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Arbitres femmes : L'art de s'adapter à des infrastructures inappropriées

Les femmes arbitres, minoritaires dans les sports pratiqués par les hommes, doivent sans cesse s’adapter à l’univers dans lequel elles évoluent. S’il change à mesure que leur nombre augmente, ce monde masculin reste fidèle à ses constructions, bâties à une époque où les femmes étaient encore moins nombreuses à officier. En témoignent les infrastructures d’accueil de ces dames au sifflet, les vestiaires, les toilettes ou les douches, qui ne répondent pas toujours à leurs besoins spécifiques.
Article rédigé par franceinfo
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Stéphanie Frappart et Manuela Nicolosi ont été accueillies dans des conditions privilégiées avant Valenciennes-Béziers, en Ligue 2, en avril 2019 (FRANCK FIFE / AFP)

"Sur votre droite, les vestiaires dédiés aux arbitres femmes." C’est à la suite de ces mots, prononcés par une guide, qu’une question s’est posée à Clermont-Ferrand, sous les tribunes du stade Marcel-Michelin où peuvent se retrouver jusqu’à 19 022 amateurs et amatrices de rugby. Un espace réservé à des arbitres femmes ici et partout ailleurs dans les stades du Top 14 ou de Pro D2 ? Et par-delà le rugby, dans toutes les divisions professionnelles de sports en France ? Et qu’en est-il du monde amateur ? Les officielles femmes disposent-elles toujours d’un espace qui leur est dédié lorsqu’elles arbitrent des rencontres sportives jouées par dix, quatorze, vingt-deux ou même trente hommes ? Et surtout, sont-elles traitées de la même manière que leurs homologues masculins ?

Pas vraiment. Enfin, pas toujours. Aux niveaux professionnels, le cahier des charges des différentes ligues, au handball, au rugby ou au basket, par exemple, oblige les organisateurs à proposer au moins deux vestiaires afin que, en cas de mixité, hommes et femmes puissent se répartir dans deux lieux distincts. Les officiels profitent ainsi, au minimum, de deux espaces séparés pour déposer leurs affaires et se changer en Lidl Starligue et en Proligue au handball, en Top 14 et en Pro D2 au rugby, en Jeep Elite et en Pro B au basket ou en Ligue 1 et en Ligue 2 au football. Du moins, lorsque les clubs disposent d’enceintes récentes. C’est pourquoi le club de basket de Cholet, dans sa salle de la Meilleraie construite en 1987, peut offrir seulement un vestiaire aux arbitres de première division. Et plus on descend dans les niveaux -quels que soient les sports- moins les infrastructures sont propices à accueillir des arbitres femmes.

Les vestiaires arbitres dont profitent Mmes Frappart et Nicolosi sont spacieux, au stade du Hainaut, à Valenciennes (FRANCK FIFE / AFP)

Pas de femme arbitre, pas de problème de mixité...

Pour que les femmes profitent des infrastructures des clubs professionnels, encore faut-il qu’elles officient dans les plus hautes divisions. Au handball, par exemple, "au plus haut niveau français, il y a deux binômes féminins, précise François Garcia, directeur national de l’arbitrage au sein de la Fédération française de handball. Mesdames Anne-Laure Paradis et Élodie Tournant puis les sœurs Bonaventura." Pas de problème de mixité dans les vestiaires, donc, comme le résume Julie Bonaventura, la jumelle de Charlotte : "En arbitrant avec ma sœur, jusque-là, je n’ai pas eu de difficultés à partager le vestiaire (rire)." Mais selon elle, la question serait vite résolue : "En général, les structures sont adaptées, affirme Julie Bonaventura, qui a arbitré plusieurs olympiades et championnats du monde avec son binôme fraternel. Je n’ai pas souvenir d’un gymnase où il y a des soucis en termes de taille ou de partage de vestiaire. Il y en a toujours un dédié aux arbitres, voire deux, dont un pour le délégué. Même s’il y avait un binôme mixte, il y aurait de quoi accueillir deux arbitres séparément."

"Quatre arbitres femmes pour plus de soixante dix hommes, c'est assez peu."

