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Laïcité : en quoi va consister la formation des enseignants annoncée par Jean-Michel Blanquer ?

Ce plan reprend les principales propositions d'un rapport sur le sujet commandé en février par le ministre de l'Education. Il doit notamment permettre au personnel de savoir "appréhender les phénomènes de contestation des savoirs et d’atteinte à la laïcité et aux valeurs de la République".

Article rédigé par Mathilde Goupil
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Une classe de primaire à Bruyères-le-Châtel (Essonne), le 19 janvier 2021. (MYRIAM TIRLER / HANS LUCAS / AFP)

Il le présente comme un dispositif "ambitieux". Le ministre de l'Education, Jean-Michel Blanquer, a officialisé lundi 14 juin le lancement d'un plan de formation à la laïcité sur quatre ans pour tout le personnel de l'Education nationale dès la rentrée de septembre. Il suit ainsi les préconisations du rapport de l'ex-inspecteur général de l'Education Jean-Pierre Obin, remis le 18 mai. Que contient ce rapport ? En quoi va consister ce plan ? Qu'en pensent les enseignants ? Franceinfo décrypte cette annonce.

Un rapport commandé après l'assassinat de Samuel Paty

Quatre mois après l'assassinat de Samuel Paty, survenu en octobre 2020, Jean-Michel Blanquer avait commandé un rapport "consacré à la formation des personnels de l'Education nationale à la laïcité et aux valeurs de la République", en vue d'obtenir "des propositions très opérationnelles", souligne le communiqué de presse du ministère publié lundi. Ce professeur d'histoire-géographie des Yvelines a été décapité après avoir montré à des élèves de quatrième des caricatures de Mahomet publiées par Charlie Hebdo. "Force est de constater que la compréhension et l'évidence [de la laïcité] ne paraissent plus aller de soi", avait écrit le ministre de l'Education dans sa lettre de mission.

Le rapport a été confié à l'ancien inspecteur général de l'Education nationale Jean-Pierre Obin, déjà auteur en 2004 d'un rapport intitulé "Les signes et manifestations d'appartenance religieuse dans les établissements scolaires" et, en 2020, de l'essai Comment on a laissé l'islamisme pénétrer l'école (Hermann). Dans son nouveau rapport, Jean-Pierre Obin assure, sur la base d'entretiens réalisés avec des membres du personnel de l'Education et des jeunes, que "chez beaucoup d'élèves se développe l'idée d'une laïcité coercitive voire punitive, conçue pour brider l'expression des religions". Il estime aussi que des enseignants ont "peur aujourd'hui face à certains de leurs élèves – ou de leurs parents" et qu'il existe une "souffrance intime qui naît de leur honte d'avoir peur et d'avoir parfois renoncé à réagir à certains propos ou à enseigner une partie de leur programme". 

Son objectif est donc "la formation des personnels à l'enseignement de la laïcité et des valeurs de la République". C'est dans ce but qu'il effectue "une évaluation" de ce qui existe déjà en la matière, et présente "des propositions d'amélioration et d'orientations pour l'avenir".

Tout le personnel de l'Education nationale travaillant dans des établissements publics est concerné

Tout le personnel de l'Education nationale travaillant dans des établissements scolaires du cycle primaire et secondaire sera concerné, et pas seulement les enseignants. Cela inclut donc également les chefs d'établissement, les conseillers principaux d'éducation (CPE), les inspecteurs, ou encore les assistants d'éducation. La formation concerne les membres du personnel déjà en poste, mais aussi les candidats, via des modalités distinctes. 

A noter que seul le personnel du public est visé. Les enseignants du privé, y compris sous contrat, ne sont pas concernés par ces mesures "car leur formation ne dépend pas de l'Education nationale", a rappelé Jean-Pierre Obin, lundi, sur RMC. Ce dernier a reconnu un "angle mort", mais "c'est par le dialogue avec les autorités religieuses qui pilotent ces écoles qu'on peut y arriver, certainement pas par une loi ou un décret ou la contrainte".

Une formation initiale et continue

Pour le personnel déjà en poste. Le rapport propose la mise en place d'un "premier niveau de formation" dès la rentrée 2021, sur une journée ou deux demi-journées, "en privilégiant des interventions (...) rassemblant tous les personnels au niveau de chaque école, collège et lycée". Sur le fond, un "référentiel commun de compétences et de contenus pour la formation" doit être établi "dès cet été", assure le ministère.

