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Dopage dans l'athlétisme : faut-il croire aux performances des champions à Pékin ?

Les révélations du "Sunday Times" et de l'ARD sur les profils sanguins suspects de certains athlètes sont encore fraîches dans les esprits.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
Des produits dopants accumulés au laboratoire antidopage de Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine). (FREDERIC STEVENS / GETTY IMAGES)

Les chiffres ont semé le doute. Une enquête de la chaîne allemande ARD et du quotidien britannique The Sunday Times a révélé, début août, qu'environ 15% des athlètes de haut niveau présentaient un profil sanguin suspect. De plus, un médaillé olympique sur trois dans les épreuves d'endurance serait sujet à caution entre 2001 et 2012. Alors que se déroulent les championnats du monde d'athlétisme, jusqu'au dimanche 30 août à Pékin (Chine), faut-il encore croire aux exploits des athlètes sur la piste ? Eléments de réponse. 

L'athlétisme est-il vraiment gangrené par le dopage ?

Gangrené, peut-être pas, mais il n'est pas épargné, c'est certain. Malgré les déclarations de Lamine Diack, le président sortant de la fédération internationale d'athlétisme (IAAF), qui veut croire que "99% des athlètes sont clean", car "nous ne pouvons pas nous permettre d'avoir un doute sur une performance". Ce n'est pas vraiment ce qui ressort d'une étude diligentée par la fédération internationale elle-même, avant les Mondiaux de Daegu (Corée du Sud) en 2011. Les athlètes étaient invités à répondre à un questionnaire anonyme. Il en ressort que 29% d'entre eux ont eu recours à des produits dopants durant l'année écoulée. Cette année-là, à Daegu, seuls deux athlètes – une fondeuse portugaise et un sprinter coréen – ont été contrôlés positifs. L'écart interpelle, le doute s'instille.

"On ne peut pas prouver qu'on est propre, malheureusement, se désole la marathonienne britannique Paula Radcliffe dans une interview à la BBC. Un système de détection du dopage fiable à 100% n'existe pas." Radcliffe, qui détient le record du monde de la spécialité avec trois minutes d'avance sur la concurrence, n'a jamais été contrôlée positive. Mais, chez les aficionados d'athlétisme, le doute demeure. Le site de référence LetsRun.com a mené l'enquête auprès des fans sur l'image des détenteurs de record du monde. Radcliffe conserve une belle cote, avec 72% des fans qui la jugent "propre". A comparer avec les petits 7% qui jugent que Jarmila Kratochvilova n'était pas dopée lors de son record du monde du 800 mètres, le plus vieux de l'athlétisme

Les sportifs sont-ils efficacement contrôlés ?

Non. "Il faut vraiment être stupide pour être contrôlé positif en compétition", écrit Mads Drange, un ancien médecin responsable de la lutte antidopage en Norvège, dans le livre-choc Den Store Dopingbloffen – Le Grand Bluff du dopage en VF. Une analyse positive n'intervient que lors de 1 à 2% des contrôles effectués à l'occasion des grandes compétitions, relève le Guardian. Et encore, pour peu que la formule du test ne soit pas trop vieille. "Vous pouvez fabriquer le meilleur test du monde, le système le videra de son sens en trois ans", a déploré le spécialiste allemand Perikles Simon, lors de la conférence Play the Game. D'après lui, l'arrivée d'un nouveau test de détection de l'EPO a entraîné une baisse spectaculaire des performances des meilleurs sur le 5 000 mètres... jusqu'à ce que la parade soit trouvée.

Les tests hors compétition sont présentés comme l'alpha et l'oméga de la lutte antidopage. C'est vrai... mais pas dans leur forme actuelle. Aujourd'hui, un athlète doit indiquer ses moindres faits et gestes dans le logiciel Adams et reçoit quelques fois par an, souvent vers 6 heures du matin, la visite d'un contrôleur antidopage. Une étude de l'université d'Adélaïde montre que cela ne sert à rien (ou presque). "Si les autorités sportives voulaient détecter les tricheurs à 100%, explique le professeur Maciej Henneberg, l'auteur de l'étude, il faudrait contrôler chaque athlète environ 50 fois par an. Cela coûterait 20 000 euros minimum par athlète." Sachant que la France compte environ 7 000 sportifs de haut niveau, l'addition grimperait à 140 millions d'euros. Le budget de l'agence française antidopage ? Neuf millions d'euros.

La fédération internationale est-elle laxiste ?

Pas vraiment. On peut reprocher beaucoup de choses à la fédération internationale d'athlétisme, mais pas de fermer les yeux. C'est l'une des rares à avoir commandé plusieurs études sur le sujet. Elle a publié une analyse du fichier à l'origine du "scoop" du Sunday Times et de l'ARD dans une revue scientifique en 2011, en concluant à 14% de cas suspects. L'instance autorise les contrôles rétroactifs sur les échantillons d'urine vieux de dix ans, plus que dans n'importe quel autre sport. L'IAAF a aussi supprimé le délai de six ans qui gravait dans le marbre tous les records du monde, même si on apprenait ensuite qu'ils avaient été acquis grâce au dopage. 

Reste la question des moyens, derrière les grands principes. L'équipe antidopage de l'IAAF se compose de 10 personnes, remarque le Guardian. Dix spécialistes loués pour leur compétence, mais débordés par l'ampleur de la tâche, avec un budget minuscule de trois millions d'euros. "En pourcentage du budget annuel, c'est le plus élevé de tous les sports", nuance Sergueï Bubka, vice-président de l'institution, à la BBC. N'empêche... Ajoutez à cela que l'Agence mondiale antidopage n'a aucun pouvoir et que les fédérations nationales ne mettent pas toujours de la bonne volonté pour débusquer les tricheurs, et vous comprendrez que le chemin est encore long avant de parvenir à un sport propre. 

Dans ce contexte, l'affaire Marita Koch fait tache. L'athlète est-allemande, détentrice du record du monde du 400 mètres, convaincue de dopage d'après les archives de la Stasi, mais qui a toujours nié, a été conviée par l'IAAF fin 2014 à faire partie du Hall of Fame de l'athlétisme mondial en compagnie d'une dizaine d'athlètes. Comme symbole, on a vu mieux.

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