Le sport automobile se féminise à petite vitesse
Quarante-cinq ans. Presque un demi-siècle que l’on n'a plus vu une pilote féminine enfiler son casque et plonger dans l’habitacle de sa Formule 1 sur une grille de départ officielle d’un Grand Prix. Il faut remonter à Lella Lombardi, en 1976, pour retrouver trace de la dernière pilote à avoir disputé une course de la catégorie reine du sport auto. Pourtant, la discipline n’est absolument pas interdite aux femmes.
Elle fait simplement partie des sports où les obstacles aux femmes sont nombreux et anciens: qu’ils soient conscients par l’envie de garder un microcosme à domination masculine, ou inconscients par les barrières que se mettent elles-mêmes les femmes avant de tenter leur chance.
La FIA amorce le mouvement
Michèle Mouton, victorieuse entre 1981 et 1982 de 4 rallyes en 52 départs en WRC, fut une des rares à percer dans un sport difficile d'accès pour les femmes. Aujourd’hui présidente de la Commission "Femmes du sport automobile" mise en place par la Fédération Internationale de l’Automobile (FIA), elle déplore encore le manque de présence féminine dans les paddocks.
"En compétition, il est assez évident qu'il n'y a pas assez de femmes à la base du sport et il est donc naturel que peu d'entre elles progressent dans le karting et dans les disciplines de plus haut niveau. Nous devons augmenter le nombre de jeunes femmes à la base de la pyramide afin qu'elles aient plus de chances de gravir les échelons du sport automobile", explique celle qui a également été vice-championne du monde en 1982.
Le problème ne touche d’ailleurs pas que les pilotes, mais aussi les postes à responsabilités, désertés par les femmes. "Les jeunes filles doivent être encouragées à envisager des études supérieures orientées vers notre secteur afin de créer une plus grande présence féminine dans les métiers du sport automobile", insiste Michèle Mouton.
Weug - Chadwick, nouvelles égéries
Pourtant, la profession commence à se saisir du problème. La FIA justement, dont la Commission "Femmes du Sport" a été créée en 2009, a lancé depuis 2018 le programme "Girls on Track", un programme de détection et de formation des talents auprès de jeunes femmes âgées de 8 à 18 ans à travers des épreuves de slalom en karting. Le 21 janvier dernier, la jeune Maya Weug (16 ans) est devenue la première fille à intégrer la Ferrari Driver Academy, la filière de formation de pilotes de l'écurie au cheval cabré.
Première élue de ce programme, la Néerlando-belge a gagné le droit de disputer pendant un an la saison de Formule 4. Un premier pas dans le monde professionnel. "Gagner la dernière étape du programme "Girls On Track" me fait réaliser que j'avais raison de poursuivre mon rêve de devenir pilote de course !", s’était-elle félicitée.
"Il est si important de motiver les jeunes à un âge précoce, de leur poser des questions sur les carrières et d'inspirer les filles avec des modèles qui peuvent démontrer que le sport a de multiples facettes, qu'il est diversifié et inclusif", s'est de son côté réjouie Michèle Mouton.
Autre nouvelle représentante féminine des paddocks : Jamie Chadwick. La Britannique de 22 ans a été confirmée début mars comme pilote de développement au sein de l’équipe de F1 Williams Racing pour la saison à venir. Un baquet en F1 semble encore un objectif lointain mais elle continue de faire ses classes dans les échelons inférieurs, puisqu’elle est devenue la première pilote à remporter une course de F3 britannique, en plus de remporter la première édition des W (pour Women) Series en 2019.
Une écurie 100 % féminine en IndyCar
La F1 amorce donc timidement sa mue mais elle n’est pas la seule. De l’autre côté de l’Atlantique, des disciplines comme l’IndyCar ou le NASCAR (courses de stock-cars) ont plusieurs longueurs d’avance. En 2008, Danica Patrick est entrée dans l'histoire en devenant la première femme à remporter une course d'IndyCar, avant de terminer troisième de la plus grande course de la catégorie, les 500 miles d'Indianapolis.
Le 30 mai prochain, pour la première fois de l’histoire de l’IndyCar, une écurie composée entièrement de femmes - pilotes et dirigeantes - prendra le départ de la mythique course des 500 miles.
À l’origine du projet, Beth Paretta, qui a donné son nom à son écurie Paretta Autosports, tente de secouer l'édifice. "C’est le début d'un engagement en faveur de l'équité entre les sexes dans le sport, pour encourager les femmes à travailler dur afin qu'elles puissent gagner leur place à la table des opérations ou sur la grille", explique celle qui avait déjà tenté cette aventure en 2016, mais n'avait finalement pas pu obtenir une voiture suffisamment compétitive.
Par ailleurs, six pilotes féminines (deux équipages 100% féminin) participent désormais au championnat du monde d'endurance de la FIA (WEC) au sein d'équipes professionnelles. "Les pilotes du Richard Mille Racing Team et des Iron Dames ont eu l'occasion de démontrer qu'elles méritaient leur place sur la grille, et c'est exactement ce qu'elles ont fait en obtenant de bons résultats en European Le Mans Series et aux 24 heures du Mans. Avoir six pilotes féminines à plein temps dans le WEC est une première dans un championnat du monde de la FIA", ajoute Michèle Mouton, dont la Commission a œuvré pour les soutenir.
