Pourquoi la France peine à faire face à la violence scolaire
La mort de Kylian, 13 ans, après une bagarre dans son collège de Rennes, a relancé le thème de la lutte contre la violence à l'école. FTVi vous explique pourquoi la France est à la traîne dans ce domaine.
Une bagarre de récréation qui tourne mal. La mort de Kylian, 13 ans, dans la nuit du 22 au 23 juin après avoir été étranglé par un élève de son collège de Cleunay, à Rennes (Ille-et-Vilaine), a relancé le sujet de la violence à l'école. Au cours de l’année scolaire 2009-2010, les établissements publics du second degré ont déclaré 11,2 incidents graves pour 1 000 élèves, selon le ministère de l'Education nationale (document PDF).
"Par rapport à d'autres pays, la France est à la traîne pour lutter contre les violences à l’école, mais elle rattrape son retard", indique Eric Debarbieux, sociologue, fondateur et directeur de l'Observatoire international de la violence à l’école, contacté lundi 25 juin. FTVi vous explique pourquoi.
• Parce que le problème est difficile à cerner
Comment lutter efficacement contre la violence si on a du mal à l'évaluer ? C'est le premier problème : des failles sont apparues dans les méthodes de comptage utilisées depuis la fin des années 1990, incitant le ministère de l'Education nationale à en changer. Entre 2001 et 2007, la France a utilisé le logiciel Signa. Il comptabilisait les faits de violence signalés par les établissements. Problème : il pouvait mener à des classements, comme l'avait fait l'hebdomadaire Le Point. Il était donc très critiqué.
Avec le dispositif actuel, le Sivis (Système d’information et de vigilance sur la sécurité scolaire), la violence est mesurée à travers un panel représentatif de 1 500 établissements. Mais ce système a également révélé des lacunes. C'est pourquoi, depuis novembre 2010, une enquête réalisée dans 300 collèges publics permet de collecter des données complémentaires au Sivis. Compliqué.
Les violences entre élèves sont aussi difficiles à cerner car longtemps, elles ont été minimisées. "La violence qui vient de l'extérieur de l'établissement fascine. Pourtant, tout se joue dans l'établissement, entre les élèves", explique Eric Debarbieux. De fait, selon les chiffres publiés par son observatoire, 99% des bagarres ont lieu au sein même des établissements et entre collégiens.
• Parce que les enseignants sont mal formés et n'ont pas le temps de s'adapter
Pour Eric Debarbieux, le problème vient aussi de la formation des professeurs, pas suffisamment aptes à faire face à la violence dans les écoles. "Il faut bouleverser leur formation initiale, dès la licence, et les préparer à la tenue de classes dans les établissements difficiles", estime le sociologue.
Sur le terrain, il constate un timide changement d'état d'esprit depuis deux ans. "Les Assises nationales sur le harcèlement à l'école ont notamment contribué à cette avancée", complète-t-il. "Moins une équipe pédagogique est solide, plus la violence est présente. Le turnover des enseignants est encore - comme en 2010 - le premier facteur de la violence scolaire", analyse encore Eric Debarbieux.
"A chaque rentrée, la moitié des enseignants sont nouveaux ! Comment voulez-vous définir dans le collège ou le lycée la moindre cohérence pédagogique ? Comment établir des règles qui perdurent, notamment face à des élèves de troisième qui diront qu'ils ont tous les droits, puisqu'ils sont les plus anciens du collège, adultes et élèves inclus ?", s'interrogeait déjà en février 2010 dans Le Journal du dimanche Benjamin Moignard, maître de conférences à l’université Paris-Est Créteil et membre de l’Observatoire fondé par Eric Debarbieux.
• Parce que professeurs et élèves n'en parlent pas assez
"Depuis le milieu des années 2000, en Finlande, les élèves ont tous les deux ans, depuis la première année du primaire jusqu'à la dernière année du lycée, un cours d’une vingtaine d’heures dans l’année consacré à la sensibilisation aux violences scolaires", explique le HuffingtonPost.fr. En France, ce type de dispositif est progressivement mis en place. Il est en train d'être testé dans quelques établissements, comme le montre cet extrait de reportage de France 2 :
Sarah Bernuchon / France 2
"Pendant longtemps, l'Education nationale n'a pas voulu voir le problème en face parce que cela faisait désordre. On a voulu se voiler la face", déclarait au HuffingtonPost.fr François Portzer, président du Syndicat national des lycées et collèges (Snalc), ancien professeur en Seine-Saint-Denis.
• Parce que l'efficacité des encadrants reste à vérifier
Mises en place depuis l'année scolaire 2009-2010, les équipes mobiles de sécurité (EMS) ne sont composées ni de policiers, ni de surveillants, mais un peu des deux. Les EMS sont surtout présentes à la sortie des écoles, mais peuvent être amenées à entrer dans les établissements jugés difficiles. "Leur mission est triple : prévenir les tensions, intervenir immédiatement en cas d'incident grave et protéger les personnes et les biens", rappelle le ministère de l'Education nationale. "Au départ, je n'étais pas favorable à la création de ces équipes. Mais certaines ont compris l'intérêt de travailler sur le climat scolaire", commente Eric Debarbieux.
Pour François Hollande, la présence de ces équipes n'est pas suffisante. Pendant la campagne présidentielle, il a promis la mise en place de 500 médiateurs chargés de la lutte contre les violences scolaires. Ils seront affectés "dans les établissements les plus difficiles", d'ici à la Toussaint ou Noël, a annoncé le ministre de l'Education nationale, Vincent Peillon, le 8 juin. Selon Eric Debarbieux, l'efficacité de ces médiateurs dépendra de leur formation. "Ils ne doivent surtout pas devenir de nouveaux pions, mais avoir une gestion particulière de la violence." Des capacités dont la France, à l'inverse de ses voisins, n'a encore jamais réussi à se doter pour enrayer la violence scolaire.
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