Pauvreté en France : "Le phénomène de la féminisation de la pauvreté continue de s'aggraver", selon le Secours catholique

Parmi les personnes aidées par le Secours catholique, certaines n'ont aucun revenu et sont dans une situation "d'extrême pauvreté". De plus en plus de femmes sont concernées, constate l'association.
Article rédigé par franceinfo
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Distribution alimentaire Abrets-en-Dauphin, en Isère, le 22 octobre 2024 (photo d'illustration). (JEAN-BAPTISTE BORNIER / MAXPPP)

"Le phénomène de la féminisation de la pauvreté continue de s'aggraver", pointe jeudi 14 novembre sur franceinfo Daniel Verger, responsable de l'accès au travail et aux prestations sociales au Secours catholique qui vient de publier son rapport annuel sur la pauvreté en France.

En 2023, plus d'un million de personnes en situation de précarité ont été aidées par l'association dont certains se trouvent dans une "extrême pauvreté". Parmi eux, un quart n'ont aucun revenu : "C'est en augmentation par rapport aux années précédentes", souligne Daniel Verger. "Ce sont beaucoup des personnes qui sont avec un logement très précaire ou qui n'ont pas de logement du tout et qui ont lâché les relations avec l'administration parce qu'elles ont été trop difficiles", précise-t-il. Le Secours catholique déplore que l’administration suspende trop facilement les droits "dès qu’elle a une interrogation" dans un dossier. Selon lui, "c'est extrêmement grave parce que ça veut dire qu'on se retrouve du jour au lendemain sans ressources".

franceinfo : Que veut dire exactement "extrême pauvreté" ?

Daniel Verger : Ça veut dire qu'on n'a pas de quoi vivre. On est dans la survie. On a un revenu qui est inférieur à 850 euros par mois. Le revenu médian des personnes qui viennent nous voir au Secours catholique est plutôt même de 555 euros par mois, c'est-à-dire 300 euros en-dessous du seuil d'extrême pauvreté. Avec ça, une fois qu'on a payé son loyer, il ne reste vraiment presque plus rien. Il faut se débrouiller tout le mois pour essayer de survivre. Ce niveau de vie que nous mesurons chaque année dans le rapport sur la pauvreté a encore baissé cette année de 19 euros. Nous voyons une intensité de la pauvreté qui s'aggrave. Ça veut dire qu'on a de moins en moins d'argent pour survivre.

Que vous demandent les personnes qui viennent vous voir ?

Elles nous demandent de l'aide alimentaire. C'est indispensable pour pouvoir s'en sortir quand on a aussi peu de revenus. Elles demandent aussi beaucoup d'écoute parce qu'on a besoin de pouvoir trouver quelqu'un à qui parler. Cette année, nous mettons l'accent sur le fait que la solidarité s'éloigne, l'accès aux prestations sociales est de plus en plus difficile. C’est une des raisons pour lesquelles les gens viennent nous voir. Nous recevons chaque année un peu plus d'un million de personnes. Des équipes bénévoles reçoivent les personnes, les accompagnent, les aident dans les démarches d'accès aux droits. Ce sont pour beaucoup d'entre elles des femmes. Plus de 57% aujourd'hui. Le phénomène de la féminisation de la pauvreté continue à s'aggraver puisque nous alertions déjà sur cette question l'année dernière. Nous voyons effectivement une aggravation de cette situation.

Un quart des personnes qui sont reçues au Secours catholique sont sans aucun revenu du tout. Comment est-ce possible ?

C'est en augmentation par rapport aux années précédentes. On a d'une part des personnes qui n'ont pratiquement droit à rien. Ce sont notamment des personnes de nationalité étrangère qui sont en situation dite "irrégulière" et qui se retrouvent sans possibilité d'aide. Puis, on a aussi un ensemble de Français qui sont dans cette situation. Près de 8% des personnes de nationalité française sont absolument sans ressource. Parmi les personnes que nous recevons, ce sont beaucoup des personnes qui sont avec un logement très précaire ou qui n'ont pas de logement du tout, qui ont lâché les relations avec l'administration parce qu'elles ont été trop difficiles, parce qu'elles ont souffert d'humiliations ou de maltraitances.

C'est la dématérialisation des démarches administratives qui est en cause ?

Ça complique les choses pour tout le monde. Très souvent, on est en difficulté devant un écran d'ordinateur pour savoir comment répondre à telle ou telle question du formulaire. Encore faut-il avoir un ordinateur. Pas simple non plus d'essayer de remplir sur un smartphone un formulaire un peu complexe. Les personnes en situation de précarité ont souvent une vie qui a été compliquée. Environ 60% des personnes que nous recevons ont subi une rupture, un accident de la vie récemment, une séparation, un chômage, un déménagement ou une maladie aussi. Ça rend plus complexe le fait de remplir un formulaire.

Ça veut dire que certaines personnes ne demandent pas leurs prestations sociales ?

Elles peuvent ne pas demander cette prestation sociale alors qu'elles y ont droit. C'est ce qu'on appelle le non-recours. Elles peuvent aussi l'avoir demandée, mais ne pas avoir réussi à aller jusqu'au bout du formulaire, notamment les personnes qui se retrouvent isolées ou ont une mauvaise maîtrise du français ou tout simplement qui ne savent pas quoi répondre à une question complexe. Ça arrive souvent. On a aussi des personnes qui ont vu leurs prestations rompues parce qu'il manque un document, parce qu'il y a eu une incompréhension entre l'administration et l'usager. Quand on n'a personne à qui parler, quand on se retrouve seul devant son écran, ce n’est pas simple.

Quelles conséquences a le durcissement des critères d'éligibilité aux prestations sociales ?

Ça devient plus compliqué de garder ces prestations, mais aussi la stigmatisation, la honte, le fait de se sentir coupable d'avance. C'est un des éléments qui produisent du non-recours, c'est-à-dire de l'hésitation à demander de l'aide. Même le chèque énergie, on a du mal aujourd'hui à le demander. Ça produit également une crainte de se tromper. Il y a une difficulté à aller au bout des procédures parce qu'on se sent tout de suite accusé, coupable. De fait, l'administration, dès qu'elle a une interrogation, suspend les droits, suspend les versements de prime d'activité ou de RSA ou d'allocations logement. C'est extrêmement grave parce que ça veut dire qu'on se retrouve du jour au lendemain sans ressources.

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