AC Bobigny 93 Rugby : "On est une grande famille"
"Ils viennent de m’offrir un billet d’avion pour que je rentre deux mois, chez moi, à Mayotte. Je n’en reviens pas. Ça a été un vrai choc…" L’émotion est encore bien présente. Itissame Souleimana, 19 ans n’est pas habituée à ce genre d’attention : "Je suis au club de Bobigny depuis à peine un an. C’est dingue ! Ce geste-là, ça veut dire qu’ils comptent vraiment beaucoup sur moi. Et j’ai bien l’intention de leur rendre ça, sur les terrains !" A Bobigny, le rugby se conjugue ainsi. L’autre est quelqu’un à qui l’on doit considération et attention. Un club de cœur, d’envies et de passions, comme beaucoup d’autres lorsqu’il s’agit de rugby. "Ses parents doivent être morts d’inquiétude. Ça paraissait logique que l’on fasse tout pour qu’elle retourne chez elle, une fois le confinement terminé."
Philippe Legendre, Président du club, est de cette essence-là. L’humain avant tout. Faire du Grand avec la simplicité des bons. "On a regardé les finances du club, on a dit banco ! Mais au départ, on a trouvé des billets à 5000 euros. Trop chers pour nous. Et puis, on s’est débrouillés, en faisant appel à nos connaissances. On a récupéré un billet AR pour 1600 euros, Itissame part donc, pour les vacances, rejoindre ses parents. Ça paraissait logique !" Et de renchérir, comme pour s’excuser de cette belle idée : "Surtout, on ne cherche pas à faire le buzz. Quand on a réussi à lui trouver son billet, j’étais à 2 doigts de lâcher ma petite larme".
Personnage authentique, Philippe Legendre règne depuis 2 ans sur ce club du 93 : "Ici, tout est fait pour que ce soit explosif, mais ça fonctionne ! Tout est fait pour que ça ne marche pas, mais ça le fait !" Noyé entre les tours, le terrain de rugby de Bobigny est un lieu à part dans la ville, une sorte de no man’s land. Du vert au milieu du béton. Un souffle d’air frais pour une population cosmopolite, aux religions diverses et variées, parfois au bord de l’asphyxie. Trait d’union entre les peuples et les générations "Dans les 93, il y a à peu près 1,7 million d’habitants. Ce n’est pas 1,7 million de détenus… Le 93 se lève tous les matins pour nettoyer les bureaux, les usines... Quand on a conscience de cela, ça vous met une bonne claque !" Voilà, le Président a parlé !
A Bobigny, on est fier du maillot
Soixante-quinze gamins à l’école de rugby, les Louves (équipe féminine) 2es du championnat, des garçons en Fédéral 3 et 19 filles du club en Equipe de France. Rien que ça ! A Bobigny, on n’occupe pas le terrain, on l’habite et on le gagne. D’un lien social, le ballon ovale a trouvé sa place au milieu des trophées. Aussi surprenant, dans une terre non "rubistique", avec des moyens très relatifs, l’éclat du maillot est devenu la plus grande fierté des lieux.
Mais avec le confinement, la pelouse a été désertée, le ballon ovale rangé dans les placards… Le temps d’attendre des jours plus lumineux. "A Bobigny, on est une grande famille. On se serre les coudes. L’esprit rugby est bien là. Si quelqu’un est dans le besoin, on l’aide. Et vice versa. On vous vient en aide si ça ne va pas", renchérit Patrick Tumoine, entraîneur depuis 35 ans au club. "Début mars, j’ai appelé mon Président, pour lui dire que je ne viendrai plus entraîner. Je suis brancardier à Lariboisière. J’étais toute la journée en contact avec des cas de Covid , donc hors de question, de mettre en péril les autres."
Pendant ces longues journées à l’hôpital, Patrick avoue ne pas avoir trop pensé au rugby, absorbé par la détresse des malades "Mais le fait de jouer au rugby m’a certainement renforcé dans ces moments hyper difficiles. Tout le monde m’appelait pour prendre des nouvelles. La famille du rugby existe tout le temps, et encore plus quand on habite Bobigny." Dans la cité, les choses s’organisent. Certains joueurs du club coordonnent des dons de sang, d’autres apportent à manger aux policiers et aux pompiers. Une maraude pour les sans-abris a même été lancée : "Je ne m’attendais pas à ça, chacun a apporté des vêtements et les joueurs les ont distribués", raconte Patrick, non sans fierté.
"Le vrai lien social, c’est ce qui va sauver les gens"
Djeneba Sacko, 23 ans, en stage de 3e année d’école d’infirmière au moment du Covid a, elle, été réquisitionnée à l’hôpital Robert Bellanger d’Aulnay-sous-Bois "C’était très éprouvant. Mais c’était mon devoir… Comme au rugby, parfois tu n’arrives pas à avoir de résultats, tu persévères et ça finit par aboutir. Là, à l’hôpital, c’était pareil. C’était très dur, mais il fallait s’accrocher et ça finissait par payer." Soutenue par ses copines, son coach et tout le club, Djeneba n’a qu’un seul regret : "Je n’ai pas joué au rugby pendant deux mois… mais c’était pour la bonne cause !" Pas de « chichi » ni de « tralala » à Bobigny. "Cela a ramené du sens. La solidarité, on en a tous plein la bouche. Le vrai lien social, c’est ce qui va sauver les gens".
Philippe Legendre est fier de son club "atypique", "ici c’est le rugby populaire, de transpiration, de coups de gueules." Lorsque les temps seront plus calmes, le Président envisage de remercier ceux qui se sont investis pour les autres. Une pointe de fierté aussi, pour ce club où l’on vient régulièrement recruter les graines de champion. "Sur les 400 adhérents, je n’ai que deux départs… Tous m’ont dit qu’ils souhaitaient rester à Bobigny. Ici, on ne vend pas du rêve. On promet juste ce que l’on peut donner. De la sueur et du sang. Et si ça fonctionne nous serons tous fiers et nous aurons grandi". L’Humain au cœur de tous les combats, rien que l’Humain !
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