Cet article date de plus d'un an.

Mondiaux d'athlétisme : souples ou dures, en carbone ou fibre de verre, de tailles variables... Comment les sauteurs choisissent leurs perches

Article rédigé par Anaïs Brosseau, franceinfo: sport - Envoyée spéciale à Budapest
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
L'Américaine Sandi Morris, la vice-championne du monde 2022 du saut à la perche, lors du concours de qualification des Mondiaux de Budapest, le 21 août 2023. (MATTHIAS SCHRADER / AP)
La finale masculine du saut à la perche se tient samedi soir à Budapest. Dans leur étui, les athlètes ont glissé une dizaine de perches. A eux de choisir la bonne, au bon moment, pour s'envoler le plus haut possible.

Posés sur des tréteaux métalliques, des étuis colorés abritent les perches des voltigeurs de l'athlétisme. Des compagnes encombrantes mais indispensables. Sans elles, impossible de vivre le vertige d'une chute libre de cinq ou six mètres. A Budapest, pour les championnats du monde d'athlétisme, les perchistes ont chacun emporté une dizaine de ces longs tubes. Pour effacer des barres de plus en plus hautes, à eux de choisir la bonne perche, au bon moment.

"Sur un grand championnat, l'idée est qu'on ne manque surtout pas de perches. J'en ai des très dures jusqu'à des très molles si jamais on a du vent de face", précisait la championne de France Margot Chevrier, à l'avant-veille de son concours de qualifications. Avant de s'envoler pour le camp d'entraînement à l'Insep puis pour la Hongrie, la Niçoise – qui a échoué lundi 21 août à intégrer la finale mondiale – avait glissé douze perches dans son étui. "Dans le lot, j'en ai trois ou quatre que je n'ai jamais utilisées car il faut que ce soit les bonnes conditions le bon jour. Et parfois tu penses que les conditions sont bonnes et en fait tu n'es pas dans un bon jour et donc tu ne la sors pas."

En bois, aluminium ou fer par le passé, les perches sont désormais conçues en fibre de verre ou en carbone. Le recordman du monde Armand Duplantis saute avec une perche en fibre de verre, reconnaissable à sa couleur blanche, quand son dauphin aux Mondiaux 2022, Chris Nilsen, s'envole grâce à un engin en carbone de couleur noire. "La perche carbone est plus légère et le renvoi est différent. Elle est plus tonique", détaille Valentin Lavillenie, rare athlète à avoir franchi 5m80 avec les deux types de matériau. 

Longueur, matériau, diamètre au choix

Comme le règlement de la fédération internationale l'indique, "la perche pourra être faite de n’importe quel matériau ou combinaison de matériaux et mesurer n’importe quelle longueur et n’importe quel diamètre, mais la surface devra être lisse". Au plus haut niveau, les perches des athlètes féminines mesurent entre 4m30 et 4m60, celle des hommes entre 4m90 et 5m20. "On choisit la longueur en fonction de son gabarit. Il n'y a pas de règle, on peut sauter haut avec des petites ou des grandes perches", assure Ninon Chapelle, détentrice du record de France de la discipline et 14e des qualifications lundi. 

Si une perche ne pèse pas lourd, autour de quatre kilos, le ressenti pour l'athlète est bien supérieur. "C'est comme si vous prenez un balai à la main. Si vous le saisissez au milieu, c'est léger, mais si vous placez votre main au bout, vous devrez forcer pour le tenir en l'air", compare Valentin Lavillenie. Une fois la longueur de l'engin déterminée, l'athlète dispose d'un grand choix de grosseur. "Les perches ont des duretés différentes. Plus elle est grosse, et donc dure, plus son indice de flexion est faible. Quand le concours avance, on va diminuer l'indice car le renvoi est plus fort si la perche est plus dure", décrypte Valentin Lavillenie. Plus dure, la perche demandera à son propriétaire une plus grande force et une technique irréprochable pour la plier. Lors de son record du monde en 2014, Renaud Lavillenie a sorti une perche à l'indice de dureté 13,8, quand son prédécesseur Sergueï Bubka en utilisait une classée 10,8.

Environ 800 euros la perche

Pour s'envoler, le perchiste doit d'abord apprendre à connaître son matériel, sa réaction selon sa forme du moment. D'une compétition à l'autre, le sauteur commence le plus souvent son concours avec le même engin si sa condition physique et la météo sont en adéquation. En revanche, "quand un athlète est en progression constante, parfois une perche qui lui semblait dure va un jour lui sembler souple et il devra en changer pour en prendre une plus grosse", détaille Valentin Lavillenie. Une expérience vécue par Margot Chevrier en 2022. La perchiste avait progressé dans tous les secteurs et devait constamment changer de perche jusqu'à devoir en acheter de nouvelles. Pour acquérir une nouvelle compagne de saut, un athlète de haut niveau devra débourser entre 750 et 950 euros.

Le décathlète américain Ashton Eaton a brisé une de ses perches lors du décathlon des JO de Rio en 2016. (ADRIAN DENNIS / AFP)

"Pour être bien, je dirais qu'il faut une trentaine de perches entre celles d'entraînement et de compétition", estime Valentin Lavillenie, qui prête une partie des siennes au Français Anthony Ammirati, champion du monde junior 2022. Bien entretenue, une perche peut durer. Mais les accidents, spectaculaires et rares, arrivent aussi. Sous la contrainte, une perche peut se briser.

L'angoisse du transport

Quand arrive l'heure du voyage, les sauteurs partagent une même angoisse : celle d'arriver en compétition sans leurs compagnes de performance. Les perchistes préfèrent souvent transporter leur matériel en voiture, sur des barres de toit. "Jusqu'à cinq heures de trajet, j'opte pour la voiture car c'est plus simple. Sinon, comme elles sont interdites de train, il faut passer par un transporteur ou bien par avion avec le service des bagages hors format", indique Valentin Lavillenie.

Certaines compagnies aériennes refusent, d'autres se montrent arrangeantes. Mais les galères sont fréquentes. "Au chargement des bagages, parfois les employés n'ont pas envie de s'embêter, râle le perchiste français, qui a dû concourir sans ses perches deux fois cette saison. Depuis, j'ai placé un outil de géolocalisation sur mon étui pour savoir où elles se trouvent." Pour Margot Chevrier, "les ennuis de transport font partie de la saison". Lors des meetings, aux athlètes de gérer, du transport dans l'aéroport aux réclamations en cas d'incident. "On perd en influx nerveux. En championnat, c'est différent. Ce sont les coachs et la fédération qui s'en occupent", complète la Niçoise.

Néanmoins, si un athlète arrive dans le stade sans ses perches, la solidarité joue. Les perchistes s'échangent du matériel. "À Hengelo (Pays-Bas), on m'en a prêté mais je saute avec les perches les plus petites du circuit. Il y avait un monde d'écart et ça m'a mis dedans", témoigne Valentin Lavillenie. À Budapest, si des bagages des Tricolores ont un temps été égarés, tous les étuis de perche sont arrivés à bon port. Avec, à l'intérieur, le passeport pour franchir l'espace aérien. 

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.