Au rugby, pas de soucis non plus puisqu’aucune arbitre n’officie en Top 14 ni en Pro D2. La mieux classée dans l’ovalie, Aurélie Groizeleau, débute sa deuxième saison en Fédérale 1, le troisième niveau national. En Ligue 1, le championnat professionnel de football de plus haut niveau, il y a une seule arbitre, Stéphanie Frappart, et une autre en Ligue 2, Manuela Nicolosi, arbitre assistante. Au basket, elles sont quatre à pouvoir arbitrer la Jeep Elite ou la Pro B. "C’est assez peu sur plus de soixante dix arbitres", résume Laure Coanus, qui officie dans l’élite du basket masculin avec Marion Ortis, Audrey Secci et Amel Dahra. D’autant que le constat est le même dans l’ensemble des sports : les femmes sont minoritaires et les hommes en immense majorité. Conséquence, elles doivent s’adapter à des structures qui ne le sont pas toujours, avec plus ou moins de difficultés.

Christine Hanizet, retraitée depuis trois ans après avoir officié dans les deux divisions professionnelles du rugby français, témoigne : "Ce n’est pas dans tous les stades qu’il y a des vestiaires réservés aux femmes, même en Top 14." Pour autant, la Toulousaine ne l’a jamais vécu comme un problème : "Je me suis toujours entendue avec mes collègues. C'était je me change puis ils se changent, ou inversement." "Il faut parfois s’adapter, acquiesce Laure Coanus, son homologue du basket. C’est le propre du métier de l’arbitre." En Jeep Elite, où elle officie depuis la saison dernière, l’ancienne basketteuse trouve toujours deux vestiaires dans les salles les plus récentes, dont un prévu pour les arbitres femmes. "Parfois, il y en a même trois, un pour chaque arbitre. C’est le top du top mais ça n’est pas le cas partout (rire)." Dans les enceintes les plus vétustes, en revanche, comme à Cholet, "ce n’est pas prévu parce qu’à l’époque il n’y avait pas forcément d’arbitres femmes qui arbitraient à haut niveau (sourire)."

Christine Hanizet lors du match de Pro D2 entre Aurillac et Tarbes, en 2015 (LAURENT DARD / MAXPPP)

Un isolement physique parfois mal vécu

Pour autant, Laure Coanus n’a jamais vécu ce manque de vestiaires comme un problème. "C’est comme ça. Certaines arbitres diront que c’est inadmissible. Moi j’essaie de prendre un peu de recul. Si on s’attarde trop là-dessus et qu’on dépense trop d'énergie, on oublie d’être performante sur le terrain et on se prend la tête pour rien." Christine Hanizet, elle, "sentait presque comme un handicap" le fait de devoir se changer dans un vestiaire à part : "Je me rendais compte que je perdais toute cette préparation mentale d’avant-match et les échanges, notamment pour se rassurer. Arbitrer à haut niveau, c’est un travail d’équipe."

L’ancienne arbitre internationale a donc souvent renoncé à obtenir un vestiaire isolé de ses collègues. Et quand on lui a annoncé que l’ASM Clermont Auvergne effectuait des travaux afin d’anticiper la venue de plusieurs arbitres femmes, à une époque où elle découvrait la Pro D2, elle a simplement esquissé un sourire : "J’avais trouvé ça très mignon, très gentil de penser à nous mais honnêtement sans plus." Christine Hanizet admet pourtant qu’elle aurait pu avoir un avis différent si elle n’était pas la seule officielle : "Peut-être que si on avait été trois filles et trois ou quatre garçons, on aurait apprécié d’avoir notre vestiaire car on n’aurait pas été à part. Là, ça m’aurait peut-être plus intéressée. Mais comme j’étais seule dans cette équipe d’hommes (six sur un match de Pro D2 et quatre en Top 14), je n’ai jamais adhéré à m’isoler.

"Dans un milieu pro-masculin où il y a très peu de femmes, ça ne nous vient pas à l’esprit de revendiquer un vestiaire."

C’est une autre forme d’isolement qui pousse souvent les arbitres femmes à faire avec, malgré la gêne. "On est dans un milieu pro-masculin où il y a très peu de femmes donc ça ne nous vient pas à l’esprit de revendiquer un vestiaire au même titre que nos collègues masculins, confesse Laure Coanus. Peut-être que ce n’est pas une bonne chose et qu’on devrait taper du poing sur la table mais, comme on est assez peu, on suit le mouvement." Il y aurait d'ailleurs beaucoup à dire, à en croire les témoignages. Lorsqu’elles poussent la porte des vestiaires, les arbitres constatent souvent l’absence de poubelles où jeter leurs protections hygiéniques et la seule présence d’urinoirs. Pas toujours de douches séparées, non plus.

