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Aurélie Bresson : "L'héritage d'Alice Milliat, ce sont toutes ces femmes aux responsabilités"

L'inauguration lundi 8 mars d'une œuvre d'art au sein du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) à l'effigie d'Alice Milliat, pionnière entre 1915 et 1935 de la place des femmes dans le sport, confirme la légitimation des figures féminines du sport dans le mouvement olympique. Une avancée significative pour Aurélie Bresson, la présidente de l'association Alice Milliat, quant à la visibilité des femmes dans le sport, mais aussi dans la société.
Article rédigé par Théo Gicquel
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 5 min
Aurélie Bresson, présidente de la Fondation Alice Milliat.

Comment accueillez-vous la présence de cette statue d’Alice Milliat au Comité national olympique et sportif français (CNOSF) au côté de celle de Pierre de Coubertin ?
Aurélie Bresson :
"Nous sommes très heureux, c'est un moment historique. On reconnaît politiquement Alice Milliat. Faire cela, c'est mettre le sport féminin à l’honneur, reconnaître que les femmes ont aussi leur propre histoire dans le sport comme dans la société. Alice Milliat a été la toute première dirigeante du sport français, et c'est significatif aujourd’hui car on prend conscience de l’importance d’avoir des femmes dirigeantes. Il a fallu attendre un siècle pour qu’il y ait une commémoration. C’est très important. D’autant que l'œuvre d’art sera située à côté de celle de Pierre de Coubertin. C'est un symbole car dans le sport, ça n'a pas toujours été inné que les femmes puissent concourir aux JO, qu’elles puissent prendre la tête des instances..."

Pourquoi cette commémoration intervient seulement cette année ?
AB :
"Ce devait être l’année dernière. Finalement, ça tombe bien car l'année 2021 est celle du centenaire de la fédération sportive féminine internationale, qu’Alice Milliat avait créée en 1921. Ça a été un tournant car cela a permis d’asseoir son influence. Elle a connu de nombreux blocages, on lui a mis des bâtons dans les roues. Elle a reçu des critiques sur le fait qu’elle n’était pas féminine, qu’elle était peut-être lesbienne… Elle a essuyé beaucoup de plâtres et la concrétisation de son combat était la création de cette fédération internationale."

En juillet 2020, le conseil de Paris a voté à l'unanimité que la future Arena 2, qui accueillera des épreuves lors des Jeux de 2024, portera le nom de Alice Milliat. Sentez-vous que le monde du sport cherche à donner plus de place aux figures féminines ?
AB :
"C’est une volonté politique. Le fait que son nom ressorte dans les instances politiques pourrait être apparenté à de la récupération politique mais je vous dirais tant mieux ! Au moins, cela veut dire qu’on en parle. Depuis 2016, de plus en plus de rues et de gymnases portent son nom. Il y en a encore trop peu, mais c'est grâce à ce genres d'initiatives que la femme se réapproprie l’espace public. Qui ne connaît pas une structure ou un gymnase qui s’appelle Pierre de Coubertin ? Ce nom a toujours été associé aux Jeux, notamment par le fait que beaucoup de structures portent son nom. Pour Alice Milliat, c’est la même chose : plus on verra son nom, plus elle entrera à part entière dans le quotidien. C’est une vraie caisse de résonance."

 

Est-ce que cette volonté de légitimation et de reconnaissance des figures du sport féminin est temporaire ou peut-être pérenne ?
AB :
"J’espère que ce sera pérenne car rien n’est acquis. Je pense pas que ce soit un effet de mode, plutôt une mayonnaise qui prend de plus en plus. Il faut les bons ingrédients et le bon moment. La direction de Paris 2024 avec des Jeux paritaires y a fortement contribué. La statue ne pourra plus être enlevée du CNOSF, il y a assez de personnalités impliquées pour que l’on ne revienne pas en arrière. Le CIO a également mis en place de nombreuses choses pour la pratique sportive féminine et la présence de femmes à des postes dirigeants fait qu’on ne peut plus revenir en arrière."

