24h du Mans : Thomas Laurent, du pilote précoce au prodige de l'endurance
De notre envoyé spécial Quentin Ramelet.
Le karting pour faire ses gammes
Il est de ceux qu'on appelle « prodige ». Ce genre de gamin qui sort d'on ne sait où mais qui a ce truc. Thomas Laurent, lui, à trois ans seulement, alors que nous tous étions en train d'apprendre comment dire « papa » et « maman », pilotait un petit karting fait sur mesure. Nathalie, sa maman justement, nous raconte : « Il avait trois ans quand JP, son père, lui a adapté une piste de karting pour qu'il puisse rouler comme ça, pour se faire plaisir. Nous ne voulions, à aucun moment, le formater ou le conditionner. C'était son choix, il a pris du plaisir immédiatement. » Du football, en passant par le judo ou le surf – qu'il pratique encore aujourd'hui – rien ne lui fait "monter autant dans les tours" que les sensations qu'il se procure dans ces minis bolides, à ras du sol.
« Papa, j'aimerais faire des courses ! »
Jean-Pascal, le père de famille et ancien mécanicien de course de karting, nous l'assure, un sourire au lèvres, « il n'était pas bon au foot de toute façon ». Le naturel reprenait alors son droit, avec cette piste à sa disposition : « Thomas est toujours revenu à sa première passion qui est le karting » nous explique le papa, avant de poursuivre : « Jusqu'à l'âge de sept ans, on l'a laissé s'amuser. Avec aucune contrainte sur la technique de pilotage, ça ne sert à rien, il était trop petit et cela doit rester ludique. C'est le plus important. Mais quand lui, de lui-même, est venu me dire : « Papa, j'aimerais faire des courses ! » Alors là j'ai compris, nous avons commencé. Il avait six ans et demi. » Inutile d'en rajouter. Le gosse de la Roche-sur-Yon se lance alors dans ce qui est, pour l'instant, sa plus belle aventure aussi sportive qu'humaine : l'endurance.
L'endurance comme vocation
Si le karting n'est évidemment pas un sport automobile d'endurance à proprement parler, il faut savoir qu'une grande, très grande majorité des pilotes présents aujourd'hui sur le circuit Bugatti du Mans sont tous passés par là. Il n'y a pas de secret, c'est tout jeune que l'on apprend le mieux et Jean-Pascal, connaisseur en la matière, l'avait parfaitement saisi. Pourtant, son fils le surprend très vite : « Nous commençons à travailler tranquillement sur les trajectoires, sur la façon de prendre les virages. Il est de nature très calme, il est à l'écoute donc il comprend vite. Et dès la première course, ça fonctionne. Il a sept ans à peine et dès sa première saison, il est champion... »
Pas de secret donc. Le travail, à base de bonne volonté, et de plaisir pris sur la piste, ça paye toujours. Si le tracé familial lui permet de répéter ses gammes quotidiennes, le petit Thomas s'imprègne tout seul de sa discipline. « Je n'ai rien eu besoin de faire quasiment. Il s'y est vraiment mis tout seul, ça l'intéressait vraiment. Et à cet âge, quand on gagne, c'est un peu le 14 juillet à chaque fois. Puis surtout, il a pris le pli des podiums. » Voilà ce qui fera passer le môme vendéen du pilote lambda à un champion de demain. Le plaisir construit l'âme du sportif. L'esprit de la gagne lui fait dépasser ses limites pour atteindre les sommets. Et là encore, ça peut vous tomber dessus bien plus tôt que prévu...
Du kart au prototype
Les mois défilent et la relation père-fils pose alors problème : « Je me rends compte rapidement qu'en tant que mécanicien de course, mais aussi adulte et papa, j'en demande beaucoup trop. Notre entente se détériore. On ne prend plus de plaisir ensemble. Je prends donc conscience que j'ai fait une erreur en m'appuyant trop sur la relation père-fils plutôt que sur celle de mécanicien-pilote. Alors je décide tout simplement d'arrêter et l'envoie dans un team privé en Bretagne, Cédric Sport. »
Une vraie réussite. Pendant près de douze ans, Thomas Laurent franchit tous les échelons dans sa discipline préférée. « Sans pour autant être le meilleur » nous affirme JP. La consécration arrive donc en 2015, alors qu'il a tout juste 17 ans : le voilà sacré champion du monde de karting (KZ2).Un exploit aussi précoce que ses tours de piste à trois ans. Sans surprise, cela ne passe pas inaperçu aux yeux des managers des écuries concourant pour le championnat du monde d'endurance. D'autant plus que le jeune résident du Château-d'Olonne s'était essayé, cette même année, aux prototypes LMP3 en Asian Le Mans Séries. Résultat ? Trois victoires en trois courses.
