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Formule 1 : l'accueil de Grands Prix, une nouvelle étape dans la stratégie des pays du Golfe pour améliorer leur image

Le dénouement de la saison de Formule 1 se décidera dans les pays du Golfe, où le Qatar et l’Arabie Saoudite vont accueillir un Grand Prix pour la première fois. 

Article rédigé par Hortense Leblanc, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Après un début de saison à Bahreïn, la Formule 1 retrouve le Golfe Persique pour les trois dernières courses de la saison. (VALDRIN XHEMAJ / EPA)

Alors que la saison de Formule 1 avait débuté à Bahreïn en mars dernier, elle revient dans les pays du Golfe pour boucler la boucle et clore la saison avec trois derniers Grands Prix, dont deux inédits, au Qatar et en Arabie Saoudite. Bien que ces pays soient décriés pour leurs violations des droits de l’homme, ils ont saisi l'opportunité d'accueillir la Formule 1 dès cette année en déboursant des sommes colossales, dans la continuité de leur stratégie pour se faire une place sur la carte des grandes nations sportives. 

En 2004, Bahreïn avait déjà ouvert la voie en devenant le premier pays du Golfe à accueillir un Grand Prix de Formule 1. Le royaume avait alors passé un accord avec Bernie Ecclestone, le patron de la F1, pour qu’il n’y ait pas d’autres courses dans la région sans son approbation, donnée quelques années plus tard à Abu Dhabi, qui a accueilli son premier Grand Prix en 2009. Mais depuis le rachat du championnat du monde par Liberty Media en 2017, cet accord ne tient plus. Le Qatar et l’Arabie Saoudite en ont donc profité pour s’insérer sur le calendrier de la F1, en remplacement de plusieurs villes asiatiques indisposées à organiser un Grand Prix en raison de la situation sanitaire. "Le Qatar a très généreusement proposé d’accueillir une course", ironise Simon Chadwick, professeur de géopolitique et d’économie du sport. "Cela coûte très cher d’accueillir un Grand Prix mais ce sont des pays qui en ont les moyens et qui sont prêts à payer plus cher que les autres pour cela", ajoute-t-il, plus sérieusement. 

L'Arabie Saoudite a construit un circuit à Jeddah en quelques semaines pour accueillir un Grand Prix de Formule 1 à la fin de la saison 2021.  (FAYEZ NURELDINE / AFP)

Alors que l’économie des pays du Golfe est essentiellement basée sur les revenus du pétrole et du gaz, la synergie avec la Formule 1 est presque naturelle, d’autant que leur classe bourgeoise s’intéresse de près à l’automobile : "Si vous regardez le quartier du Pearl à Doha, c’est l’un des endroits où il y a la plus grande concentration de voitures de luxe au monde", explique Simon Chadwick. Le prestigieux Salon de Genève organisera même un événement jumeau au Qatar à partir de 2023. "Plus globalement, ces pays investissent dans le football, les sports automobiles, les sports de combat. Ce sont des univers très masculins, qui mettent en avant la puissance masculine, ce qui rentre dans les normes et la culture de ces pays", complète le professeur à l’EM Lyon. 

Une réputation à blanchir

Au delà cet aspect culturel, les pays du Golfe ont surtout un intérêt politique à accueillir un Grand Prix de Formule 1. Simon Chadwick appelle cela le "sportwashing" : "C’est le fait d’utiliser le sport pour blanchir leur réputation. Pendant que l’on parle de leurs investissements dans le football, des stars du PSG ou bien de la Formule 1, on ne parle pas de l’argent du gaz ou du pétrole, ou du fait que ce sont des pays où il est illégal d’être gay, etc.", argumente-t-il. Selon Hashem Hashem, militant régional d’Amnesty International, "ces évènements sportifs servent à donner une image admirable après des années de violations scandaleuses des droits de l’homme, comme la censure, les interdictions de libre circulation pour les femmes et les activistes, et la torture exercée sans procès sur des opposants". 

Dans une interview donnée à BBC Sport, Stenafo Domenicalli, le patron de la Formule 1, a assuré que les contrats liant la F1 au Qatar et à l’Arabie Saoudite contenaient des garanties sur le respect des droits de l’homme . "Je ne crois pas que le fait de couper les liens avec ces pays et de dire qu’on ne veut pas s’y rendre améliorera la situation. Ce serait même le contraire", a-t-il déclaré. Interrogé par le magazine britannique GQ, il espère plutôt que l’accueil d’évènements sportifs amènera ces pays à évoluer : "Nous utilisons le sport automobile pour accélérer leur désir de changement, même s’il serait totalement faux de prétendre qu’une culture qui existe depuis des milliers d’années peut changer du jour au lendemain". 

