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ENTRETIEN. Mondiaux d'athlétisme : les résultats de l'athlétisme français "ne vont pas s'arranger d'un coup de baguette magique", s'inquiète Christine Arron

Pour fêter les 25 ans de son record d'Europe sur le 100m à Budapest et les 20 ans de son titre mondial sur le relais 4x100m féminin à Paris en 2003, l'ancienne sprinteuse Christine Arron a rejoint la délégation tricolore à Budapest, jeudi.
Article rédigé par Apolline Merle, franceinfo: sport - Envoyée spéciale à Budapest
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Toujours détentrice du record d'Europe du 100m féminin depuis 1998, l'ancienne sprinteuse Christine Arron s'est rendue à Budapest pour célébrer les vingt ans de Paris 2003, année exceptionnelle pour l'athlétisme français, le 24 août 2023. (Gaëlle Mobuchon / FFA)

Une ancienne gloire pour mettre du baume au cœur à la délégation tricolore. Il y a 25 ans, la sprinteuse Christine Arron devenait, à Budapest, championne d'Europe du 100 m et nouvelle détentrice du record de la discipline reine (10''73), sur le Vieux Continent. Cinq ans plus tard, elle faisait partie du relais du 4x100 m féminin qui remportait l'or aux championnats du monde de Paris 2003.

A l'occasion de ce double anniversaire, la désormais adjointe aux Sports au maire de la ville de Champigny-sur-Marne a fait le déplacement jusqu'en Hongrie. Pour franceinfo: sport, elle revient sur cette génération dorée de l'athlétisme français et sur les déboires de l'actuelle qui peine à exister au plus haut niveau mondial.

franceinfo: sport : Quels sont vos souvenirs de ces championnats d'Europe en 1998 à Budapest et des championnats du monde à Paris en 2003, dont on fête cette année les vingt ans ?

A Budapest, il y avait une bonne ambiance. Je me rappelle même de certains petits reportages que France 2 avait tourné, c'était marrant. Je me rappelle aussi que j'avais reçu mes pointes au dernier moment pour courir (rires). Ce sont des petits souvenirs comme ça dont je me souviens. Et puis, après les Mondiaux d'Athènes en 1997 [où elle termine au pied du podium sur le 100m], Budapest était un championnat que j'attendais tout particulièrement parce que je savais que j'étais en forme et j'attendais "de confirmer", mais surtout de faire beaucoup mieux que ce que j'avais fait l'année d'avant. J'étais super motivée d'être là et de pouvoir courir.

Et Paris 2003 ?

A Paris, c'était mon premier championnat du monde depuis Séville en 1999 et après les Jeux olympiques de Sydney. J'avais été blessée, puis je suis partie aux Etats Unis. Ensuite, j'ai eu mon fils, il y a eu une phase assez longue, environ deux ans, sans compétition. Donc, j'avais faim. J'avais hâte puisque je suis bien revenue de ma maternité.

"J'étais prête pour Paris, et d'être devant son public, ça n'arrive pas souvent. Je voulais bien faire, et ne pas décevoir."

Christine Arron, détentrice du record d'Europe du 100m

à franceinfo: sport

Il y avait cette pression supplémentaire, mais en même temps, je trouvais cela bien de pouvoir enfin profiter, ressentir l'énergie du public. Sur le coup, on ne réalise pas vraiment les performances que l'on fait. C'est toujours le regard des gens sur vous qui montre l'importance de ce que vous avez réalisé. J'ai eu cette déception sur le 100m [elle termine 6e mais sera finalement 5e après le déclassement d'une adversaire pour dopage], mais j'étais quand même contente d'avoir retrouvé mon niveau après ma grossesse.

Surtout qu'à l'époque, il était plutôt rare que les athlètes fassent des pauses maternité dans leur carrière avant de revenir...

Oui, j'étais parmi les toutes premières sportives à avoir un enfant pendant sa carrière. On ne connaissait pas trop la façon dont il fallait faire les choses. Surtout que j'avais pris trente kilos et qu'il fallait que je revienne très vite (rires). J'ai réussi à revenir après six mois. Depuis, ça a ouvert la voie à d'autres athlètes, les statuts ont évolué, comme les protections des athlètes quand elles sont enceintes. Pour moi, c'était une fierté. Même si j'aurais aimé être sur le podium évidemment sur le 100 m, le relais a été une belle revanche.

Christine Arron (à gauche) après sa victoire en finale du 100 mètres lors des championnats d'Europe d'athlétisme à Budapest en 1998. (ATTILA KISBENEDEK / AFP)

Vingt-cinq ans plus tard, vous êtes toujours la détentrice du record d'Europe du 100 mètres en 10''73. Est-ce une fierté ?

