Qui est le réalisateur Christophe Ruggia, accusé par Adèle Haenel d'attouchements et de harcèlement sexuel ?
Le parquet de Paris a annoncé avoir ouvert une enquête préliminaire à l'encontre du réalisateur. Son nom, plutôt confidentiel, est surtout connu par les amateurs de cinéma d'auteur.
Son nom est peu connu du grand public, mais le réalisateur Christophe Ruggia, 54 ans, est pourtant un compagnon de route estimé du cinéma indépendant. Accusé d'attouchements sexuels et de harcèlement par Adèle Haenel, le cinéaste est désormais sous le feu des projecteurs. Le parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire pour "agressions sexuelles sur mineure de 15 ans par personne ayant autorité" et "harcèlement sexuel", mercredi 6 novembre, car l'actrice était âgée de 12 à 15 ans au moment des faits dénoncés.
Des films sur l'enfance et l'adolescence
Jeune enfant, Christophe Ruggia vagabonde de pays en pays, du Maroc à l'Australie en passant par le Canada. Il s'installe dans le Sud-Ouest, à l'âge de 8 ans, avec sa mère et sa sœur. Le jeune homme passe le diplôme du Conservatoire libre du cinéma francais avant de monter la société Cristal Inn Production en 1988. Trois ans plus tard, il tourne une campagne de publicité de lutte contre le sida aux Antilles, Sové l'anmou, mais sa carrière cinématographique débute en 1992 avec L'Enfance égarée, un moyen-métrage qui lui permet de se faire remarquer et de décrocher le prix de la Fondation de la vocation.
Sa carrière accélère en 1997, quand il porte à l'écran le roman autobiographique d'Azouz Begag, Le Gone du Chaâba, qui conte l'enfance française d'un fils d'immigrés dans un quartier de Villeurbanne. "Je ne suis pas algérien et je n'ai jamais vécu dans un bidonville", résumera-t-il plus tard, considérant toutefois cette adaptation comme une évidence. Des enfants de 5 à 14 ans, la plupart en situation d'échec scolaire, sont recrutés lors de castings dans les banlieues de Lyon et Montreuil, rapporte à l'époque Libération. Ce premier long-métrage lui vaut une nomination aux Césars dans la catégorie "meilleur premier film" et une certaine reconnaissance dans le milieu.
La rencontre avec Adèle Haenel sur "Les Diables"
C'est alors qu'il se plonge dans sa propre histoire pour un nouveau long-métrage, Les Diables, qui narre la relation incestueuse de deux orphelins en fugue. Lors du casting, en 2001, il rencontre Adèle Haenel, alors âgée de 12 ans. Comme sur le tournage du Gone du Chaâba, il mène avec sa sœur Véronique Ruggia des exercices préparatoires auprès des jeunes acteurs. L'objectif est de "les mettre en confiance pour qu'ils puissent jouer des choses difficiles : l'autisme, l'éveil à la sensualité, la nudité, la découverte de leur corps", explique-t-il à l'époque à TéléObs, cité par Mediapart.
Pendant la préparation et le tournage du long-métrage, la plupart des personnes interrogées par Mediapart décrivent un réalisateur "tout-puissant", "vampirisant", "invasif". Un régisseur évoque une relation fusionnelle du cinéaste avec la très jeune actrice, "au-delà du purement professionnel", et une comédienne se souvient d'un homme "tactile, [qui] mettait ses bras sur ses épaules, lui faisait parfois des bisous". Par la suite, le metteur en scène reçoit régulièrement Adèle Haenel à son domicile, et cette dernière évoque des "attouchements" commis à cette occasion. L'actrice coupera définitivement les ponts avec le cinéaste en 2005. "Ce jour-là, je me suis levée et j’ai dit [à Christophe Ruggia] : "Il faut que ça s'arrête, ça va trop loin", témoigne-t-elle dans Mediapart.
Engagé en faveur des sans-papiers
Le réalisateur ne tourne plus pendant plusieurs années avant de revenir derrière la caméra avec Dans la tourmente (2011), un thriller social consacré aux délocalisations où figurent plusieurs acteurs connus (Mathilde Seigner, Clovis Cornillac, Yvan Attal…). Homme engagé, Christophe Ruggia se mobilise notamment en faveur des sans-papiers. En 2015, il est l'un des quatre cinéastes cosignataires de l'appel de Calais paru dans Libération afin d'alerter l'opinion publique sur le sort des migrants et réfugiés de la "jungle" installée dans la ville.
Année après année, le réalisateur est réélu au conseil d'administration de la prestigieuse Société des réalisateurs de films (SRF), une association professionnelle qui compte quelque 300 adhérents. Il en sera plusieurs fois le coprésident ou vice-président entre 2003 et 2019. Après l'enquête de Mediapart, l'association a décidé de le radier en exprimant "son soutien total" à Adèle Haenel.
"Mon exclusion sociale est en cours"
En 2017, il avait notamment cosigné un communiqué de la SRF pour dénoncer les inégalités entre les hommes et les femmes, dans le sillage de l'affaire Weinstein. Le mois suivant, il avait encore accolé sa signature à un autre texte dénonçant les prises de position de la Cinémathèque française dans la polémique entourant Roman Polanski.
Les gens ne veulent pas savoir, parce que cela les implique, parce que c'est compliqué de se dire que la personne avec qui on a rigolé, fumé des cigarettes, qui est engagée à gauche, a fait cela. Ils veulent que je sauve les apparences.
Adèle Haenel, actriceà Mediapart
Après avoir longtemps gardé le silence, Adèle Haenel a choisi de témoigner après avoir visionné un documentaire consacré à Michael Jackson, Leaving Neverland, et appris que le réalisateur préparait un nouveau film, L'Emergence du papillon, mettant en scène deux adolescents portant les mêmes prénoms que ceux des Diables. "Pour moi, cela voulait dire qu'il niait complètement mon histoire", résume l'actrice auprès de Mediapart.
Le scénario de ce long-métrage, qui évoque notamment une liaison entre un adulte et une mineure, est "partiellement autobiographique", précise le dossier de demande de financement obtenu par le site d'investigation. Le film ne verra jamais le jour, le producteur Bertrand Faivre ayant choisi de geler le projet. "J'ai commis l'erreur de jouer les pygmalions avec les malentendus et les entraves qu'une telle posture suscite", écrit Christophe Ruggia dans une réponse publiée par Mediapart. "Mon exclusion sociale est en cours et je ne peux rien faire pour y échapper."
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