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"On assiste à un déchaînement sexiste" : comme Brigitte Macron, elles paient cher leur différence d'âge avec leur mari

La médiatisation du couple Macron a ravivé un débat auxquelles de nombreuses femmes plus âgées que leur compagnon doivent faire face depuis longtemps. Si certaines regrettent que le sujet revienne sur la table, d'autres y voient des motifs d'espoir.

Article rédigé par franceinfo - Licia Meysenq
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Publié Mis à jour
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Brigitte et Emmanuel Macron au Parc des expositions de Paris, le 23 avril 2017. (ERIC FEFERBERG / AFP)

"Je savais que si Emmanuel Macron était élu, ma vie tournerait au cauchemar." Claire* a beau être sympathisante de La République en marche, elle a un peu de mal à se réjouir de la victoire de son candidat lors de l'élection présidentielle. "Cela fait quelques jours à peine qu’il est président et on me compare déjà à sa femme, souffle-t-elle. La plupart du temps, c’est peu flatteur." Cette juriste d’entreprise, âgée de 46 ans, est en couple avec un homme de dix-huit ans son cadet. Une situation qui rappelle celle de Brigitte Macron, qui a vingt-quatre ans de plus que son mari.

Depuis qu'elle est sous le feu des projecteurs, l’épouse du nouveau président doit essuyer les railleries et les blagues potaches, comme celles du journal satirique Charlie Hebdo, qui l'a représentée "miraculeusement" enceinte sur la une de son dernier numéro. 

"On assiste à un déchaînement sexiste. Par ricochet, c’est un déferlement contre nous toutes, les femmes qui avons eu l’audace de choisir un compagnon plus jeune", déplore Claire.

Sexisme et insultes sur les réseaux sociaux

Nathalie Andreani connaît bien ces moqueries diffusées sur les réseaux sociaux. A l'image de Brigitte Macron, elle a, elle aussi, été au centre de l'attention médiatique. Agée de 46 ans, elle a participé à l’émission de téléréalité Secret Story en 2014, accompagnée de Vivian, son compagnon de vingt ans de moins. "On m’a insultée, traitée de prostituée. On m’a expliqué que c’était une honte de m’afficher au grand jour avec un homme plus jeune, détaille la grande brune aux yeux en amande. Heureusement, jai trouvé du soutien dans la communauté gay, eux aussi savent ce que c’est que d’être stigmatisé.” 

Mais pas besoin de fréquenter les réseaux sociaux pour endurer des remarques désagréables. Claire, qui n'a ni compte Facebook ni Twitter, les subit au travail ou dans son entourage. "Il n'est pas rare que mes collègues me demandent comment va 'mon fils' ou si j'ai pensé à lui préparer son petit-déjeuner avant de partir, se remémore-t-elle. Le même genre de blagues que celles qui circulent à propos de Brigitte Macron." 

La quadragénaire est en couple avec un ancien stagiaire. Elle a attendu qu’il quitte l’entreprise pour le fréquenter et est restée discrète sur sa relation. "Pourtant, quand il l'a appris, mon chef m’a dit que ce comportement était inacceptable. Pendant ce temps, mes collègues masculins draguent ouvertement des jeunes stagiaires de 20 ans, sans que cela ne dérange personne." Nathalie Andreani dresse le même constat : "Donald Trump a une compagne de vingt-quatre ans de moins que lui et les gens ne font pas de commentaires."

Pour Eric Fassin, sociologue et professeur au département d'études de genre à l'université Paris-VIII, les gens réagissent avec du "malaise" ou de la "fascination", car ces relations bousculent les normes sociales. "Nous vivons dans une société qui reste définie par la domination masculine. Même si leurs âges se rapprochent aujourd'hui, les hommes restent plus âgés que leurs conjointes. Et quand l'écart est grand, c'est presque toujours dans le même sens", pointe-t-il.

Le mythe de "la cougar"

L'image colle à la peau des femmes plus âgées que leur compagnon. Elle a même été utilisée par Jean-Marie Le Pen pour critiquer Brigitte Macron. La "cougar", cette bête sauvage qui traque une proie, en l'occurrence un homme plus jeune. "Les gens imaginent que je traîne dans des boîtes de nuit pour sauter sur le premier jeune homme venu, se désespère Nathalie. C’est caricatural. Comme si je faisais le guet devant une sortie d’école." Tout l'inverse de sa rencontre avec Vivian, son compagnon de l’époque. "Il est entré dans la boutique que je gérais, nous avons sympathisé et convenu de nous retrouver pour manger une glace", se remémore celle dont les cheveux tombent en cascade sur ses épaules. Difficile, à ses yeux, de faire plus classique.

Une banalité que revendique aussi Claire. "J’ai rencontré mon compagnon sur mon lieu de travail, comme la majorité des gens." Elle sortait d’un divorce et avait deux petites filles à charge.

Une amie m’a sérieusement demandé si je m’étais inscrite sur un site spécial 'cougars' pour me changer les idées avec un 'jeunot'. Je ne suis même pas sûre que ce genre de sites existe.