Laure Coanus en Jeep Elite au sifflet du match LDLC ASVEL - ESSM Le Portel, en 2019 (ROMAIN BIARD / ROMAIN BIARD)

Des rapports au corps et à la nudité variés

L’idée d’un moment d’intimité, isolée des regards, ne fait toutefois pas changer d’avis Christine Hanizet : "Il n’y a qu’au moment de la douche où, peut-être, on apprécierait d’avoir un vestiaire pour prendre son temps, se doucher et tout ça. Mais encore une fois, je ne l’ai pas ressenti comme un manque." Plutôt qu’une séparation, elle est "favorable à ce que les vestiaires soient repensés parce qu’il y a pas mal de clubs où ils sont vieillissants. Avoir une petite cloison et une douche derrière pour que la femme puisse se doucher tranquillement, sans aucun risque." Christine Hanizet résume ensuite sa pensée : "Il n’y avait pas besoin d’avoir deux vestiaires, un seul bien aménagé suffisait."

L’ancienne arbitre détecte désormais celles et ceux de Fédérale 1 qui prétendent à la montée en Pro D2, et reconnaît que son cas pouvait être isolé : "Si les femmes arbitres n’ont pas le même ressenti que moi, je les encouragerai, autant créer des vestiaires femmes." Le rapport au corps, à l’intimité et à la nudité varie en effet selon les individus. "Pour ma part, c'était un rapport au corps assez libre, témoigne Charlotte Girard-Fabre, ancienne arbitre internationale de hockey sur glace. À la méthode allemande ou néerlandaise, une nudité est une nudité et à partir du moment où elle n’est pas sexualisée dans un espace, elle ne pose pas de problème."

"Pour ma part, la nudité n’était pas un obstacle car elle n’était vraiment pas sexualisée."

Officielle pendant des années en Ligue Magnus, la première division masculine de hockey, elle a partagé les vestiaires d’avant et d’après match avec des hommes toute sa carrière. "La question ne se posait pas parce que, au hockey, tous les arbitres sont dans le même vestiaire, précise celle qui officie désormais dans les divisions amateurs de handball avec son conjoint. Hommes ou femmes, à eux de se débrouiller." Elle s’est donc changée dans des lieux remplis d’hommes, deux ou trois selon les divisions, pendant des années. "Je me tournais juste face au mur pour enlever mes sous-vêtements et quand les hommes étaient nus devant moi, je ne les regardais pas ou droit dans les yeux. Pour ma part, la nudité n’était pas un obstacle car elle n’était vraiment pas sexualisée. Je n’étais pas sur un banc à avoir des positions aguicheuses, dans un contexte sexuel ou de drague."

Certaines arbitres sont contraintes de se changer dans des bureaux des entraîneurs (MAXIME JEGAT / MAXPPP)

Des placards, des douches froides et des noms d’oiseaux

Cette liberté gênait pourtant certains de ses collègues voire leurs compagnes, au point d’en mener certaines dans le vestiaire pour "vérifier si je n’étais pas en train de chauffer leur mari", se souvient Charlotte Girard-Fabre, qui a subi des comportements qu'elle qualifie d'"agressions sexuelles". Elle a été insultée, aussi : "Celui qu’on regarde ce n’est pas l’homme face à la femme, c’est la femme toute nue face aux hommes. C’est elle qui est taxée de tous les noms d’oiseaux qui vont bien." Elle a donc parfois dû s’éloigner de ses collègues mais changer de lieu n’a fait que déplacer le problème : "Soit c’est le vestiaire de l’entraîneur, où il y a la moitié du club qui passe pendant que vous essayez de vous changer, soit c’est le placard entre la table de massage et les armoires, soit c’est le bureau du club donc rien n’est prévu, même pas une douche ou un lavabo."

