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Violences faites aux femmes : que faire si une de vos proches en est victime ?

Article rédigé par Louis Boy
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
En moyenne, chaque annĂ©e, 295 000 personnes, dont 213 000 femmes, sont victimes de violences de la part d'un conjoint ou d'un ex-conjoint en France, selon l'Insee. (JESSICA KOMGUEN / FRANCEINFO)

La meilleure aide reste celle des professionnels, mais les proches peuvent jouer un rÎle déterminant pour aider la victime à parler et pour la protéger.

Les violences conjugales sont un phĂ©nomĂšne massif. En moyenne, chaque annĂ©e, 295 000 personnes, dont 213 000 femmes, sont victimes de violences de la part d'un conjoint ou d'un ex-conjoint en France, selon une enquĂȘte annuelle de l'Insee. Parmi vos proches, membres de votre famille, amies, collĂšgues, figurent peut-ĂȘtre une ou des victimes, un ou des agresseurs.

Sensibiliser les témoins et les proches de victimes est un des axes des campagnes officielles destinées à faire reculer ces violences. Si vous assistez à des violences, que le danger constaté est immédiat, le conseil est simple : appelez le 17. Mais que faire si vous soupçonnez qu'une proche subit des violences conjugales sans le savoir avec certitude ? Comment l'aider si elle se confie à vous ? A l'occasion de la Journée pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, jeudi 25 novembre, franceinfo a recueilli les conseils de spécialistes.

Comment comprendre qu'une proche est victime de violences ?

Les marques de violences physiques sont la façon la plus claire de constater qu'une femme de votre entourage est victime de violences, mais elles ne sont pas toujours visibles. D'autant plus que les violences conjugales ne prennent pas seulement la forme de coups : les violences sexuelles ont aussi lieu dans le couple (47% des cas sont le fait d'un conjoint ou d'un ex-conjoint, selon une enquĂȘte de l'Ined), et les violences verbales, psychologiques ou Ă©conomiques sont aussi des violences Ă  part entiĂšre. DiffĂ©rentes situations peuvent vous alerter. 

Peut-ĂȘtre verrez-vous la victime changer, se renfermer, avoir des comportements qui ne lui ressemblent pas et tĂ©moignent d'un mal-ĂȘtre. Françoise BriĂ©, directrice de la FĂ©dĂ©ration nationale SolidaritĂ© femmes, Ă©voque un autre signal d'alerte : le fait qu'une personne semble soudainement "trĂšs surveillĂ©e", "qu'elle reçoive 10 SMS pendant que vous ĂȘtes avec elle, qu'elle doive partir Ă  une heure bien prĂ©cise". Des signes possibles de l'emprise d'un conjoint violent.

S'il vous arrive de voir votre proche et son conjoint ensemble, le comportement de ce dernier peut vous alerter. "Dans la vie courante, Ă  l'occasion d'un repas de famille par exemple, on peut observer du dĂ©nigrement, le fait qu'il donne des ordres, un comportement qui de l'extĂ©rieur met mal Ă  l'aise", dĂ©taille Françoise BriĂ©, dont le rĂ©seau d'asociations gĂšre le numĂ©ro d'appel 3919. "Cela peut ĂȘtre un signe", mais il faut aussi avoir conscience que les auteurs de violences affichent souvent un autre visage en sociĂ©tĂ©. Si le couple a des enfants, leur attitude peut Ă©galement ĂȘtre rĂ©vĂ©latrice, s'il apparaĂźt "qu'ils ne vont pas trĂšs bien non plus, qu'ils sont trĂšs agitĂ©s ou trop sages", et que cette observation est cumulĂ©e Ă  d'autres.

Faut-il l'inviter Ă  se confier, et comment ?

Aborder avec une potentielle victime la question des violences est un sujet dĂ©licat, mais nĂ©cessaire. Pour Marie-France Hirigoyen, psychiatre et notamment autrice de Femmes sous emprise : les ressorts de la violence dans le couple (Ă©d. Pocket, 2006), "quelqu'un qui est sous l'emprise d'un conjoint violent ne va jamais le dire comme ça". Elle caractĂ©rise l'emprise comme un Ă©tat dans lequel "on n'arrive pas Ă  reconnaĂźtre oĂč est la violence".

Aborder le sujet avec la victime est donc important, mais il faut le faire avec prudence. Sur le moment et le lieu de la discussion, qui doivent permettre qu'elle se sente certaine de pouvoir parler sans risque. Mais aussi dans le choix des mots. Marie-France Hirigoyen estime que "prendre de front quelqu'un qui est victime de violences dans son couple", en utilisant d'emblĂ©e le mot "violences" pour lui en parler, "serait lui faire une autre violence", au risque de fermer la discussion. Moins catĂ©gorique, Françoise BriĂ© la rejoint sur l'idĂ©e d'ĂȘtre "dans l'observation" pour juger s'il vaut mieux aborder le sujet de façon directe ou plus dĂ©tournĂ©e.  

Toutes deux recommandent donc de privilĂ©gier des questions plus ouvertes, comme "J'ai l'impression que tu vis un moment difficile, est-ce que tout va bien ?", ou "Comment ça se passe avec ton conjoint ?". Si votre proche Ă©vacue les questions sur des marques de coups que vous auriez observĂ©es, prĂ©texte un accident, "on peut rĂ©pondre quelque chose comme : 'C'est Ă©trange, c'est arrivĂ© plusieurs fois non ?'" suggĂšre Françoise BriĂ©. Tout en Ă©tant prĂȘt Ă  recevoir la parole de celle-ci si, effectivement, elle est victime de violences : "Si la personne se met Ă  pleurer, Ă  avoir tout de suite besoin de se confier, lĂ  il faut ĂȘtre prĂ©sent", prĂ©vient Françoise BriĂ©. A ce moment, elle aura besoin d'entendre "qu'on est Ă  ses cĂŽtĂ©s, que ce qu'on lui a fait est interdit et que la justice peut intervenir". C'est lĂ  qu'il deviendra utile de ne pas minimiser les faits et de poser le terme de "violences" sur ce qu'elle subit.

