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Abus sexuels dans l'Eglise : ce que révèle le rapport explosif accusant de pédophilie plus de 300 prêtres en Pennsylvanie

Une enquête révèle des abus sexuels perpétrés dans cet Etat de l'est américain sur plus de 1000 enfants depuis les années 1940. Des actes qui ont été couverts pendant plusieurs décennies par la hiérarchie de l'Eglise catholique. 

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Le rapport dénonce les exactions de 300 prêtres pédophiles.  (JEWEL SAMAD / AFP)

L'affaire est tentaculaire et le rapport accablant pour l'Eglise catholique. L'enquête menée pendant deux ans par les services du procureur de Pennsylvanie (Etats-Unis) a permis de dévoiler des abus sexuels perpétrés par plus de 300 prêtres et couverts par l'Eglise catholique pendant plus de soixante ans. Au moins mille enfants en ont été victimes. Le rapport final, publié mardi 14 août, a été rédigé par un jury populaire associé à l'enquête. Alors que contient ce rapport ? Qui sont ces prêtres pédophiles ? Comment l'Eglise a-t-elle couvert ces actes ? Franceinfo vous résume l'affaire en sept questions. 

Que contient le rapport ? 

Divisé en cinq sections, le document revient, avec précision, sur des centaines d'abus sexuels perpétrés au sein de six des huit diocèses de Pennsylvanie – les deux autres restants avaient fait l'objet de procédures séparées. "Nous, membres du jury populaire, avons besoin que vous entendiez cela. (...) Il y a déjà eu des rapports sur la pédophilie dans l'Eglise catholique. Mais jamais à cette échelle", écrivent les jurés en introduction de leur rapport (PDF en anglais).

Dans leur rapport de 884 pages, les jurés concluent que plus de 300 prêtres sont impliqués dans des abus sexuels sur plus de mille enfants sur une période de soixante-dix ans. Certains cas remontent aux années 1940, alors que d'autres ont eu lieu jusqu'à 2010. Comme l'explique Le Monde, le rapport contient 301 fiches, une pour chaque prêtre accusé : leurs noms apparaissent et le document précise aussi leur date de naissance et d'ordination, leur parcours religieux et professionnel ainsi que le "résumé" des agressions sexuelles commises, dont la lecture est parfois difficilement soutenable.

Les jurés se sont justifiés d'avoir rendu publics les noms de dizaines d'hommes d'Eglise accusés de pédophilie, dont certains sont morts. Ils disent avoir considéré que leurs victimes pouvaient encore être en vie. 

Comment a travaillé le grand jury ?

Dans le système pénal américain, un grand jury, composé de citoyens, effectue "un travail proche de celui du juge d’instruction", explique Le Monde. Aidés par la police fédérale (FBI), les jurés ont étudié 500 000 pages de documents internes aux différents diocèses. Ils ont également interrogé plusieurs dizaines de victimes. "Avant de devenir jurés, nous ne connaissions pas le rôle d'un grand jury. Nous avons fini par interrompre nos vies pendant deux ans", écrivent-ils dans le rapport.

Le document final s'apparente à "un travail d'instruction et une étude historique", commente Le MondeCe n'est pas la première fois qu'un jury populaire publie un rapport dévoilant des cas de pédophilie au sein de l'Eglise catholique américaine, mais jamais une enquête n'avait révélé autant de cas.

Quels sont les abus sexuels perpétrés ? 

Dès son introduction, le rapport évoque des viols oraux, vaginaux et anaux commis sur des enfants ou des adolescents. "La plupart des victimes étaient des garçons, mais il y avait des filles. (...) Certains ont été manipulés par l’alcool et la pornographie..." détaille le grand jury, qui a choisi de décrire les agissements des prêtres accusés. "Nous sommes malades de tous ces crimes qui seront impunis et non dédommagés. Ce rapport est notre seul recours", écrivent-ils.

Ainsi, le rapport pointe les agissements d'un prêtre du diocèse d'Erié. Ayant commis des viols oraux et anaux sur plusieurs petits garçons, il est tout de même félicité par l'évêque pour ses "progrès" effectués pour contrôler son "addiction", souligne Le Monde. Le document cite aussi le cas d'un prêtre ayant abusé ce cinq fillettes, cinq sœurs, dont la plus jeune n'avait que 18 mois au début des faits présumés, ou celui d'un autre ayant violé une adolescente avant de la faire avorter. 

