Plus de 500 000 de nos concitoyens sont touchés par le phénomène sectaire, dont 60 à 80 000 enfants, estime l'ancien magistrat Georges Fenech
Georges Fenech, l'ex-président de la Miviludes, explique que la disparition de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires sous sa forme actuelle a des "conséquences terribles".
Sorti en salles le mercredi 20 novembre, Les Eblouis de Sarah Suco, un film franceinfo, nous plonge dans l'univers des sectes. La réalisatrice y raconte sa propre histoire. Celle d'une adolescente dont les parents ont été embrigadés dans une communauté religieuse.
L'occasion de faire un point sur la lutte contre les sectes alors que le gouvernement a décidé de placer la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) sous l'autorité du ministère de l'Intérieur et non plus sous celle du Premier ministre. "C'est une bonne nouvelle pour les sectes. C'est incontestablement une très mauvaise nouvelle pour tous ceux qui luttent contre le phénomène sectaire", a réagi mercredi 20 novembre sur franceinfo Georges Fenech, ex-président de la Miviludes de 2008 à 2012. L'ancien magistrat a rappelé que le phénomène sectaire touchait 500 000 personnes dont "60 à 80 000 enfants".
franceinfo : Comment expliquez-vous ce changement ?
Georges Fenech : Les conséquences vont être terribles. La mission interministérielle, qui existe depuis 1996 sous l'autorité du Premier ministre, est une mission qui remplit un vrai rôle social auprès des quelque 500 000 de nos concitoyens qui sont touchés par le phénomène sectaire, dont 60 à 80 000 enfants. Faire migrer cette mission vers le Comité interministériel de prévention de la radicalisation et de la délinquance, c'est une très, très mauvaise solution parce qu'encore une fois, l'emprise mentale, le phénomène sectaire est différent du phénomène de la radicalisation.
Que va changer cette réforme ?
L'aspect interministériel déjà. L'emprise mentale, l'emprise sectaire touche tous les domaines. Elle touche l'éducation à travers les écoles hors contrat, les problèmes de vaccination, de soins. Elle touche la formation professionnelle. On voit beaucoup d'organismes qui sont en réalité des faux-nez de sectes. Elles touchent évidemment et essentiellement le problème de la santé avec tous les gourous thérapeutiques. Ces nouvelles thérapies qui éloignent du soin conventionnel avec des situations vraiment dramatiques et des morts. Cet aspect ministériel va se dissoudre dans ce centre de prévention de la délinquance. Non, franchement, c'est une très mauvaise nouvelle, une bonne nouvelle pour les sectes. C'est incontestablement une très mauvaise nouvelle pour tous ceux qui luttent contre le phénomène sectaire.
Comment expliquez-vous cette décision ?
Je précise aussi que cette mission nous est enviée par le monde entier. Elle est unique en son genre. Elle remplit encore un rôle social très important et la question budgétaire ne peut pas être avancée. Ce n'est pas possible puisque c'est un tout petit budget d'environ 500 000 euros par an. Le phénomène sectaire, contrairement à ce qu'on peut entendre, est toujours en pleine expansion. Il surfe sur toutes les crises que traverse notre société. Il faut maintenir cette vigilance de manière spécifique. Je ne comprends pas. Je ne comprends pas sauf à me dire, et c'est difficile de s'en faire une idée, que des réseaux d'influence ont pu jouer à ce point pour obtenir cette décision qui est vraiment catastrophique.
Des parlementaires se sont-ils mobilisés ?
Beaucoup de sénateurs ont posé des questions écrites, ont fait des rapports. Toutes les associations se sont mobilisées. J'ai moi-même organisé une conférence de presse depuis l'Assemblée nationale avec tous les acteurs de la lutte antisectes. On ne comprend pas cette décision.
Internet a-t-il accéléré le phénomène ?
Le point d'entrée essentiel aujourd'hui, ce sont les réseaux sociaux. Vous surfez sur Internet, vous allez voir toutes les offres qui sont faites en matière de néo-chamanisme, en matière de thérapeutiques. Internet et tous les réseaux sont surveillés d'ailleurs par une police spécialisée que nous avions mise en place. Elle fait des enquêtes très approfondies. Quel dommage, cette déperdition du savoir, de l'excellence française par cette décision qui n'a pas de justification réelle. On garde quand même espoir. Peut-être qu'il y aura un sursaut d'ici là, mais la situation est grave.
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