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Pourquoi Kevin Mayer et d'autres athlètes ont-ils décidé d'aller plus loin dans l'antidopage?

Kevin Mayer, Mélina Robert Michon ainsi que sept autres athlètes ont annoncé ce mardi s’engager pour le programme Quartz, une plateforme de recueil des informations de santé des athlètes visant à un sport plus propre. Si celle-ci travaille main dans la main avec les institutions d’antidopage, elle s’en détache par sa méthode et sa visée. 
Article rédigé par Guillaume Poisson
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 6 min
  (STEPHANE KEMPINAIRE / KMSP)

Quartz, c’est quoi ? 

C’est une plateforme qui fournit un suivi de santé aux athlètes, et qui a pour but de contribuer à la lutte antidopage.  Son but est de rassembler les données de santé de chaque athlète (bilans sanguins, prise de médicaments, tests  urinaires, salivaires, procès verbaux des contrôles antidopages…) afin que l’on puisse examiner de manière continue le "profil" de celui-ci. "L’idée est de construire un sport sans médicament" assure Pierre Sallet, l’un des médecins à l’origine du programme et directeur général de l’association-mère Athletes for Transparency. Sans médicament, car l’une des dérives du système antidopage actuel est de laisser, en partie, se développer la consommation de médicaments qui stimulent la performance. 

Pourquoi faut-il aller plus loin que les procédures d’antidopage institutionnelles ?

La liste des médicaments interdits de l’AMA n’inclut pas, par exemple, le tramadol, certains anti-inflammatoires, ou encore le levothyrox. Ce sont là des substances qui, non seulement peuvent améliorer la performance, mais en plus mettent en danger les athlètes de haut niveau, en fonction de leur profil. Dans bien des cas, le dopage commence par la prise de ces médicaments autorisés mais dangereux. 
 

Par ailleurs, les contrôles antidopage ont le désavantage de rechercher la présence d’une substance interdite dans les urines ou le sang à un instant T. Une dose d’EPO laisse des traces pendant quelques heures dans le sang ; il suffit que le contrôle se fasse un peu plus tard pour qu’il soit négatif.  Or, "Quartz s’intéresse aux effets de ces substances dans l’organisme" En d’autres termes, puisque Quartz a accès au profil des athlètes, si une substance a été ingurgitée, son profil en sera affecté.  "L’EPO peut disparaître en 6h et vous n’en trouverez plus trace dans les urines alors que ses effets peuvent durer plusieurs semaines. Le timing d’un contrôle antidopage est donc capital", explique-t-on chez Quartz. Dans ce programme, le moment importe peu : les données de santé permettent d‘établir la normalité de l’athlète, et si celui-ci profite des effets d’une substance, son profil ne sera plus normal. Une alerte sera alors lancée. 

Qu’est-ce qui pousse les athlètes à faire tant d’efforts ? 

Vous l’avez forcément déjà entendue. Peut-être même l’avez vous prononcée vous-même, cette phrase. "De toute façon, ils sont tous dopés". Elle est synonyme de cauchemars pour certains athlètes. Sophie Duarte, détentrice du record de France du 3000m steeple, raconte à quel point cela la touche. "Quand  certains vous disent : regarde tous les dopés, ce n’est pas possible que tu gagnes sans le faire aussi, que voulez-vous répondre ? Qu’on a fait des centaines de contrôles et qu’ils ont tous été négatifs ? Lance Armstrong en avait fait 250, tous négatifs. Vous connaissez la suite. En 2007, quand je bats le record de France du 3000m steeple, plusieurs athlètes que j’ai battues ont été convaincues de dopage par la suite. Comment convaincre les gens que je n’étais moi-même pas dopée ?" L’impossibilité de se défendre face aux accusations. La peur de voir son sport sali et repoussant pour les jeunes. Et aussi l'affaire Calvin. "Ce qui s'est passé récemment m'a fait exploser". Voilà ce qui a motivé Sophie Duarte à aller plus loin. "J’ai vraiment espoir que tout ça change avec Quartz !"

Ce programme sera-t-il vraiment la solution miracle ?

