Mondiaux d'athlétisme : non, Justin Gatlin n'est pas le grand méchant du sprint
L'Américain, principal rival de Bolt, a certes subi un contrôle positif en 2006. Mais de là à le dépeindre comme le mal incarné, il y a un gouffre.
"Qu'est-ce qui justifie qu'on me traite de 'bad boy'? (...) J'ai été puni, mais maintenant je suis propre". Malgré ses dénégations, Justin Gatlin n'a pas réussi à convaincre la presse mondiale et le public après son sacre en finale du 100 m des championnats du monde d'athlétisme à Londres (Royaume-Uni), samedi 5 août. Les sifflets qui ont accompagné la victoire de l'Américain de 35 ans témoignent du trouble et du malaise causés par sa résurrection, celle d'un sprinteur rattrapé par la patrouille de l'antidopage à deux reprises durant sa longue carrière. Alors que l'athlète constitue un bouc émissaire idéal pour un sport qui cherche à redorer son blason après de multiples affaires de dopage, voilà de quoi nuancer votre jugement.
En 2004, c'était lui le gentil
Les supporters ont la mémoire courte. Aux Jeux olympiques d'Athènes, en 2004, l'athlétisme mondial vient d'être frappé par l'affaire Balco, du nom du laboratoire qui fournissait en produits indétectables la fine fleur de l'athlétisme américain, les sprinters Marion Jones et Tim Montgomery en tête. La victoire sur la distance reine de Justin Gatlin sonne alors comme la fin de ces années noires.
"J'étais le gentil, à l'époque, pas vrai ?", a-t-il rappelé à un journaliste du magazine Sports Illustrated (en anglais). "Avant sa suspension, tout le monde l'adorait, c'était merveilleux, se souvient son agent Renaldo Nehemiah, cité par le site 3wiresports.com. Il n'a pas changé. Jamais. Certains, dans les médias, le dépeignent comme un ogre. A ceux-là, je dis, est-ce que vous connaissez l'homme ?"
Des sprinters qui vieillissent bien, ça existe
Justin Gatlin a battu son record personnel à 33 ans, et enchaîne les 100 mètres autour des 9"70. Il court plus vite qu'avant sa suspension, alors qu'il a dix ans de plus. Ce qui ne manque pas de faire jaser dans les starting-blocks. Gatlin met en avant une meilleure hygiène de vie – des légumes plutôt que des hamburgers –, un entraînement toujours plus dur, et la rage de prouver au monde qu'il est le meilleur, en dépit d'Usain Bolt. "Je veux que les gens disent que je suis un guerrier", expliquait-il. "Je sais ce que c'est d'avoir du talent et de ne pas pouvoir le montrer pendant cinq ans." A ce propos, sa bio Twitter est éloquente : "En pleine résurrection. Dieu n'en a pas fini avec moi."
Après tout, des sprinters comme le Britannique Linford Christie ont battu leur record à un âge similaire. Et le Jamaïcain Asafa Powell court encore en 9''84 à 33 ans passés. Le journaliste David Epstein, auteur du livre The Sports Gene, apporte dans le Guardian (en anglais) un autre argument en faveur du sprinter américain : "J'ai assisté récemment à des recherches sur la densité osseuse des artistes du Cirque du Soleil, et cela va à l'encontre de ce qu'on savait sur le déclin athlétique, sensé débuter à 30 ans. Certains artistes ne commencent à faiblir qu'à 50 ans passés. Pensez que Michael Johnson a établi son record du monde du 400 mètres juste avant son 32e anniversaire !"
Il ne peut pas prouver qu'il est propre
Le site spécialisé Sport Scientists résume le dilemme qui se pose au sprinter américain : "C'est un ancien dopé, qui domine un sport gangrené par le dopage, en courant plus vite qu'à l'époque où il prenait des produits. Mettez de côté vos préjugés un instant, et posez-vous la question : en admettant que Gatlin soit innocent, comment pourrait-il le démontrer à un public sceptique ? C'est tout simplement impossible... à moins de courir moins vite et de commencer à perdre."
La théorie de la mémoire du corps dopé ne convainc pas
Des chercheurs suédois ont publié en 2006 une étude sur des souris. Celles gavées de produits dopants sont plus endurantes et plus fortes que celles à qui on n'avait jamais rien injecté, longtemps après l'arrêt du traitement. Le corps d'un athlète dopé bénéficie-t-il des effets du dopage, des années plus tard ? Sur le papier, cela semble possible ; dans les faits, c'est moins évident.
En 2006, Gatlin a été contrôlé positif à la testostérone. Comme le montre Slate, ce type de dopage ne provoque pas vraiment d'effets positifs à long terme. Et Gatlin fait justement remarquer que si la théorie tenait, d'autres anciens tricheurs auraient fait valser les chronos à leur retour de suspension. "C'est stupide, se défend-il, cité dans une interview à Al Jazeera. On ne peut pas comparer un athlète à un rat de laboratoire. Si la théorie était vraie, des athlètes comme Tim Montgomery seraient revenus au même niveau. Et ce n'est pas comme si je stagnais à 10"80 ou 10"50 avant et que je me mets à courir 9"70. J'ai toujours été à ce niveau."
Tous, vraiment tous les médias sont contre lui
Le clan Gatlin dénonce l'acharnement contre lui, et n'a pas entièrement tort. Regardez cette vidéo tournée par la BBC dans la tribune de presse lors de la finale du 100 mètres, en 2015 :
The men's 100m final as seen by our #Beijing2015 team #bbcathletics #BoltGatlin pic.twitter.com/kSy5HHymT6
— BBC 5 live Sport (@5liveSport) 23 Août 2015
Vous avez dit "partial" ?
ESPN a aussi surpris une conversation entre Justin Gatlin et un journaliste du New York Times, Jere Longman, lors d'une compétition à Philadelphie (Etats-Unis) en 2011. "Ne pourriez-vous pas admettre [que vous vous êtes dopé] ? Le public ne vous en aimerait que plus !" La réponse du sprinter fuse : "Parce que si je vous le dis, là, maintenant, vous allez me faire un câlin ? " Pardonné aux Etats-Unis – il a reçu un accueil triomphal au meeting d'Eugene –, le reste du monde est moins enclin à lui donner une seconde chance. Gatlin en a fait son deuil. Il l'a lui-même résumé après sa victoire aux Mondiaux de Londres.
Qu'est-ce qui justifie qu'on me traite de 'bad boy' ? Est-ce que je vous ai un jour mal parlé ? Ai-je eu un mauvais comportement ? J'ai toujours serré la main de mes adversaires, je les ai toujours félicités. Les médias à sensation ont fait de moi un 'bad boy' et d'Usain un héros. OK. Mais je ne sais pas d'où viennent ces accusations de 'bad boy'. J'ai été puni, mais maintenant je suis propre.
Justin Gatlinaprès sa victoire aux Mondiaux de Londres, en 2017
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