Si cette expérience a été vécue au plus haut niveau national du hockey, elle est quasiment le quotidien des arbitres des échelons amateurs. Sans les insultes. Même à la frontière avec le monde professionnel, en Fédérale 1, comme le confie Aurélie Groizeleau : "J’ai eu le cas un week-end, à Lille, où j’ai fini dans le vestiaire des entraîneurs, des hommes, avec eux." Mais dans le rugby amateur, contrairement au monde professionnel, les clubs n’ont pas toujours l’obligation d’accueillir les arbitres femmes et hommes dans deux espaces séparés.

"Je me suis déjà retrouvée dans un placard même pas nettoyé et avec une douche froide."

"Ce n’est pas forcément grave" qu’il n’y ait pas de vestiaires dédiés au femmes, réagit Aurélie Groizeleau, qui officie avec des juges de touches hommes chaque week-end "Ce qui est parfois le plus gênant, c’est que les clubs ne savent même pas qu’une femme va venir. Je reçois le mail en disant "Bonjour Monsieur" et derrière ils ne peuvent pas anticiper quoi que ce soit car ils n’ont même pas remarqué que je pouvais être une femme." Conséquence, "je me suis déjà retrouvée dans un placard, ça ressemblait à ça, même pas nettoyé et avec une douche froide, se souvient-elle. J’ai donc dû re-changer de vestiaire et retourner avec les garçons pour pouvoir me doucher." Elle a aussi été envoyée "dans le local dédié au contrôle antidopage. Tant qu’il n’y a pas de contrôle ça ne pose pas de problème. Par contre, s’il y a un contrôle, il faut que je retire mes affaires."

Manuela Nicolosi, arbitre assistante de Ligue 2, a joui de conditions favorables à Valenciennes (FRANCK FIFE / AFP)

Avec le temps...

Pour autant, Aurélie Groizeleau admet ne "pas en vouloir aux clubs qui font avec les moyens qu’on met à leur disposition" puisque "la plupart des stades, conçus avec un seul vestiaire arbitre et gérés par les municipalités, sont un peu anciens". Elle vante l’accueil des clubs, aussi, "plutôt contents d’avoir une présence féminine. Ils trouvent ça même agréable et me disent : "Ah mais c’est bien qu’on voit aussi des femmes arbitres, pas que les joueuses". L’arbitre ne doute pas non plus que ses conditions d'accueil seront de plus en plus satisfaisantes, ou de moins en moins contraignantes : "Je me dis qu’avec le temps, les choses s’amélioreront. Des clubs de Fédérale 1 ont des infrastructures de plus en plus importantes donc ça va vers l’amélioration."

Son aînée, Christine Hanizet, qui a toujours été "bichonnée" par les clubs qu'elle a arbitrés, pense également qu’ils sont prêts à faire cet effort, d’autant qu’elle ne les a "jamais sentis sur la défensive ou s’opposer à quoi que ce soit". Un sentiment partagé par la quasi-totalité des arbitres interrogées, de Julie Bonaventura à Laure Coanus, en passant par Charlotte Girard-Fabre et Aurélie Groizeleau. Les mentalités évoluent lentement, comme dans la société, mais il y a du progrès. "Je crois que les clubs sont prêts à faire ce qu’il faut, poursuit Christine Hanizet. Les femmes sont tellement rares dans l’arbitrage… Certains seraient embêtés parce qu’ils ont des vestiaires vieillissants donc ça leur demanderait de faire des travaux onéreux mais je pense qu’ils seraient disposés à faire les démarches."

"Si les effectifs féminins augmentent, les installations devront permettre de partager les vestiaires hommes-femmes."

Le directeur technique de l’arbitrage de la Fédération française de rugby, Franck Maciello, affirme pour le moment que "des mesures alternatives ont toujours été trouvées et satisfont l’ensemble des intéressées" en cas de mixité et que "la problématique, si c’est une problématique pour elles, n’a jamais été remontée." Avant de reconnaître : "Peut-être à nous de les sensibiliser sur le sujet et de les faire travailler autour de cette question". Selon l'ancien arbitre de rugby à XV, une fois que les effectifs d’arbitres féminins auront augmenté, "si nous arrivons à faire exploser ces compteurs, les installations devront permettre de partager les vestiaires hommes-femmes. Je sais pertinemment qu’il faudra se pencher sur d’autres accompagnements, insiste-t-il. Ça c’est clair." Et nécessaire. 

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