Paris 2024 : "On a des grands talents, oui, mais cela ne suffit pas pour que ton pays vive le sport", regrette Renaud Lavillenie

Présent à Tignes, mardi, à l'occasion de la 22e édition des Étoiles du sport, le perchiste Renaud Lavillenie, opéré en septembre de l'ischio-jambier, revient sur sa course contre-la-montre pour les Jeux de Paris. Il prend également position sur la place du sport en France.
Article rédigé par Clément Mariotti Pons
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 8min
Renaud Lavillenie, aux Etoiles du Sport 2023 à Tignes. (Elodie Pichot)

Grand absent de la délégation tricolore lors des derniers Mondiaux de Budapest en août, Renaud Lavillenie s'est depuis fait opérer de la rupture à 90% de son tendon ischio-jambier de la cuisse gauche. Le perchiste de 37 ans vise désormais les Jeux olympiques de Paris 2024, avec l'ambition d'atteindre la finale. Présent au rassemblement des Etoiles du sport, mardi 28 janvier, il revient pour franceinfo: sport sur sa forme actuelle et ne se montre pas tendre sur la place du sport en France.

Comment vous sentez-vous après votre blessure ?

Je me suis bien fait opérer mi-septembre, un premier bloc de trois mois où il fallait être assez vigilant, de la rééducation, pas d'intensité... À ma grande surprise j'ai bien réussi ce challenge. Je revois le chirurgien dans quelques semaines. Tous les feux sont au vert par rapport à là où je dois être. J'attends la deuxième étape qui est de pouvoir reprendre la course, pour remettre le physique en état, et l'étape cruciale de la reprise du saut.

Avez-vous un calendrier de reprise précis ?

Un calendrier, oui, mais très malléable. Si je reprends début mars, je me laisse 2-3 semaines avant de retoucher une perche donc ça peut me faire une reprise de la perche fin mars-début avril. Surtout, je ne m'enlève pas l'idée que je vais peut-être gagner un peu de temps, j'ai des bonnes capacités de régénération. Je suis un peu mieux que ce que j'imaginais, donc c'est cool. La seule échéance réelle, c'est le 30 juin et les championnats de France avec la dernière possibilité de faire les minima et de se qualifier.

Ces semaines loin des pistes permettent-elles aussi d'être loin de la pression des Jeux ?

Je n'ai pas eu la pression de Paris parce que je suis dans un contexte où ça ne va pas être mes premiers Jeux, potentiellement les derniers, on ne sait pas, mais je n'ai pas de pression. Le fait d'être écarté me permet d'être concentré sur ce que j'ai à faire. Le temps que je passe loin des pistes, ça me permet de me régénérer de manière globale, sur le plan physique bien sûr mais aussi mentalement. Je peux faire autre chose, j'ai cette capacité de switcher en un rien de temps et de me mettre en mode compet.

Avec les Jeux qui arrivent, tout le monde pense à la performance. Mais il y en a qui font du sport de haut niveau pas que pour la perf. Moi je le fais par passion, c'est un moyen pour moi de faire comprendre aux gens que ce n'est pas parce que tu as été le meilleur du monde que tu n'as plus le droit de faire des compétitions quand tu ne performes plus. Ça ce n'est pas facile à faire entendre.

Avez-vous toujours eu le même état d'esprit ?

Quand vous avez 15 ans et que vous vous inventez un concours dans votre jardin, à passer des heures à faire des poteaux de perches, à mettre un peu de sable, pour sauter deux mètres avec un bout de bois, si vous ne faites pas ça par passion... Ce n'était pas pour la perf. J'ai fait des séances de plus de trois heures d'affilée de saut à la perche, là où les autres au bout d'une heure, une heure trente, avaient fini. Je me foutais de la perf, j'étais juste content de sauter. Je suis un compétiteur mais pour moi j'ai juste eu une chance inouïe de me retrouver à être le meilleur dans ma passion et de vivre des trucs hors normes.

La performance n'a pas été le moteur numéro un dans ma pratique. Après, quand j'étais dans mes grandes années où je gagnais tout, la perf c'était mon truc parce qu'elle était liée à ce que j'aimais, et je ne me posais pas de questions. Ensuite, dans chaque compétition, il y a un seul gagnant. Accepter de perdre, c'est aussi une manière d'accepter de prendre du recul. Le saut à la perche pour moi, ce n'est pas qu'une question d'adversité et de confrontation avec les autres. Il faut avoir fait du sport pour le comprendre.

Quelles ambitions avez-vous pour Paris 2024 ?

Pour moi il n'y a pas de sujet. La priorité est de savoir pourquoi tu vas aux Jeux. Chaque athlète se doit de se dire qu'il va aux Jeux pour lui. Si tu ne le fais pas pour toi, tu sors de ton objectif. 

Est-ce que j'ai un objectif de résultat ? Oui forcément, je n'y vais pas pour me promener. Je ne vais jamais sur une compet' sans objectif. Là je suis dans une période plus floue. Si je vous annonce que je vais là-bas pour jouer le podium, on va me prendre pour un fou. Et si je dis que j'y vais pour sauter comme je peux en qualif, on va me dire que je n'ai pas d'ambition. L'objectif le plus présent, c'est d'être en finale. Je sais que c'est réalisable. Une fois que je serais en finale, je sais que je peux faire 8e comme je peux faire 3e. Mais avant cela j'ai deux objectifs : me qualifier pour les Jeux et me qualifier pour la finale. Ensuite, je m’autorise à rêver à tout.

L'équipe de France d'athlétisme est dans la tourmente, avec une seule médaille lors des derniers Mondiaux. Cela a soulevé un questionnement sur la place du sport en France, comment avez-vous vécu cela ?

C'est un contexte qui est très particulier. On dit "l'athlé est nul, il ne fait pas de médailles". L'athlétisme sur des JO ou des Mondiaux, c'est entre 1500 et 2000 athlètes avec plus de 100 pays représentés. C'est très universel. Et sur le côté performance pure, cet été à Budapest ce sont 52 pays qui sont représentés sur les podiums. Quel sport autre que l'athlé peut dire qu'il y a plus de 50 pays qui ont gagné une médaille ? Aucun. C'est très ouvert et ça ne se joue à rien. La finale du 100m se gagne pour un centième. À la perche tu peux tout perdre sur un essai. À la longueur, pour un centimètre tu es quatrième. Dans quel autre sport on a autant de précision sur l'impact de la performance ? Nous, en plus, on n'est pas une nation sportive. On a des grands talents, oui, mais cela ne suffit pas pour que ton pays vive le sport. 

La France manque-t-elle d'une âme sportive ?

On peut comparer avec les Anglais ou les Américains, ils vivent le sport. Aller au stade, pour eux c'est naturel. Ils ont un profond respect de la performance sportive. En France, on n'a pas le même rapport. Si on veut avoir des résultats partout, il faut que la place du sport dans notre société soit prépondérante. Au moment du Covid on s'en est rendu compte, tout le monde s'est mis à faire du sport. Mais on est encore loin, et on ne prépare pas des Jeux en deux ou trois ans. On a des phénomènes en France dans plusieurs disciplines, mais la base n'est pas assez importante. Et ça me rassure de voir que je ne suis pas le seul à penser ça. Des choses se mettent en place, se développent, mais il faut accepter de donner du temps pour avoir des résultats. Le sport ce n'est pas du business instantané, on ne met pas un euro et le lendemain on en a 10.

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