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Mondiaux d'athlétisme 2022 : de Kiev à Eugene, l'inconfortable itinérance des athlètes ukrainiens

La délégation ukrainienne compte 22 athlètes à Eugene. Depuis l'invasion russe, ces sportifs naviguent d'un pays à l'autre entre stages d'entraînement et compétitions, loin de tout espoir de pouvoir se réinstaller prochainement chez eux.

Article rédigé par franceinfo: sport - Anaïs Brosseau
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Les sauteuses en hauteur ukrainiennes Iryna Gerashchenko, Yuliya Levchenko, Yaroslava Mahuchikh et Kateryna Tabashnyk (de gauche à droite), au meeting de Paris, le 18 juin 2022. (VICTOR JOLY / DPPI / AFP)

Sauver sa vie avant tout. Puis tenter de retrouver un quotidien de sportif de haut niveau. Depuis le début de l'invasion russe en Ukraine, comme des millions d'autres, la majorité des athlètes de l'équipe nationale ukrainienne ont pris la route de l'exil. Ils ont laissé derrière eux leur maison, leurs proches, leur stade d'entraînement. Grâce au soutien de la communauté internationale d'athlétisme, 22 d'entre eux participent du vendredi 15 au 24 juillet aux championnats du monde, à Eugene, dans l'Oregon (Etats-Unis). 

Parmi eux, Nataliya Strebkova s'aligne samedi, à 19h35 (heure de Paris), sur les séries du 3 000 m steeple, deux semaines après avoir battu le record national de l'épreuve à Stockholm (Suède). Un exploit pour une athlète qui s'entraîne seule depuis quatre mois. "Mon entraîneur est resté en Ukraine. Il m'envoie mes plans d'entraînement par écrit et il m'appelle", raconte-t-elle à franceinfo: sport. 

Depuis son départ de Kiev le 16 mars, l'Ukrainienne de 27 ans vogue d'une nation à l'autre : Turquie, Lituanie, Pays-Bas, Espagne, Suède et désormais Etats-Unis. "Les fédérations turque et lituanienne ont payé mes stages d'entraînement dans leurs structures. Ensuite, les organisateurs des compétitions auxquelles j'ai participé ont financé le voyage et l'hébergement", détaille l'athlète, qui a dû se résoudre à fuir sans son mari.

Chaîne de solidarité

Devant le drame vécu par ces sportifs, la Fédération internationale d'athlétisme (World Athletics) se mobilise. Avec la Fondation internationale d'athlétisme et les membres de l'association de la Ligue de diamant, elle gère depuis début avril un fonds de solidarité pour "soutenir les athlètes professionnels et leur famille immédiate (parents, enfants, conjoint) affectés par le conflit" en Ukraine.

Doté au départ de 190 000 dollars (depuis gonflé à 220 000 dollars), ce fonds vise à "s'assurer que les athlètes élite et leur entourage sportif puissent continuer de s'entraîner, de se qualifier et de participer aux Mondiaux d'Eugene et de Cali [pour les moins de 20 ans]", pose World Athletics. Selon la fédération, au 30 juin, 53 athlètes, 25 coachs et officiels et 18 proches (dont des enfants) en ont bénéficié.

L'argent permet de financer des stages d'entraînement et des logements temporaires pour les athlètes en Europe, ainsi que leurs trajets vers les compétitions ou encore du matériel. La quasi-intégralité des frais liés à la participation de l'équipe d'Ukraine aux Mondiaux d'Eugene a d'ailleurs été financée par le fonds mis en place par World Athletics. De son côté, le Comité olympique international a annoncé, le 3 juillet, son intention de tripler son aide directe aux sportifs ukrainiens (toutes disciplines confondues), la portant à 7,5 millions de dollars (contre 2,5 à l'origine). 

Mal du pays

Oleksii Serdiuchenko, chef de l'équipe ukrainienne à Eugene, estime à 600 le nombre d'athlètes portant le maillot national, sur piste et sur route, tous âges et tous niveaux confondus. "On essaye d'aider tout le monde mais c'est difficile. A partir de ces fonds, on fait des propositions pour répondre à des besoins qui diffèrent selon les personnes", explique-t-il à franceinfo: sport depuis Chula Vista, en Californie, où l'équipe ukrainienne a finalisé sa préparation avant les Mondiaux.

"Notre priorité est d'abord de sauver la vie d'athlètes. Ensuite, de leur donner la possibilité de s'entraîner."  

Oleksii Serdiunchenko, entraîneur en chef de l'équipe ukrainienne

à franceinfo: sport

Sans perspective de retour immédiat, les athlètes sont forcés de vivre dans les valises. "J'ai vraiment envie de rentrer chez moi", lâchait le 6 juin Yaroslava Mahuchikh sur Instagram, triste à l'idée de retrouver son "logement temporaire". La veille, les yeux maquillés aux couleurs de son pays, la sauteuse en hauteur de 20 ans avait remporté le concours organisé Rabat (Maroc) dans le cadre de la Ligue de diamant.

S'entraîner au son des alarmes

Deux semaines plus tard, sa compatriote Nataliya Strebkova a décidé quant à elle de revenir à Kiev une dizaine de jours. "Mon mari et ma famille me manquaient trop." Mais les alarmes quotidiennes, annonçant un bombardement imminent, l'empêchent de se concentrer sur ses séances. "Mes entraînements n'étaient pas bons. J'avais peur. Les gens vivent cela tous les jours, c'est affreux, souffle-t-elle. Il y a quelques jours, mon mari m'a appris que cinq roquettes avaient explosé à moins de deux kilomètres de la maison. Chaque jour, les nouvelles sont terribles."

A l'inquiétude constante pour leurs proches restés sur place s'ajoute l'inconfort d'une vie en suspens. "Je suis libre de mes mouvements, mais paralysée dans mes émotions. Trop de peur, trop de désespoir, trop de douleurs", s'est ainsi épanchée la spécialiste du triple saut Maryna Bekh-Romanchuk, le 8 juillet, sur Instagram. Quelques semaines plus tôt, elle confiait trouver du réconfort et de la motivation avant l'entraînement dans l'écoute de chansons ukrainiennes.

Après les Mondiaux d'Eugene, Nataliya Strebkova espère que son mari, également athlète, pourra la rejoindre sur son lieu de stage de préparation des championnats d'Europe de Munich (11 au 21 août). "Si ce n'est pas le cas, je retournerai à la maison m'entraîner." Au-delà de cette dernière échéance de l'été, impossible pour elle de se projeter.

Des athlètes en mission

A Eugene, en plus de viser des médailles, ces sportifs se donnent pour mission de porter haut leurs couleurs. "Nous voulons encourager tous les Ukrainiens, inspirer nos soldats. Si on gagne des médailles, les habitants pourront lire dans les journaux autre chose que des nouvelles liées à la guerre", clame Oleksii Serdiuchenko. Malgré ses difficultés au quotidien, Nataliya Strebkova assure avoir à cœur de "faire de son mieux" : "Chacun fait son travail. Les soldats sont sur la ligne de front, les médecins sont mobilisés dans les hôpitaux, moi je peux courir et montrer au monde que nous sommes forts malgré la guerre."

En mars déjà, l'équipe au drapeau bleu et jaune a démontré sa résilience lors des Mondiaux en salle à Belgrade (Serbie). Moins d'un mois après le déclenchement de la guerre, la petite délégation ukrainienne (six athlètes féminines) a offert à son pays deux médailles. Yaroslava Mahuchikh a décroché l'or à la hauteur, tandis que Maryna Bekh-Romanchuk s'est offert l'argent au triple saut.

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