Que faire si on ne comprend pas sa réaction ?

Une victime de violences qui se confie à vous n'aura pas forcément la possibilité, ou le souhait, de porter plainte ou de quitter son conjoint. C'est ce qui est "le plus difficile pour quelqu'un qui voit ça de l'extérieur", explique Marie-France Hirigoyen : "Constater que plus une situation est douloureuse et grave, moins la personne a les moyens de partir."

Face à ce blocage, vous pourriez "avoir envie de bousculer la personne pour qu'elle se protÚge", mais "plus on la bouscule, plus on risque de rompre le lien", explique la psychiatre. "Il faut éviter de se comporter comme l'agresseur en donnant des injonctions, notamment sur le fait de partir, résume Françoise Brié. Ces femmes vont à leur rythme, et font face à la peur, à l'isolement et à des questions matérielles."

Marie-France Hirigoyen constate que les victimes de violences peuvent faire "des allers-retours" dans leur détermination à quitter le conjoint violent : "Ce que je vis est inacceptable, mais de temps en temps, il m'a promis qu'il n'allait pas recommencer, et il risque de perdre son emploi si je porte plainte, et que vont penser les enfants si leur pÚre est placé en garde à vue ?" Face à ce type de réactions, elle conseille d'assurer la victime de son soutien quoi qu'elle décide. Et, plutÎt que de remettre en cause ses choix, d'essayer d'inverser le regard : "Si je te racontais que mon mari m'injurie, me traite mal, que me dirais-tu ?"

Quelle aide concrĂšte lui apporter ?

"Il faut connaĂźtre ses limites", prĂ©vient Françoise BriĂ©. Son premier conseil, et celui de Marie-France Hirigoyen, est d'orienter la victime vers des professionnels. À commencer par le 3919, une ligne tĂ©lĂ©phonique qui permet de trouver une oreille attentive, qui pourra aider la victime dans ses dĂ©marches et la mettre en contact avec des associations locales. "MĂȘme si elles ne sont pas sĂ»res d'ĂȘtre victimes de violences, elles peuvent tĂ©lĂ©phoner Ă  n'importe quel moment de leur parcours", insiste Françoise BriĂ©, directrice du rĂ©seau d'asociations qui gĂšre ce service, SolidaritĂ© femmes. Gratuit et fonctionnant 24 heures sur 24, le 3919 garantit l'anonymat, et n'apparaĂźt pas sur les factures de tĂ©lĂ©phone (il est nĂ©anmoins visible dans l'historique des appels d'un tĂ©lĂ©phone, d'oĂč il faut donc le retirer si la victime craint des reprĂ©sailles).

SolidaritĂ© femmes liste aussi sur son site les associations locales qui peuvent ĂȘtre contactĂ©es directement. La police et la gendarmerie gĂšrent Ă©galement un chat en ligne d'aide aux victimes sur la plateforme arretonslesviolences.gouv.fr.

Françoise BriĂ© et Marie-France Hirigoyen encouragent Ă  dĂ©poser plainte. Mais n'ignorent pas que la dĂ©marche peut intimider, d'autant que nombre de femmes dĂ©plorent encore ĂȘtre mal reçues par la police ou la gendarmerie lorsqu'elles dĂ©noncent des violences. "Si la personne hĂ©site, elle peut ĂȘtre accompagnĂ©e par un membre d'une association, un avocat ou un proche", conseille Françoise BriĂ©. Le Code pĂ©nal prĂ©voit que la police est tenue de recevoir la plainte. Vous, ou un professionnel, pouvez aider la victime Ă  prĂ©parer un dossier et Ă  conserver des preuves Ă  l'insu de son conjoint. Ces Ă©lĂ©ments peuvent aussi ĂȘtre conservĂ©s en ligne sur la plateforme MĂ©mo de Vie (gĂ©rĂ©e par la fĂ©dĂ©ration France Victimes), accessible aussi bien aux victimes qu'aux proches. Il peut par exemple ĂȘtre utile de garder une trace Ă©crite du premier tĂ©moignage de la victime auprĂšs de vous, ce que conseille le site du gouvernement. 

Vous aiderez aussi votre proche en l'assurant que votre porte "est toujours ouverte", si elle doit fuir, mais aussi si elle a simplement besoin "d'un week-end de repos", conseille Françoise BriĂ©. Qui met en garde, cependant, sur les situations dans lesquelles l'agresseur sait oĂč vous habitez : pour la sĂ©curitĂ© de la victime, il peut ĂȘtre nĂ©cessaire de "l'Ă©loigner chez d'autres amis dont il ne connaĂźtrait pas l'adresse", ainsi que ses enfants.

Votre soutien passe aussi par des gestes plus simples : appeler la victime, passer la voir. Pour la directrice de Solidarité femmes, le rÎle principal que peuvent jouer les proches est "de ne pas laisser la victime isolée avec son agresseur".


Si vous ĂȘtes victime de violences, ou si vous ĂȘtes inquiet pour une membre de votre entourage, il existe un service d'Ă©coute anonyme, le 3919, joignable gratuitement 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. D'autres informations sont Ă©galement disponibles sur le site du gouvernement, oĂč il est Ă©galement possible de dĂ©poser un signalement.

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