Mercedes, une si longue attente
11 juin 1955. Le plus grand drame de l'histoire de la course automobile se produit aux 24 heures du Mans. La Mercedes de Pierre Levegh percute l'Austin Healey de Lance Maklin et s'envole dans le public causant la mort de plus de quatre-vingt personnes. Dans la nuit, le constructeur allemande retire ses flèches d'argent et prend une mesure radicale : Mercedes quitte les circuits en voitures de sport comme en F1. Les machines germaniques étaient pourtant au sommet de leur art et triomphaient sur tous les terrains avec les deux légendes Juan Manuel Fangio et Stirling Moss. Du champ de ruines qu'était devenu l'Allemagne nazie restait des technologies de pointe et une industrie performante. Sous la houlette du grand Alfred Neubauer, Mercedes avait profité de cet héritage pour développer sa formidable W196. Dans les mains de Fangio, le succès était immédiat. Quatre GP et le titre en 1954. En 1955, l'Argentin et son jeune élève Moss trustaient cinq des sept courses. Mais Le Mans avait semé la mort en chemin. A la fin de la saison, Mercedes fermait son garage pour plusieurs années.
Un grand sommeil de trente ans. Une grosse parenthèse jusqu'au milieu des années 80. Alors qu'AMG démontre son savoir-faire dans l'univers du GT et du super Tourisme, Mercedes programme son réveil pour l'année 1985. Le constructeur revient là où tout s'est arrêté : Le Mans. Il n'y a pas d'étoile sur le capot mais c'est bien un moteur Mercedes qui équipe les Sauber C8. C'est un premier coup pour rien car la voiture ne prend pas le départ. L'année suivante, l'équipe helvétique affiche ses ambitions avec le recrutement d'Henri Pescarolo. Face au célèbre flat 6 de Porsche et le V8 turbo de 5.0 litres de Mercedes manque encore de puissance et surtout de fiabilité. Aucune Sauber ne voit l'arrivée en 1986 comme en 1987. Qu'elles sont loin les glorieuses années 50 pour le constructeur allemand qui peine à redorer son blason en course. Le soutien officiel (ndlr : deux C9 engagées sous le nom de Team Sauber Mercedes) n'apporte aucune modification. Pas de podium, encore moins de drapeau à damiers. En 1989, l'étoile orne enfin les C9 devenues flèches d'argent. Et la magie opère car les Sauber s'imposent devant Porsche et Jaguar. Ce sera le seul succès, y compris avec la promo des espoirs allemands Schumacher-Wendlinger-Kreutzpointner, 5e en 1991. Il faut attendre moins de trente ans pour revoir Mercedes dans la Sarthe. En 1999, Mercedes débarque avec les clinquantes CLR. Un fiasco total. Les flèches d'argent décollent deux fois et font ressurgir le spectre du drame de 1955. On ne les reverra plus au Mans.
Motoriser une F1 plutôt que d'engloutir des millions sans gage de réussite, Renault montre la voie à la fin des années 80. Mercedes s'y engouffre également à partir de 1993. Il remplace Peugeot chez McLaren. Tandis que Penske lui offre une victoire de prestige aux 500 miles d'Indianapolis (succès d'Al Unser en 1994), la firme à l'étoile doit attendre la fin de l'hégémonie Renault avec Williams et Benetton pour espérer s'imposer en F1. Après une décennie en retrait, McLaren revient dans le coup. La victoire de Coulthard en ouverture de la saison 1997 relance l'écurie de Ron Dennis. Soutenue par Mercedes avec qui elle noue des partenariats technologiques nombreux, elle porte Mikka Hakkinen au sommet lors des deux années suivantes. Enfant de la maison, Michael Schumacher finit toutefois par reprendre le dessus avec Ferrari. Champion en 2008 avec Lewis Hamilton, Mercedes veut plus qu'une simple citation dans les journaux. Bien après Toyota, BMW et Renault, elle se décide à voler de ses propres ailes. Argentées évidemment.
Plutôt que de partir d'une feuille blanche, Mercedes va s'appuyer sur l'écurie championne du monde. Ô surprise, il s'agit de Brawn GP du brillant Ross Brown, l'ancien stratège de Ferrari, racheté en novembre 2009. C'est ainsi que Mercedes GP renaît de ses cendres en 2010 avec l'étonnant duo Rosberg Schumacher au volant. La boucle est bouclée pour Schumi, sorti de sa pré-retraite pour l'occasion. Comme avec Alfred Neubauer en son temps, Mercedes s'appuie sur son directeur historique Norbert Haug et quelques innovations techniques, notamment le W-Duct. Dimanche à Shanghaï, le "patron" a vécu l'aboutissement d'une vie au service de la marque avec le succès de Nico Rosberg, le premier pour l'équipe depuis 1955. Deux ans après le retour des flèches d'argent, tout est prêt pour écrire une nouvelle page d'histoire que feuillette Haug : "Nous avons eu celle de David (Coulthard) en 1997. Celle-là a été belle aussi parce que nous venions de passer la voiture dans une livrée argentée et on a gagné la première course. Je me souviens aussi que nous avons vécu un moment splendide à Indianapolis en 1994. Nous avons connu également quelques belles victoires avec McLaren et Brawn GP, mais aujourd'hui est clairement très important pour nous, en particulier dans ce pays et parce qu'il y a eu beaucoup de travail pour en arriver là. Gagner pour votre troisième année en Formule 1, je ne pense pas que beaucoup d'équipes y soient arrivées. Je n'aurais rien eu contre gagner dès la première année mais quoi qu'il en soit je suis heureux aujourd'hui de ce que nous avons réussi." Mercedes a franchi un cap indispensable sur la route qui mène au sommet. A l'étoile de briller plus souvent.
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