: Enquête Affaire Jean-Jacques Bourdin : de nouveaux témoignages qui interpellent
Médiapart a révélé que la journaliste Fanny Agostini était à l’origine de la plainte déposée contre Jean-Jacques Bourdin pour “tentative d’agression sexuelle”. La cellule investigation de Radio France a enquêté et recueilli de nouveaux témoignages.
Des silences gênés, des interlocuteurs qui ne vous rappellent pas, d’autres qui ont besoin de "vider leur sac", et surtout, le désir "de ne pas s’afficher publiquement". Lorsqu’on demande aux collègues de Jean-Jacques Bourdin quel rapport il entretenait avec les femmes de son entourage professionnel, tous requièrent l’anonymat. Le présentateur star, qui a remonté de façon spectaculaire les audiences de RMC dans les années 2000, semble intimider beaucoup de monde dans sa rédaction. "Il fait et défait les carrières", explique une journaliste passée à la concurrence, "vous ne trouverez personne en matinales pour dire du mal de lui". De fait, beaucoup de journalistes prennent sa défense. "Il était professionnel et bienveillant, parfois caractériel et diva, mais cela ne dépassait pas du cadre", nous confie une journaliste qui a travaillé à RMC entre 2015 et 2019.
"Il a une réputation de séducteur, mais je ne l’imagine pas agresser une femme", soutient une autre collègue de Jean-Jacques Bourdin, 18 ans de maison. "Il aime les femmes, c’est du genre à les regarder avec insistance mais c’est tout", renchérit un ancien cadre. Parmi ses proches, un journaliste parti vers d’autres horizons explique encore : "Je n’ai pas envie de l’accabler ni de le défendre. Mais je ne le vois ni harceleur, ni agresseur."
Cité dans l’affaire du Carlton
Cependant, d’autres témoignages dressent le portrait d’un homme flirtant avec la ligne rouge. "Avant l’affaire du Sofitel [en 2011, NDLR], on le savait très proche de DSK [Dominique Strauss-Kahn, NDLR]. À la rédaction, on les appelait les deux chauds lapins", confie à la Cellule investigation de Radio France une journaliste qui a plus de 15 ans d’ancienneté à RMC puis BFM.
Un événement interroge d’ailleurs dans les deux rédactions. Dans l’affaire de proxénétisme dite du "Carlton de Lille", dans laquelle DSK et la majorité des prévenus ont été relaxés, le nom de Jean-Jacques Bourdin a été évoqué par un témoin. Ce témoin est une ancienne standardiste de RMC, sur laquelle DSK aurait "flashé" un jour de 2007, alors qu’il était venu participer à une émission. À la demande de celui qui n’était pas encore patron du FMI, Jean-Jacques Bourdin avait donné le numéro de la jeune femme, comme l’atteste l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel (image ci-dessous).
La jeune femme, âgée de 24 ans, se retrouve alors entraînée dans les soirées libertines de DSK, dans ce qu’une salariée de RMC de l’époque qualifie de "descente en enfer" pour la jeune stagiaire. Cette proximité passée avec DSK n’est en soi pas condamnable. Mais le fait que Jean-Jacques Bourdin ait pu communiquer les coordonnées d’une jeune femme, "à un homme du profil de DSK, cela nous interpelle", poursuit cette salariée.
Une stagiaire qui l’inspire "pour de la littérature érotique"
Nous avons recueilli trois autres témoignages qui montrent l’attitude, pour le moins ambivalente, que le présentateur pouvait avoir avec certaines journalistes. En 1996, Jean-Jacques Bourdin travaille à RTL où il présente l’émission "Les auditeurs ont la parole" à l’heure du déjeuner.
Mélissa (c’est un prénom d’emprunt) 19 ans, est stagiaire au service économique. Le dernier jour de son stage, selon ses dires, Jean-Jacques Bourdin lui propose de déjeuner pour "faire le point sur son travail et l’aider pour la suite de sa carrière". "Il m’invite au café de Flore, raconte-t-elle. Très vite, il me dit qu’il écrit de la littérature érotique sous pseudonyme, que je l’inspire beaucoup et qu’il aimerait que je l’accompagne sur les berges de la Seine, lieu de ses récits." La journaliste dit avoir été "glacée". "Je suis partie. Je n’ai jamais eu de nouvelles de lui."
Une autre ancienne collègue de Jean-Jacques Bourdin, qui l’a connu au début des années 2000 quand RMC était à Monaco, estime que la "rédaction était pour lui un terrain de jeu, pas un terrain de chasse. Il essayait. Des fois ça marchait, des fois ça ne marchait pas. Il pouvait être lourd, insistant, collant", dit-elle, avant de conclure : "Il y avait une question d’emprise, notamment pour les journalistes fraîchement sorties d’école."
Autre témoignage, celui de Sidonie Bonnec, présentatrice de l’émission "Minute Papillon" sur France Bleu et du jeu "Tout le monde a son mot à dire" sur France 2. "Le 30 juin 2010, j’ai rencontré Jean-Jacques Bourdin lors d’une émission de Jean-Marc Morandini, où il était également invité", nous explique la journaliste. "Lors de cette émission, j’ai parlé de ma volonté de faire un jour de la radio. À la fin, il est venu me voir et m’a proposé que l’on discute d’une future collaboration."
"Il m’a invitée à déjeuner et m’a proposé de faire la revue de presse de sa matinale. J’ai travaillé sur ce projet pendant plusieurs semaines, je lui ai envoyé une maquette et on en a discuté lors d’un autre déjeuner."
Sidonie Bonnecà franceinfo
Arrive la rentrée, septembre 2010. Jean-Jacques Bourdin lui propose de venir à Calvi en Corse "pour qu’elle étoffe son carnet d’adresses lors d’un festival auquel participent des personnalités des médias". Sidonie Bonnec hésite puis décline lorsqu’il lui apprend qu’elle serait logée "dans une villa avec lui et un de ses amis". Et surtout lorsqu’il lui dit, nous précise-t-elle : "Il y aura une piscine, n’oublie pas ton maillot de bain." "Je l’ai rappelé pour lui dire que ce n’était pas possible et il a raccroché. Il ne m’a jamais donné de nouvelles alors que j’avais travaillé sur le projet pendant des semaines." Sidonie Bonnec a elle aussi été entendue comme témoin au commissariat du 16e arrondissement de Paris. Sollicités, Jean-Jacques Bourdin et son avocate Jacqueline Laffont n’ont pas répondu à nos questions.
Dans un communiqué transmis à l’AFP, Jean-Jacques Bourdin "conteste fermement avoir eu des agissements ou des attitudes susceptibles d'être réprimés par la loi, tant dans sa sphère professionnelle qu'en dehors". Il ajoute qu’ il "découvre dans la presse les griefs formulés contre lui pour la première fois, souvent sous couvert d'anonymat, pour de prétendus faits parfois anciens de plus de vingt ans", poursuit le communiqué. "Il exprime sa reconnaissance à celles et ceux qui lui apportent leur soutien."
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