés productrices d’énergie nucléaire dans le prolongement de la vie des centrales ou leur démantèlement. Cinquante réacteurs sont en construction en Asie et 400 fonctionnent dans le monde, c’est tout de même un marché sympathique", note-t-il.
Sympathique, mais incertain. "Nos entreprises, déclarait début janvier à L'Opinion Philippe Anglaret, le président du groupement intersyndical de l'industrie nucléaire, subissent évidemment la morosité du marché nucléaire mondial post-Fukushima". Après le tsunami ayant dévasté la centrale au Japon, en 2011, l'Allemagne a ainsi décidé de se désengager du nucléaire.
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