Certains passages, particulièrement difficiles, ont été censurés. Le rapport décrit aussi les ruses et les menaces des prêtres pour abuser des enfants. Le curé Demsher, mort en 1983, aurait par exemple fait croire à un "examen de la prostate" pour pratiquer une pénétration anale avec le doigt sur un jeune garçon. 

Les prêtres accusés vont-ils être traduits en justice ? 

Sur les 301 prêtres accusés dans le rapport, seulement deux ont été inculpés par la justice américaine. Dans tous les autres cas, les faits sont trop anciens : ils sont donc prescrits et ne peuvent être poursuivis pénalement. L'un des deux prêtres arrêtés est accusé d'agressions sexuelles répétées sur plusieurs enfants. Les plus récentes remontent à 2010. L'autre prêtre, accusé d'agression sur un enfant de 7 ans, a plaidé coupable fin juillet, mais le chef d'accusation retenu est un délit et non un crime. Il n'est donc passible que de cinq ans d'emprisonnement au maximum. 

"Nous aimerions tous que d'autres inculpations soient possibles, mais la manipulation de nos faibles lois par l'Eglise a mis trop de prédateurs hors de portée", a commenté le procureur Josh Shapiro, lors d'une conférence de presse mardi. "La dissimulation a rendu impossible que justice soit rendue pour ces victimes", a-t-il encore déploré.

Comment les diocèses ont-ils caché ces abus ? 

Le rapport du grand jury détaille les abus sexuels, mais surtout la façon dont l'Eglise les a dissimulés, des années durant. "Tous ont été balayés d’un revers de main, dans chaque coin de l’Etat, par des dirigeants de l’Eglise qui préféraient protéger les agresseurs et leur institution avant tout", dénoncent ainsi les auteurs. "Tout au long de la fin du XXe siècle, les diocèses ont développé des stratégies durables pour cacher ces abus sexuels pédophiles. Ces schémas apparaissent clairement dans les documents", insiste le rapport, qui liste les réflexes de l'institution catholique lorsqu'elle doit gérer en interne ce genre d'accusations. 

Dans leurs documents internes, les diocèses recourent ainsi à des euphémismes pour parler des viols pédophiles. "Les actes sexuels criminels violents, par exemple, étaient souvent décrits comme de simples 'contacts inappropriés' ou des 'problèmes de frontières'", peut-on lire dans le rapport. Les investigations internes étaient menées par des prêtres non formés, posant des questions inadéquates. Les prêtres accusés étaient souvent déplacés sans être suspendus ou dénoncés publiquement, leur permettant de poursuivre leurs abus ailleurs. 

Le rapport déplore que l’Eglise ait "largement échappé à toute responsabilité". "Des prêtres violaient des petits garçons et des petites filles et les hommes de Dieu qui en étaient responsables non seulement n’ont rien fait, ils ont tout caché. Pendant des décennies", poursuit le rapport, qui souligne également que "des monseigneurs, des évêques auxiliaires, des évêques, des archevêques, des cardinaux ont été largement protégés". Certains ont même été promus. 

Et même quand les faits remontaient aux oreilles de la police, les investigations pouvaient ne pas aboutir. Plusieurs officiers ont en effet refusé d'enquêter sur des accusations visant des prêtres, a souligné le procureur de Pennsylvanie Josh Shapiro. Le rapport reconnaît toutefois que l'institution religieuse a changé ses pratiques, notamment depuis les révélations du Boston Globe en 2002, qui révélait comment elle couvrait les abus de ses prêtres dans le Massachussetts. 

Que répond l'Eglise catholique ? 

Pour le moment, les cadres de l'Eglise catholique n'ont pas réagi à ce nouveau scandale d'abus sexuels aux États-Unis. Seuls les diocèses incriminés ont fait entendre leurs voix. Fin juin, Edward Malesic, l’évêque de Greensburg, a ainsi répondu au procureur : "Ma position et la réponse du diocèse au rapport peuvent être résumées en une phrase : ce n’est pas l’Eglise d’aujourd’hui."

Avant la publication du rapport, l’évêque d’Harrisburg, Ronald Gainer, a publié sur le site du diocèse la liste des prêtres mis en cause. Mais selon Le Monde, il reprend des euphémismes, qualifiant les agissements de certains comme "comportement indécent" ou "comportement inapproprié"

L’évêque d’Erie, Lawrence Persico, a quant à lui proposé de rencontrer les victimes. L’évêque de Pittsburgh, David Zubik, a soulevé que 90 % des cas de son diocèse étaient antérieurs à 1990, tout en précisant : "Tout abus sexuel d’enfant est horrible, peu importe à quelle date il remonte", rapporte Le Monde.

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