"On n’a jamais eu autant de personnalités féminines qui s'engagent. Dans le domaine sportif, on a Sarah Ourahmoune, Estelle Mossely, Mélina Robert-Michon… Ces femmes ont compris que le sport n’est pas seulement de la pratique, et avec des titres, elles font bouger les lignes." Aurélie Bresson, présidente de la fondation Alice Milliat.

Comment se matérialise aujourd’hui l’héritage d’Alice Milliat pour le sport féminin en France et dans le monde ?
AB :
"C’était déjà très étonnant qu’elle soit plus connue dans le monde qu'en France. Comment en France a-t-on pu l’occulter ? Il y a aussi eu le poids de Coubertin, de certaines choses cachées volontairement. Alice Milliat dérangeait à son époque, donc elle a été mise aux oubliettes. L'héritage d'Alice Milliat ? Ce sont ces femmes militantes, qui prennent des responsabilités. On n’a jamais eu autant de personnalités féminines qui s'engagent. Dans le domaine sportif, on a Sarah Ourahmoune, Estelle Yoka-Mossely, Mélina Robert-Michon… Ces femmes ont compris que le sport n’est pas seulement de la pratique, et avec des titres, elles font bouger les lignes. Emmanuelle Bonnet-Oulaldj a elle déposé sa candidature à la présidence du CNOSF. Il y a quelques années, est-ce qu’une femme aurait eu le cran, l’audace, aurait considéré qu’elle avait sa place à la présidence du CNOSF ? C’est ça le vrai héritage d’Alice Milliat."

Dans les sports collectifs également, plusieurs figures se démarquent de plus en plus dans le monde, comme Megan Rapinoe…
AB :
"Ce qui est fort dans le sport féminin, c’est cet impact social et sociétal. Lors de la Coupe du monde de football féminin en 2019, il y a eu une belle ferveur, on revient de tellement loin ! A la suite, les joueuses du Brésil ont réussi à obtenir l’égalité salariale, avec les mêmes montants de primes et d'indemnités journalières que les hommes . Beaucoup de choses ont bougé ensuite en France. On a repensé la place du football féminin, les structures, les initiatives à mettre en place pour que les petites filles pratiquent le football… Cela permet de bouger les lignes de la société et soulève beaucoup plus d’enjeux que le sport masculin."

"On n’est pas à l’abri que le sport féminin soit à nouveau mis sous le tapis pour être sacrifié au détriment du sport masculin. Mais je pense que le meilleur est à venir." Aurélie Bresson, présidente de la fondation Alice Milliat.

Quels sont les étapes suivantes pour l’égalité dans le sport ?
AB :
"J’ai toujours du mal avec la notion d’égalité, je préfère parler d’équité. Je ne suis pas forcément pour une certaine égalité. Je ne sais pas ce qui nous attend mais ça se joue maintenant car avec cette crise sanitaire, cela nous force à repenser nos modèles économiques, à valoriser les gens autour de nous. On est en train de se rendre compte que lorsqu’on valorise notre prochain, on voit que c’est vital. On n’est pas à l’abri que le sport féminin soit à nouveau mis sous le tapis pour être sacrifié au détriment du sport masculin. Mais je pense que le meilleur est à venir."

Quels sont les principaux travaux de votre fondation en ce sens ?
AB :
"La fondation a été créée dans le but de la médiatisation du sport féminin, pour le rendre visible et pour reconnaître Alice Milliat. Car mettre un nom sur l’histoire du sport féminin, c’est le reconnaître à part entière. Aujourd’hui, on cherche surtout à rendre visible les femmes bien plus que dans les médias, il faut que ce soit dans le quotidien. La fondation a ses propres actions, avec des projets Erasmus+ Sport, comme le premier tournoi amateur de rugby mixte qui aura lieu en juin 2021. A côté, on accompagne des projets collectifs qu’on valorise et qu’on finance en faveur de l’égalité et la mixité."

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