ENTRETIEN. Mondiaux d'athlétisme : "Il y a d'autres pays qui prennent le sport plus au sérieux", regrette Stéphane Diagana
Sept jours de compétition et toujours aucune médaille. Après les cinq de Londres en 2017, les deux de Doha en 2019, et l'unique en or de Kevin Mayer à Eugene en 2022, le bilan comptable de la délégation française ne sera pas mémorable, quoiqu'il arrive, à l'issue des ces championnats du monde à Budapest. Entre les olympiades de Pékin et de Tokyo, les Français ont décroché 34 médailles lors des quatre rendez-vous olympiques et six championnats du monde.
"La France a valu trois médailles en moyenne sur cette période à chaque grosse échéance internationale. C'est structurel parce qu'on a un système, une organisation qui amène à ça. Ça ne changera pas en fonction du président de la Fédération", assure Stéphane Diagana, consultant pour France Télévisions. A un an des Jeux olympiques de Paris, au-delà de changements à mener au sein de la Fédération française d'athlétisme, le champion du monde 1997 du 400 mètres haies estime que c'est d'abord la place du sport dans la société française qui est handicapante.
franceinfo: sport : Depuis plusieurs décennies, l'équipe de France d'athlétisme a bien du mal à dépasser les trois médailles lors des rendez-vous planétaires. Est-ce un problème de génération ou de détection ?
Stéphane Diagana : En ce moment, on connait un trou de génération sur une tranche qui est très contributive en termes de médailles. Sur la période des JO de Pékin à ceux de Tokyo, 48% des médailles ont été décrochées par les 26-29 ans. Et dans cette tranche-là, on a une génération qui n'a pas réussi à progresser suffisamment vite. Wilhem Belocian en fait partie : il a été champion du monde junior en 2014 mais n'a participé à sa première finale mondiale que cette année. On va arriver aux JO avec cette tranche d'âge qui sera très peu expérimentée.
Ceci dit, il y a d'autres pays qui prennent le sport plus au sérieux, très tôt, qu'on ne peut le faire nous. En Slovénie, ils mènent un suivi en matière de santé publique depuis quarante ans. En regardant les courbes, ils peuvent alerter ou bien repérer ceux qui ont des qualités particulières. Là-bas, les parents ont envie que leurs enfants soient en bonne santé, qu'ils fassent du sport et après s'ils sont champions, c'est très bien. Un système comme celui-ci, même dans un petit pays comme la Slovénie, donne des résultats. Certains vont dire qu'il y a aussi du dopage. C'est possible, en Slovénie comme partout. Mais nous, si on ne veut pas utiliser ces moyens artificiels, il faut qu'on soit plus performant sur la détection.
En quoi la détection des talents est-elle défaillante ?
C'est d'abord un problème d'accès à la pratique. On a 300 000 licenciés mais on a une érosion du nombre de pratiquants à partir des cadets. De cadets à juniors, on en perd 30%, et après on en perd encore 30% chez les espoirs. Ça veut dire qu'on a environ 5 000 espoirs pour 40 disciplines, ce n'est pas assez. Et pourquoi on n'en a pas assez ? Je l'entends car je suis président de club, c'est un problème de culture, de perception et de place du sport.
J'ai des parents qui refusent que leur enfant s'entraîne deux fois par semaine car il entre en sixième. Les études montrent pourtant que le sport apporte un épanouissement, on y découvre autre chose, on apprend autrement. C'est cette culture qu'il faut changer.
"Si on continue comme ça, je pense que gagner trois médailles aux JO ou aux Mondiaux deviendra exceptionnel."
Stéphane Diagana, champion du monde du 400 m haies en 1997à franceinfo: sport
Faudrait-il revoir la place du sport à l'école ?
Je pense qu'il y a un petit peu moins d'enseignants d'EPS qu'avant qui sont aussi impliqués dans la vie des clubs et qui font la passerelle. Quand ils le font, il faut saluer leur travail, car historiquement, cela a beaucoup fonctionné comme ça. Je pense que le problème est plus global. Il y a un problème de reconnaissance. Tous les profs d'EPS vous diront qu'ils ne sont pas reconnus.
Le second problème avec le sport et l'école, c'est qu'avec les rythmes scolaires, c'est parfois très compliqué de continuer la pratique. Le nombre de licences des garçons de 10-11 ans, tous sports confondus, est plus important que le nombre d'enfants de cet âge car ils sont parfois licenciés dans deux disciplines différentes. Et à partir de l'entrée au collège, ça ne fait que réduire.
"C'est un problème de santé publique qui conduit à un problème de performance."
Stéphane Diagana, consultant pour France Télévisionsà franceinfo: sport
Ensuite, on sélectionne par la performance sportive et donc par la précocité. Mais la précocité n'est pas une garantie pour la suite. Et pour ceux qui sont juste en dessous, c'est très compliqué et ils arrêtent. On peut, peut-être, envisager au niveau local des listes de haut niveau régional qui permettent de déroger facilement à la carte scolaire pour autoriser les élèves à étudier dans un établissement proche de là où ils s'entraînent. Toutes ces choses-là ont des conséquences sur le haut niveau parce que nos jeunes vont pouvoir continuer. Et certains ont besoin de temps pour passer un cap.
Au plus haut niveau, faudrait-il apporter un regard neuf dans la fédération, avec peut-être des embauches d'entraîneurs étrangers, comme ont pu le faire les fédérations de natation ou d'escrime ?
Je pense que c'est nécessaire. On a de bons cadres techniques mais dans certaines spécialités, il y en a moins. Et même si les compétences sont là, il faut toujours les améliorer et cela amènera une ouverture. Les cadres techniques ont été une force. Aujourd'hui, cette force devient notre faiblesse parce qu'on a qu'une seule vision, une seule approche. En France, on va se dire qu'il faut toujours trouver quelqu'un parmi nous parce qu'on a ce vivier de cadres techniques. Pourtant, parfois, on n'a pas les compétences alors il faut venir embaucher, même temporairement, aller chercher des gens qui ont un autre regard.
On voit qu'à l'étranger, les athlètes s'entraînent souvent dans des groupes. Est-ce une des clés du succès d'amener les Français à se regrouper par discipline ?
Je suis assez convaincu qu'un des facteurs clés de succès est l'émulation. Sasha Zhoya, Wilhem Belocian n'arrêtent pas d'en parler. Sasha Zhoya s'entraîne parfois avec Grant Holloway [triple champion du monde]. S'entraîner seul avec son entraîneur, pour moi, est un facteur limitant.
Il y a des facteurs clés du succès, il faut bien les identifier. Si on n'en coche que cinq sur dix, on ne peut pas vouloir faire de la haute performance. Et c'est là qu'il faut peut être aider certains athlètes à se rendre compte de ce que le haut niveau exige.
L'émulation est clairement identifiée comme un facteur de performance quand on regarde la concurrence à l'étranger, qui s'entraîne dans une logique de groupes. C'est une démarche actuelle menée par la direction de la haute performance. Mais ce n'est pas facile car pour pousser au regroupement, il faut des entraîneurs qui soient attractifs et incontestables. Aujourd'hui, on n'a plus d'entraîneurs vers lesquels se diriger comme une évidence. Dans certaines disciplines, on manque de coachs qui ont suffisamment de palmarès derrière eux pour que les athlètes se disent qu'ils font le bon choix.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.