En trail en tout cas, il s’est rapidement implanté ; et très profondément. Les 70 premiers mondiaux suivent Quartz. 82 événements sont estampillés Quartz. Erik Clavery, champion du monde de trail en 2011, hésite quand on lui demande s’il suit le programme. "Quartz ? Je pense que j’y suis oui...Je ne sais plus !" Pourtant, il met bien à disposition toutes ses données, à chaque visite médicale, à chaque médicament pris. "Mais j’en prends tellement rarement...Et puis ça fait longtemps qu’ils sont là. On s’est habitués". Si implantés qu’ils font désormais partie du paysage. Envoyer ses ordonnances dès que l’on a un mal de tête et qu’on prend un Doliprane ? La routine ! "Quartz, je suis complètement pour ce qu’ils font. C’est aussi ma philosophie depuis le départ : je pense qu’il faut faire du sport avec le moins de médicaments possible. C’est important. Par contre, je suis contre la possibilité de rendre toutes ses données publiques". 

La transparence totale, est-ce un problème ? 

Quartz repose également sur une méthode de transparence assez jusqu’au-boutiste : si l’athlète le veut, il ou elle peut rendre l’intégralité de ses informations médicales accessibles à tous. Si vous allez faire un tour sur le site de Quartz et que vous tapez le nom d’un (e) des athlètes inscrits, analyses biologiques, contrôles antidopages, médicaments utilisés, compléments alimentaires déclarés sont ouverts à tous. Vocabulaire (très) technique inclus. 

Sophie Duarte a accepté que l’on publie ses données dans cet article. Pour elle, la bataille passe par cette transparence. Quitte à empiéter un peu sur la liberté des personnes à  garder leurs données privées. "Aujourd’hui, hélas, on en est arrivé à un point où il faut dire : 'tant pis pour ces personnes qui ne veulent pas être transparentes. Je comprends que certains veuillent garder leur intimité'... Mais tant pis. C’est le prix à payer. Après je ne suis pas pour tout dévoiler non plus, le grand public n’y comprendra pas grand-chose aux passeports biologiques...". Jérôme Simian, préparateur physique de Kevin Mayer (entre autres), explique : "La pression sociale négative autour du dopage n’est pas assez forte.  Si dans les vestiaires, la pire des choses qu’on puisse faire était de se doper, on n'en serait pas là aujourd’hui. Le bénéfice est trop important par rapport aux inconvénients. La transparence, ça crée une culture. Ça met la pression sur ceux qui ne veulent pas y être".

Et c’est bien ce qui dérange un peu Erik Clavery, trailer professionnel. "Ce n’est pas sain de vouloir tout montrer, à tout le monde comme ça. Autant je suis d’accord que l’on soit transparent envers les autorités antidopages, que Quartz donne l’ensemble de nos données à ces autorités compétentes. Autant que n’importe qui puisse voir ce qu’il y a dans mon sang, je ne trouve pas cela sain. Et puis, ceux qui dévoilent tout comme ça, j’ai l’impression que c’est plus pour se dédouaner personnellement. Je n’aime pas ça." Du côté de Quartz, on est prudent sur ce volet transparence. "Les athlètes ont une option, celle de tout dévoiler au public. Mais ça reste une option. C’est important de le dire : tous les athlètes peuvent dire non, et même s’ils disent oui, à n’importe quel moment changer d’avis et fermer l’accès à leurs données" assure Pierre Sallet.

Marjolaine Viret, avocate du sport, spécialisée dans l’antidopage, affirme ne pas voir de contre-indication juridique "du moment que la sécurité des données est assurée, et qu’une information appropriée (permettant un consentement éclairé) est donnée". Or, l’athlète est entièrement consentant au moment d’accepter que Quartz publie ses données. Elle poursuit : "Le simple risque que la pratique de rendre les données publiques puisse se ‘démocratiser’ dans un sport et que certains sportifs se sentent soudain ‘obligés’ d’y souscrire pour des raisons d’image, etc., ne me semble pas comparable juridiquement au consentement forcé qui est actuellement requis dans le cadre de la réglementation antidopage." Pour participer aux compétitions, le sportif n’a pas le choix : il doit se soumettre au système de contrôle. En d’autres termes, sur le plan de la loi, les contrôles antidopages classiques peuvent poser plus de problème en ce qui concerne la protection des données  des personnes. 

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