Oui, complètement. Parfois, on ne me présente plus comme championne d'Europe, mais comme détentrice du record d'Europe. Comme s'il s'agissait d'un titre qui reste gravé. Espérons que cela dure encore longtemps (rires). À l’époque, je ne me suis jamais demandé s'il pouvait tenir longtemps ou non, même si je savais que c'était quand même une performance de très haut niveau, puisqu'au moment où j'ai réalisé ce record, il s'agissait de la troisième meilleure performance mondiale. Pas européenne, mondiale, donc c'était quand même une grosse marque.

Parlons de l'équipe de France actuelle. Cette année, aucune Française n'était engagée sur le 100m et le 200m, et chez les hommes, seul Mouhamadou Fall a été invité sur le 100m. Comment expliquez-vous les difficultés du sprint français, en individuel et en relais ? 

Il y a un trou générationnel, mais il n'y a pas que ça. Je pense qu'on a tout simplement eu de la chance, à un moment donné, d'avoir différents athlètes performants en équipe de France. Nous étions plusieurs à être bons, sur le sprint mais dans d'autres disciplines aussi. Il y a peut-être eu un problème de détection, mais surtout, on commence trop tard le sport en France. Nous ne sommes pas une nation sportive.

"Il faut commencer plus tôt. Le problème est qu'on vous aide une fois que vous avez réussi, mais avant de réussir, il y a tout un parcours qui est souvent, je pense notamment au mien, semé d'embûches."

Christine Arron, championne du monde du relais 4x100m

à franceinfo: sport

Il n'y a pas de moyens suffisants mis en place pour que l'on donne la chance aux jeunes d'aller dans tel ou tel sport. Et ainsi, peut-être qu'en athlétisme, on aurait eu un peu plus de jeunes recrutés et derrière, avoir plus de chances d'avoir des médailles. Bien que la fédération aide et essaie de trouver des solutions, le constat est là. 

Que faudrait-il changer pour inverser la tendance ? 

Il faut déjà commencer les entraînements plus tôt, et avoir plus d'écoles d'athlétisme notamment. Il faut aussi que les clubs soient aidés, et que les entraîneurs soient mieux formés.

La France n'a toujours pas débloqué son compteur de médailles, à Budapest. Est-ce que cela vous inquiète pour Paris 2024 ?

Cela fait longtemps que je suis inquiète. C'est un travail qui n'a de toute façon pas été fait il y a très longtemps. On a de la chance qu'il y ait quelques jeunes qui pointent le bout de leur nez. Mais les choses ne vont pas s'arranger d'un coup de baguette magique. En un an, rien ne va changer entièrement, c'est sûr. Mais il faut aussi souligner qu'on n'a jamais eu énormément de médailles aux championnats du monde. Paris 2003, c'était exceptionnel. 

Cela vous attriste-t-il de voir l'athlétisme français dans cette situation ? 

Oui, c'est un peu triste. J'étais déjà triste l'année dernière quand j'ai vu pour la première fois qu'il n'y avait pas de relais aux championnats du monde, et même pas de sprinteurs hommes ou femmes. Je ne dirais pas que c'est la base, mais c'est la discipline reine quand même. En relais, on a quand même une école française qui fonctionne assez bien.

"On a toujours au moins fait les finales, si ce n'est des médailles. Donc oui, c'est triste qu'il n'y ait personne à supporter."

Christine Arron, ancienne sprinteuse

à franceinfo: sport

On a eu des sprinteuses qui se rapprochaient des 11 secondes, mais elles le faisaient au championnat de France, et pas en championnat mondial. Je n'arrive pas à comprendre comment cela n'a pas été converti.

Cela vous donne-t-il envie de vous engager auprès de la Fédération ?

En 2021, quand mon contrat s'est terminé, j'avais proposé mes services. Je pense que mon expérience aurait pu être utile aux jeunes athlètes. J'étais intéressée soit par le relais ou par le haut niveau. Mais il y a eu beaucoup changements à ce moment-là, notamment de DTN (Directeur Technique National), et les choses ont traîné. Et cela ne s'est pas fait. Maintenant, c'est trop tard. 

Quel est votre rapport à l'athlétisme aujourd'hui ? 

Pas grand-chose (rires). Je regarde quand j'y pense. L'athlétisme reste mon sport, mais j'ai toujours préféré pratiquer que regarder (rires), d'en être actrice. C'est vrai que cela me manque un peu de ne pas courir, de ne pas faire les compétitions, de ne pas être dans cette ambiance d'entraînement, parce que moi, c'est ce qui m'a amené à l'athlétisme, pour retrouver les copines, pour le plaisir d'être ensemble et de tisser des liens.

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