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Championnat mixte ou séparé ?
De nombreuses initiatives voient donc le jour mais le problème de fond demeure : le sport automobile ne semble pas réellement prêt à laisser une place égale aux femmes. D’autres ont alors pris le contrepied risqué : doit-on créer une catégorie uniquement réservée aux femmes ?
En 2015, Bernie Ecclestone, grand argentier de la Formule 1 pendant plusieurs décennies, avait posé l'idée sur la table. Trois ans plus tard, Carmen Jorda, membre de la Commission "Femmes du Sport" de la FIA, s’était attirée les foudres d’une partie de la gent féminine automobile en voulant aller en ce sens.
L’ancienne pilote de Lotus (F1) soutenait à l’aube de l’année 2018 la création d’un championnat de course automobile (et notamment en F1) uniquement ouvert aux femmes, en raison de différences physiques trop importantes.
"Les femmes sont capables de bons résultats dans des championnats tels que le karting, la F3 ou le GT, mais il y a une barrière au niveau du physique en F2 et en F1. Je pense que c'est un vrai problème pour les femmes et que c'est pour cela qu'elles ne sont pas dans ces championnats", avait lâché l’Espagnole à l’époque.
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De quoi s’attirer le courroux de Pippa Mann, première pilote féminine à glaner la pole position en Indy Lights, la D2 de l’Indycar, en 2010. "En tant que pilotes féminines, nous sommes d'abord des pilotes et notre sexe vient en second. Nous avons grandi en rêvant de gagner des courses et de remporter des championnats contre tout le monde - comme tous les hommes. Nous n’avons pas grandi en rêvant d’être à part et de gagner la seule coupe des filles", avait-elle opposé.
Leena Gade, ancienne ingénieur course d'Audi Sport au plus fort de sa domination en endurance et également membre de la Commission de la FIA, était montée au créneau sur Twitter. "Ne parlez pas au nom de la Commission pour vous justifier lorsque cela contredit le message et le travail que nous portons. Les femmes veulent se battre et être les meilleures à niveau égal. Pas par la voie la plus simple."
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Plafond de verre
Se pose alors une question : les femmes doivent-elles persévérer dans la voie de la mixité des pilotes, ou bien faire bande à part ? Autrement dit, le plafond de verre peut-il se briser ou vaut-il mieux le contourner ? Personne n’a encore trouvé la formule parfaite, mais les récentes initiatives montrent que c’est la première option qui est privilégiée.
"Nous travaillons en permanence avec les représentantes des femmes dans le sport automobile pour soutenir leurs activités nationales, dont beaucoup reflètent nos propres programmes. Ce faisant, nous constituons une force beaucoup plus forte et une voix mondiale", continue Michèle Mouton.
Si les pilotes et les dirigeantes sont en première ligne, c'est toute l'industrie du sport automobile qui a entamé sa rénovation. Bastion sexiste historique sur les grilles de départ, les grid girls - ces mannequins triés sur le volet pour désigner l’emplacement des monoplaces - ont pris fin en 2018.
Un autre signe d’un frémissement d’égalité hommes-femmes dans le sport automobile, qui avait provoqué un tollé à son annonce en janvier 2018. "Ces filles faisaient partie du show, du spectacle. Je ne vois pas comment une jolie fille se tenant à côté d'un pilote avec un numéro devant une Formule 1 peut offenser quiconque. Elles sont toutes plaisamment vêtues." La phrase était signée Bernie Ecclestone. Signe qu’il y a encore quelques années, l’attachement à une certaine image des femmes sur les circuits avait la peau dure.
Je ne veux pas prendre la place de quelqu'un d'autre. Je veux faire une table plus longue
Le combat pour une féminisation avance donc à petits pas, mais il avance. Et certaines voix masculines qui à une époque révolue écartaient d’un revers de bras les pilotes féminines, prennent désormais leur parti. En 2005, Jenson Button lâchait sans trembler au magazine FHM qu"'une femme avec des gros seins ne pourra jamais être confortable dans la voiture. Sans parler du fait que les mécaniciens ne pourraient se concentrer. Imaginez, comment voudriez-vous attacher sa ceinture de sécurité ?"
Treize ans plus tard, lors de la polémique née de Carmen Jorda sur deux championnats différents, le champion du monde de F1 2009 avait souhaité apporter son soutien au combat pour une mixité des hommes et des femmes dans l’automobile. "Oh Carmen, tu n’aides pas les pilotes féminines. Demande à Danica Patrick combien il faut être fort pour conduire. Elle me botterait les fesses à la salle de sport et elle est probablement aussi forte que n’importe quel pilote de F1. La barrière physique n’est pas ton problème Carmen."
Une volonté finalement résumée par Beth Paretta, pionnière en IndyCar avec son équipe exclusivement féminine dans un championnat presque exclusivement masculin. "Je ne veux pas prendre la place de quelqu'un d'autre. Je veux faire une table plus longue."
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