Claire

à franceinfo

Ce qui irrite surtout Nathalie, c'est quand les gens considèrent qu'elle est uniquement attirée par les jeunes. "Je n’ai rien contre le fait de rencontrer quelqu’un de mon âge", lance-t-elle. Claire, elle, se serait même bien passée de cette différence d’âge. "Je ne me suis pas réveillée un matin en me disant que j’allais fréquenter un petit jeune, je suis tombée amoureuse de quelqu’un", soupire-t-elle. D'ailleurs, son ex-mari avait le même âge qu'elle.

Pour tenter d'expliquer cette image de la femme "cougar", le sociologue Eric Fassin regarde du côté des constructions sociales autour du couple, et de ses a priori : "Si les hommes sont censés désirer des femmes plus jeunes, c'est que la sexualité serait déterminante pour eux, détaille-t-il. A l'inverse, si les femmes sont censées désirer des hommes plus âgés, c'est pour leur pouvoir social. Quand les choses sont inversées, on a tendance à se dire que les femmes plus âgées doivent être plus sexuelles que les autres, et donc trop sexuelles : d'où une vision hypersexualisée."

"Il ne peut pas être avec toi de manière désintéressée" 

Parmi le déferlement de remarques misogynes qui ont visé Brigitte Macron, celle mettant en avant le côté intéressé de cette union est l'une des plus fréquentes. Le Monde rappelle ainsi que de nombreuses rumeurs assuraient qu'elle ne pouvait être qu'une "couverture" pour masquer une supposée relation homosexuelle d'Emmanuel Macron avec Mathieu Gallet, le directeur de Radio France. 
Une situation qu'a bien connue Anne*. "
On m’expliquait qu’il ne m’aimait pas vraiment, qu’il profitait de mon argent", assure celle qui, à plus de 60 ans, assume sa relation avec Khader*, un avocat de seize ans son cadet. Elle met ces remarques sur le compte de la jalousie. Nathalie a, elle aussi, souffert de ces remarques déplacées pointant une supposée relation intéressée. 

Quelqu’un m’a dit : 'Tu es périmée, les mecs sont avec toi uniquement pour le sexe, ce n’est pas une vraie relation'.

Nathalie

à franceinfo

Des remarques qui peuvent avoir deux effets sur les couples qui les endurent. "Soit cela renforce la relation, si le projet conjugal se construit comme une résistance aux regards de désapprobation, soit cela peut contribuer à défaire le couple", détaille Eric Fassin.

Claire est tellement habituée à entendre que son compagnon "a besoin d’une deuxième mère" qu’elle reste désormais impassible face à ce genre de remarque. Elle ne compte même plus les théories de ses proches pour expliquer sa relation. "Quelqu'un a fini par me dire qu'il ne pouvait pas être avec moi de manière désintéressée."

Un aspect "intéressé" pointé du doigt par Emmanuel Macron dans une interview accordée au magazine Têtu : "Il y a deux choses qui sont odieuses derrière ce sous-entendu. La première, c’est de dire 'ce n’est pas possible que cet homme qui vit avec une femme [plus âgée] soit autre chose qu’un homosexuel ou un gigolo caché'. Donc il y a de la vraie misogynie implicite. (…) Et c’est de l’homophobie, parce que c’est dire 'd’accord, en fait c’est un homo'. Mais je serais homo, je vous l’aurais dit, parce que ce n’est pas un problème d’être homo aujourd’hui."

Vers une évolution de la société ? 

Mais même si elle remet sur le devant de la scène la question de la différence d'âge dans les couples, l'arrivée du couple Macron à l'Elysée réjouit Anne. "Je ne pensais pas qu’on pouvait aller jusqu’à vingt-quatre ans d’écart, plaisante-t-elle. C’est un cas plus extrême que le mien." A ses yeux, les médias ont porté un regard positif sur la nouvelle première dame. De quoi la déculpabiliser un peu. "Le couple Macron a vécu un peu la même histoire que la mienne." Lorsqu’elle a rencontré Khader, Anne était en effet sa professeure dans le secondaire. Ce n'est que quelques années plus tard qu'il lui a déclaré sa flamme. 

C’est pour déculpabiliser les femmes dans cette situation que Nathalie a décidé d'assumer sa relation dans une émission de téléréalité. "C’est une cause qui doit être prise au sérieux", affirme-t-elle. Et malgré les critiques qu'elle endure, elle ne regrette pas : "Les hommes peuvent tout se permettre, ils ont une impunité quand, nous, on est rabaissées. J'espère que le couple Macron fera évoluer les mentalités." Une évolution difficile à prévoir. Car même si, selon les chiffres de l'Insee, la proportion de couples où la femme est plus âgée que l’homme est passée de 10% des couples formés dans les années 1960 à 16% dans les années 2000, les changements sont difficiles. "Est-ce qu'un couple comme celui de Brigitte et Emmanuel Macron est une exception qui confirme la règle ou est-ce qu'il fera évoluer la règle ? s'interroge Eric Fassin. Les deux sont possibles – peut-être simultanément, selon les milieux." 

* Les prénoms ont été changés. 

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