Le cas Oscar Pistorius, symptôme de la violence de la société sud-africaine
Insécurité, armes à feu, place des femmes... L'affaire autour du sportif, accusé du meurtre de sa petite amie, est révélateur des problèmes du pays.
C'est un rebondissement inattendu dans l'affaire Pistorius. Hilton Botha, l'enquêteur principal, est lui-même poursuivi pour sept tentatives de meurtre, a-t-on appris jeudi 21 février. Le même enquêteur, complètement déstabilisé mercredi par l'avocat de la défense, a fini par admettre les failles de l'enquête. Le dossier de l'accusation s'effondrant peu à peu, l'hypothèse selon laquelle le sportif sud-africain aurait tué sa petite amie, Reeva Steenkamp, par accident, la prenant pour un cambrioleur, refait surface. Tirer sur un intrus serait-il donc une pratique si courante dans le pays ? Francetv info s’est penché sur les problèmes de violence qui règnent en Afrique du Sud.
Un sentiment d'insécurité omniprésent
"Si Oscar Pistorius dit la vérité et qu’il a vraiment tiré sur sa petite amie en pensant qu’il s’agissait d’un cambrioleur, l’histoire n’en est pas moins troublante. Si tu as peur qu’il y ait un cambrioleur dans tes toilettes, tu ouvres la porte pour vérifier avant de tirer ! a estimé Imran Garda, journaliste à Johannesburg, sur le Huffington Post (lien en anglais). Ce qui me perturbe, c'est que, dans beaucoup de médias du pays et sur les réseaux sociaux, on estime qu'il avait le droit de tirer s'il pensait qu'il s'agissait d'un cambrioleur. Cette attitude est le reflet des problèmes du pays, miné par un sentiment d’insécurité paranoïaque."
En Afrique du Sud, lorsqu'on en a les moyens, on se barricade dans des maisons aux murs très hauts, souvent surmontés de barbelés, protégés par des chiens et des gardiens. "Les gens cherchent un mode de vie coupé de la vie urbaine quotidienne", explique Erna Van Wyk, psychologue à l’université du Witwatersrand (Johannesburg), à l’AFP. Ce climat d’insécurité peut s’avérer encore plus destructeur que la violence réelle : on se coupe du monde en se sentant menacé par "l'autre", un "agresseur" qui vient de dehors.
L’apartheid aurait-il survécu à son abolition en 1991 ? Un passé violent peut-il toujours expliquer la violence ? "Des éléments de la culture d’apartheid sont toujours présents dans notre pays, estime Loren Landau, le directeur du Centre africain pour la migration et la société, sur le Huffington Post. Et le sentiment d'insécurité est omniprésent car la population ne croit pas que le gouvernement soit capable de la protéger."
Les armes à feu perçues comme un gage de sécurité
"Dans la chambre d'Oscar se trouvent une batte de baseball et une batte de cricket derrière la porte, un revolver près de son lit et une mitrailleuse près de la fenêtre", décrivait un journaliste sportif britannique en 2011, rapporte le Daily Mail (en anglais). Selon un article du quotidien sud-africain The Star (en anglais), l’athlète envisageait de se procurer d’autres armes puissantes.
La culture du port d’armes est bien ancrée dans le pays, explique le journal canadien The Globe and Mail (en anglais). "Dans les aéroports et casinos d’Afrique du Sud, il y a des panneaux signalétiques qui indiquent aux gens où se trouvent les salles où déposer leurs armes." Et, à l’instar d’Oscar Pistorius, beaucoup de Sud-Africains considèrent que posséder des armes est un gage de sécurité.
Depuis 2005, le pays dispose d’une nouvelle législation sur l'acquisition et la détention d'armes, ayant pour l'objectif de réduire le taux de crimes par armes à feu, très élevé dans les années 1990, explique le New York Times (en anglais). Pour obtenir la licence, on doit présenter un certificat attestant de ses qualités de tir, ainsi que des témoignages à décharge sur sa santé mentale, ses addictions et son agressivité.
Un rapport de GunPolicy.org (en anglais), un groupe de recherche et d'information sur la prévention des violences par armes à feu, montre qu’en 2007, l’Afrique du Sud n’était qu’à la 50e place du classement des pays les plus armés. A titre de comparaison, la France occupait la 12e place. Pourtant, le taux d’homicides par an pour 100 000 habitants est extrêmement élevé : 17 en Afrique du Sud (contre 0,22 en France et 3,6 aux Etats-Unis). Les armes sont souvent dérobées à leurs propriétaires légaux et se retrouvent ensuite en libre circulation sur le marché noir. Certains, plutôt que d’attendre l’obtention du permis, préfèrent se procurer une arme hors du circuit légal, comme le montre un reportage de France 24.
Les femmes victimes d'une société machiste
Un rapport (lien PDF en anglais) datant de 2012 montre que, même si le nombre total de femmes tuées a diminué depuis 1999, il reste alarmant : 2 363 femmes ont été tuées en 2009. "La société sud-africaine est une société machiste", explique The Guardian (en anglais). "Les hommes pensent qu’ils doivent contrôler les femmes. La violence serait justifiée car elle remet les femmes à leur place", analyse pour le journal britannique Rachel Jewkes, professeure au Conseil pour la recherche médicale d'Afrique du Sud.
Un machisme qui se traduit dans une de ses formes extrêmes par les "viols correctifs". "Il s’agit d'hommes qui violent les lesbiennes pour tenter de les 'guérir'", explique The New Yorker (en anglais), qui a enquêté sur cette cruelle pratique en mai 2012. Depuis 1998, au moins 31 cas de lesbiennes violées et tuées en Afrique du Sud ont été recensés.
Mais la première menace pour les Sud-Africaines vient de leurs proches, affirme The New Yorker, citant l’Organisation mondiale de la santé, selon laquelle 60 000 femmes et enfants sont victimes de violences domestiques tous les mois, soit le taux le plus élevé du monde.
Un fait divers sordide a récemment bouleversé le pays. Le 2 février, Anene Booysen, 17 ans, a été violée en sortant d'une fête. Elle a ensuite été éventrée et laissée pour morte avant de succomber à l'hôpital. Parmi ses meurtriers présumés se trouve son ex-petit ami. Ce crime a indigné les Sud-Africains, dont Reeva Steenkamp. Quatre jours avant d'être tuée, la compagne d'Oscar Pistorius avait lancé un appel sur Twitter : "Je me suis réveillée dans ma maison, en sécurité et heureuse. Tout le monde n’a pas la même chance. Dénoncez les viols en Afrique du Sud."
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