« Mes parents m'ont bien élevé et m'ont appris à garder la tête froide. »
Le voilà capable de voler de ses propres ailes. Pour autant, la maman nous rassure sur sa capacité à ne pas prendre le melon, toujours un risque à cet âge : « Il a toujours eu ce caractère calme, serein, qui lui a permis de rester simple. Nous sommes d'un milieu modeste et il sait d'où il vient. » D'ailleurs, quand on lui demande comment il fait pour gérer ce statut de « prodige » des circuits, le pilote de Rebellion Racing n'esquive pas la question et répond tranquillement : « C'est une fierté et ça devient une habitude finalement... Mais je sais d'où je viens, mes parents m'ont bien élevé et m'ont appris à garder la tête froide. J'en profite et c'est tout. »
Voilà son secret. Rester lui même, et profiter comme tout jeune adulte. La différence, avec lui, c'est qu'au lieu de ramener ses potes ivres de boite de nuit avec sa voiture et grâce au permis qu'il vient d'avoir, il remporte des courses d'endurance, aux quatre coins du monde, et en roulant au volant d'une prototype capable de dépasser les 300km/h. Rien que ça. D'ailleurs, pour une mère de pilote, une course ne se vit pas comme n'importe qui. Nathalie témoigne : « On s'y fait comme on peut. Mais le stresse monte quand nous rentrons dans l'ambiance d'une course telle que les 24h du Mans Il est heureux, s'épanouit dans ce qu'il fait, donc c'est tout ce qui compte pour une maman. Après, évidemment, on ne s'y habitue jamais, mais c'est normal. Je lui fais confiance de toute façon. » Et elle a bien raison, car depuis début 2017, son fils fait preuve d'une progression aussi insolente que fulgurante.
Silverstone, pour l'éternité
Dans une carrière, il y a ces victoires qui forgent le caractère, qui impulsent quelque chose qui nous dépasse, qui nous font tout simplement rentrer dans une autre dimension. Celles qui marquent à vie les proches, les parents en particulier. Avril 2017, le jeune Thomas Laurent, inconnu ou presque dans le milieu, est au volant d'une LMP2 du Team Jackie Chan DC Racing, et à l'occasion de la mythique course des 6h de Silverstone, manche d'ouverture des Championnats du monde d'endurance. 1000km plus tard, plus rien ne sera pareil pour Nathalie et Jean-Pascal. Le talent, l'insouciance et le génie de leur gamin, tout vient d'exploser devant leurs yeux sans aucun doute rougis, humides. Et d'ailleurs, quand nous avons évoqué cette première victoire lors de l'interview réalisée dans l'hospitalité de Rebellion Racing, en plein cœur du paddock du Mans, le papa n'a pas pu retenir ses larmes. Envahi par l'émotion, il nous répond tant bien que mal, et avec une immense fierté : « Ah bon... C'est le seul mot après ça : ah bon ! (Longue respiration) Thomas avait raison. Il a souvent raison. »
Par là, Jean-Pascal fait allusion au fait que son fils a bien eu raison de passer aussi vite des LMP3, en 2016, aux championnats du monde en LMP2, l'année suivante. Ce que le patriarche de la famille ne trouvait pas forcément judicieux, par « peur de vouloir brûler les étapes. » Dans cette situation, il est évidemment plus facile à accepter ses torts. Thomas Laurent a clairement eu raison, a fait les bons choix de carrière, jusqu'ici en tout cas. Son père en vient même à s'excuser devant nous : « Je suis désolé mais je suis tellement content, tellement heureux. C'est juste l'émotion. »
Le Mans, ou le rêve de gosse
Et comment ne pas comprendre cet homme qui imagine, ou qui voit encore son fils dans son bon vieux petit kart il y a dix-sept ans, rouler sur la piste familiale en Vendée. Aujourd'hui, ce gamin a grandi. Il est déjà devenu grand d'ailleurs. « C'est une vraie fierté, on ne réalise pas toujours » affirme Nathalie, les yeux rêveurs, admirateurs. Il y a de quoi admirer vous nous direz. Car rappelez-vous, le « prodige » Castelolonnais a bluffé tout le monde il y a un an, ici dans la Sarthe et lors de la 85e édition de la plus célèbre des courses d'endurance. En passant plusieurs heures en tête, il prend une deuxième place finale tout simplement exceptionnelle. Le scénario de la course avait évidemment permis tout ça mais la fiabilité, la constance du pilotage de Thomas Laurent et de ses coéquipiers avaient surtout été dignement récompensés.
Aujourd'hui, la donne a encore changé. Précoce, vous l'aurez compris, il l'a été toute sa vie. Pourtant, il a un peu du mal avec sa montre, comme nous le confie, un brin taquin, son père : « Il est très optimiste sur les horaires. Il y a une chose qu'il me dit souvent et que j'adore : « On est larges papa, t'inquiète ! » L'an dernier, il a raté au moins quatre vols pour cause de retard... » En retard, il ne l'est jamais sur la piste. Bien au contraire, « il a ce besoin incroyable de gagner, il est en manque permanent de victoire. » C'est ça aussi la marque des grands. Ceux qui, par exemple, sont capables d'inscrire leur nom au palmarès des plus belles courses d'endurance au monde. Et donc transformer un rêve de gosse en réalité.
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