Le projet de référentiel, que franceinfo a consulté, prévoit par exemple que les membres du personnel connaissent "le principe de laïcité et ses dimensions historiques, philosophiques et juridiques", mais aussi leurs "droits et devoirs" en tant qu'agents de service public. En l'état, le texte exige également qu'ils soient capables d'"aider les élèves à développer leur esprit critique, à distinguer les savoirs des opinions ou des croyances, à savoir argumenter", qu'ils sachent "appréhender les phénomènes de contestation des savoirs et d'atteinte à la laïcité et [aux] valeurs de la République, et [apprennent] à y réagir" et s'assurent "que tout intervenant dans le cadre scolaire respecte les principes et valeurs de la République". Le référentiel recommande aussi des documents ressources, pour la plupart des textes de loi comme la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ou des documents officiels provenant de l'Education nationale ou du Conseil des sages de la laïcité.

Pour les futurs membres du personnel. Le rapport propose de faire évoluer l'épreuve orale de recrutement des enseignants pour qu'elle porte "notamment sur la connaissance de la laïcité et des valeurs de la République et leur transmission aux élèves" et d'intégrer au jury "de nouveaux profils de personnes ayant des compétences dans l'analyse des atteintes à la laïcité". Les épreuves de recrutement des chefs d'établissement devront également laisser "davantage de place à des situations mettant en jeu la laïcité et les valeurs de la République" et "valoriser, chez les candidats, les expériences d'engagement et les qualités de courage et de lucidité". En outre, le rapport prévoit l'instauration d'une "formation continue des professeurs et des CPE durant les trois années suivant leur titularisation". Là encore, le référentiel en cours d'élaboration doit statuer sur le contenu de ces formations.

Un savoir dispensé par un millier de formateurs des académies

Jean-Michel Blanquer a annoncé lundi que "1 000 formateurs issus de toutes les académies et de tous les départements" seraient mobilisés, en bénéficiant eux-mêmes d'une "formation renforcée et intensive" à partir de septembre. Celle-ci pourrait être assurée par "un grand établissement d'enseignement supérieur", suggère le rapport. Parmi le millier de personnes concernées, "une centaine d'entre [elles], sur la base du volontariat, pourra également suivre une formation en vue d'un diplôme universitaire" de "référents laïcité", comme ce qui existe déjà à la Sorbonne, ajoute le ministère.

Les futurs formateurs interviennent déjà dans le cadre de formations d'initiative locale, sollicitées par les établissements sur divers sujets. Par ailleurs, un "référent laïcité" sera nommé dans chaque établissement afin de "négocier et de concevoir la formation avec les formateurs de l'académie ou du département", a expliqué sur RMC Jean-Pierre Obin.

Des réactions mitigées chez les principaux concernés

Parmi les syndicats d'enseignants et de chefs d'établissement interrogés par franceinfo, tous ne partagent pas le constat alarmiste dressé par Jean-Pierre Obin sur l'adhésion à la laïcité des élèves et de leurs parents. "Le rapport ne donne pas de chiffres d'enquête à grande échelle sur le respect de la laïcité dans les écoles, mais s'appuie sur des entretiens avec quelques enseignants ou directeurs d'école et un sondage", déplore Guislaine David, porte-parole du Snuipp-FSU, le syndicat majoritaire chez les enseignants du premier degré. Elle dit n'avoir pas rencontré "d'atteinte à la laïcité" en 20 ans devant des classes. "C'est une réalité qui existe et il ne faut pas la nier, même si ça n'est pas ma situation", précise néanmoins Bruno Bobkiewicz, secrétaire général du SNPDEN-UNSA, un syndicat de membres du personnel de direction.

Pour autant, toutes les organisations interrogées se disent favorables à une meilleure formation sur la manière de faire vivre la laïcité en classe, et à ce que le personnel soit accompagné en cas d'incident. "C'est très difficile, dès lors qu'on n'a pas été formé, de partager le principe de laïcité avec les élèves. Une laïcité bien transmise est avant tout une laïcité bien comprise", explique ainsi Rémy-Charles Sirvent, secrétaire national du syndicat d'enseignants du premier degré SE-UNSA, en charge du secteur "laïcité, école et société". "Les référents 'Laïcité et valeurs de la République' [qui existent depuis 2016 dans les académies] sont très méconnus des collègues, et on ne sait pas vraiment à qui s'adresser", souligne encore Guislaine David. Cette dernière met cependant en garde contre le "dévoiement de la laïcité", alors que l'annonce de cette formation intervient "avant des échéances électorales" et qu'elle est concomittante de la disparition de l'Observatoire de la laïcité, "qui assurait pourtant des formations pour les enseignants".

Le personnel éducatif reste par ailleurs dubitatif sur la mise en œuvre concrète de ces annonces. "Quel est le financement du plan ? Des propositions qui restent lettre morte car derrière il n'y a pas de moyens pour les mettre en œuvre, ça s'est vu. On n'aura rien sans une attention financière particulière", souligne Bruno Bobkiewicz.

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