Alors que Lewis Hamilton et Sebastian Vettel ont l’habitude de prendre position sur de sujets politiques, Amnesty International espère que les pilotes et leurs équipes se mobiliseront pour dénoncer les violations des droits de l’homme commises dans les pays où ils disputeront leurs dernières courses de la saison : "Nous les encourageons à parler haut et fort de cela, en montrant leur soutien aux activistes et en réclament aux autorités de libérer les défenseurs des droits de l’hommes emprisonnés, immédiatement et sans condition". Le septuple champion du monde a choisi de porter un casque aux couleurs du drapeau LGBT pour le week-end de course au Qatar.

Développer leur business dans d’autres secteurs 

Les pays du Golfe comptent également sur la Formule 1 pour étendre leur influence internationale : "Ils démontrent au monde entier qu’ils partagent les mêmes goûts que les autres pays, qu’ils aiment les voitures et le luxe comme les Américains ou les Européens. Et si les autres les reconnaissent comme tels, c’est plus facile de créer des liens pour faire du business ensuite", explique Simon Chadwick. L’organisation de courses automobiles entre donc parfaitement dans le plan "Vision 2030" porté par le prince héritier d’Arabie Saoudite, Mohammed Ben Salmane, qui vise à développer l’économie saoudienne pour sortir de sa rente pétrolière. 

Le tourisme pourrait également être une nouvelle source de revenus pour le royaume : "Si des spectateurs s’y rendent pour assister au Grand Prix, ils vont loger dans des hôtels, visiter des monuments, faire du shopping dans les grands centres commerciaux. Et en rentrant dans leur pays d’origine, ils partageront leur expérience et attireront d’autres touristes", complète le spécialiste en économie et géopolitique. 

Des relations apaisées entre voisins

La F1 ne sera pas le premier sport automobile à s’exporter dans la région du Golfe Persique. Le Qatar accueille des Grands Prix de MotoGP depuis 2014 tandis que l’Arabie Saoudite accueille une étape du championnat du monde de Formule E depuis 2018 et est le théâtre du Dakar depuis 2020. "Ces pays sont en compétition les uns avec les autres, sur tous les points. Si l’un d’entre eux ouvre un musée d’art, l’autre va vouloir faire de même. S’il investit dans une équipe de football, l’autre le fera aussi. C’est pareil pour les évènements sportifs. Ils se copient car l’image qu’ils véhiculent est très importante pour eux", commente Simon Chadwick.

L’ajout au calendrier des Grands Prix du Qatar et d’Arabie Saoudite intervient alors que les relations entre ces deux pays se réchauffent depuis le début de l’année 2021. Depuis 2017, l’Arabie Saoudite et ses alliés (les Émirats arabes unis, Bahreïn et l’Égypte) avaient rompu leurs liens avec le Qatar, l’accusant de semer le trouble dans la région en soutenant des groupes islamistes. Mais en janvier dernier, ces pays ont signé un accord de "solidarité et de stabilité". Selon Simon Chadwick, "le fait que plusieurs Grands Prix soient organisés dans cette région est une illustration des relations cordiales et fraternelles actuelles de ces pays".

La première étape d’un investissement plus important dans le sport automobile ?

Même si l’Arabie Saoudite n’organisera son premier Grand Prix de F1 que le 5 décembre, cela fait plusieurs années que le royaume s’intéresse de près à la catégorie reine des compétitions automobiles. Tout comme le Mumtalakat (le fonds souverain de Bahreïn), le PIF, le fonds souverain saoudien, est entré au capital du McLaren Group, détenteur de l’écurie de F1 éponyme. Le groupe pétrochimique saoudien Aramco, détenu par le PIF, est également devenu l’un des principaux sponsors de la Formule 1. 

À Bahreïn et sur les autres circuits, le groupe pétrochimique saoudien Aramco s'affiche comme l'un des principaux sponsors de la Formule 1.  (VALDRIN XHEMAJ / EPA)

Déjà conséquents, les investissements du royaume en faveur de la course automobile pourraient encore prendre de l’ampleur. L’Arabie Saoudite fera sortir de terre, d'ici 2023, la ville de Qiddiah, une ville destinée à devenir la plus sportive du monde, dans un projet estimé à plus de huit milliards de dollars. Selon Simon Chadwick, "on peut imaginer qu’ils y créent une sorte de pole de développement des sports mécaniques, sur le modèle de Silverstone et ses environs en Grande-Bretagne, où l’industrie automobile emploie près de 40 000 personnes avec le siège de plusieurs écuries de F1". 

Un dernier élément pourrait venir consolider encore un peu plus la place des pays du Golfe dans le calendrier des championnats du monde automobile : l’ancien pilote de rallye émirati, Mohammed Ben Sulayem, pourrait devenir le prochain président de la Fédération Internationale Automobile (FIA). Il est l’un des deux candidats à la succession de Jean Todt pour l’élection qui se tiendra le 17 décembre prochain. 

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