Quand Margaret Thatcher a perdu son fils sur le Dakar
La légende dit que Margaret Thatcher, la Dame de Fer, l’intransigeante, l'intraitable Première ministre britannique, n’a versé qu’une larme en public. C’était à cause du Dakar. En 1982, son fils Mark Thatcher prend le départ. Mais quelques jours plus tard, il se perd dans l’immensité du Sahara. Son équipe est injoignable. L’organisation est incapable de le retrouver. Les jours passent, et le fils de Margaret Thatcher ne donne aucun signe de vie.
Mark Thatcher, le prince menaçant
Mark n’en est qu’à sa troisième course d’endurance quand il s'engage sur le Dakar. Et le sport automobile, n’est que le dernier venu d’une longue et fantasque série de lubies qu’a pu avoir celui que le gouvernement Thatcher a surnommé “le problème Mark”. Car peu le savent en France, mais l’une des plus grandes failles de la Dame de Fer fut son fils. D’abord parce qu’il était l’exact contraire de sa mère, et en tous points : indiscipliné, amoral, fantasque, corruptible à souhait. Un nid à problèmes, une épée de Damoclès sur la tête du gouvernement. Si bien que quand Mark demanda un jour à Bernard Ingham, l’attaché de presse de Margaret, ce qu’il pouvait faire pour aider sa mère dans les élections de 1988, celui-ci lui répondit laconiquement : “Quitte le pays”.
Quand Mark se lance dans la folle aventure du Dakar six ans plus tôt, quelques mois avant la guerre des Malouines, l’administration Thatcher ne se méfie de rien. Que pourrait-il bien inventer pour embêter sa mère à l’autre bout du monde ? Il faut rappeler qu’à l’époque, la réputation du Dakar, course vieille de seulement quatre éditions, restait à faire. Personne n’en connaissait encore vraiment son aspect épique, ni ses issues potentiellement fatales pour les pilotes.
"En 1982, il y a eu deux évènements marquants : la guerre des Malouines, et ma disparition" Mark Thatcher
Mark s’y rend d’ailleurs sans véritable appréhension. “Je ne m’étais absolument pas préparé, admet-il dans son récit de l’épisode, publié quelques mois plus tard par le Guardian. À peine une demi-journée de test avec la voiture, et le lendemain je me retrouvais sur la place de la Concorde à Paris, Direction Dakar.” L’Afrique et ses grandes étendues jaunes. Le Sahara et sa chaleur insoutenable. Les nuits courtes et glacées. Le Dakar n’en est qu’à ses balbutiements, les pilotes sont livrés à eux-mêmes. Et très tôt Mark s’aperçoit qu’en plus de son inexpérience, il n’a pas la voiture idéale. “La Peugeot 504 était la pire voiture possible : il fallait un engin à roues basses pour les dunes, nos roues étaient grandes”.
Alors qu’il roule en convoi avec plusieurs autres concurrents, Mark heurte un objet au sol. Qu’était-ce ? Un rocher enfoui dans le sable ? Un cactus ? Un animal ? Il n’en a aucune idée. Tout ce qu’il sait, c’est que la carrosserie est brisée. Il ne peut plus continuer. Ses camarades le voient, s’arrêtent, mais repartent tout de suite, promettant de signaler leur accident. Mark l’apprendra plus tard : ils ont tenu parole. Mais ont commis une petite erreur… “Ces connards, au lieu de dire qu’on était à 30 km à l’est, ils ont dit qu’on était à 30km à l’ouest”. Résultat, les recherches se concentrent exclusivement vers l’ouest.
La nouvelle arrive rapidement à l’oreille de la Première ministre. Son fils est introuvable, égaré en plein Sahara dans un pays qu’il ne connaît pas. C’est le drame. Margaret Thatcher adore son fils. Mark est gâté, couvé, protégé, au contraire de sa sœur jumelle Carole pour qui Margaret Thatcher fait preuve de la terrible intransigeance qu'on lui connaît. L'une est journaliste-écrivaine, brillante, respectée. L'autre accumule les échecs, trempe dans le trafic d'influence, n'a aucun scrupule à user des réseaux de sa mère. Mais peu lui importe. C'est son Mark.
Ronald Reagan et François Mitterrand à la rescousse
Alors quand le fils terrible se perd dans le désert algérien cette année-là, la Première ministre n'hésite pas à faire appel aux grands moyens. Qui sait ce que doit affronter au même moment son fils, seul dans un désert lointain ? Deux jours après la disparition de Mark, François Mitterrand affrète trois avions militaires pour partir à la recherche du fils prodige. Dans un courrier daté du 12 janvier, son ministre des affaires étrangères Lord Carrington, écrit : "Madame la Première Ministre est désormais des plus inquiètes. Elle estime n'avoir eu aucune information fiable depuis 3 jours".
Elle reçoit des messages de soutien d'Indira Gandhi, de François Mitterrand. Les recherches prennent une autre tournure sous la pression internationale. François Mitterrand décide d'envoyer trois avions rejoindre la flotte algérienne (quatre avions, un hélicoptère). Denis, le père de Mark, se rend en Algérie pour participer aux recherches en personne. De nombreux journalistes britanniques sont sur place.
Le 14 janvier, cela fait cinq jours que personne n'a de nouvelles de Mark. Preuve de l'ampleur que prend l'affaire, Margaret reçoit alors un appel du président des Etats-Unis, Ronald Reagan, dans une conversation retranscrite et rendue publique en 2012 : "Je vous appelle pour vous dire que Nancy (la première dame américaine, ndlr) et moi pensons à vous." La réponse de la Première ministre : "Ça fait une éternité, et nous avons eu beaucoup d'informations contradictoires. Mais Denis (le père de Mark, ndlr) est là-bas en ce moment, et les Algériens ont mis en place un énorme dispositif de recherches ; on vient de m'informer il y a deux minutes qu'ils l'avaient probablement repéré. Mais nous n'y croirons que quand ils l'auront vraiment trouvé"
Le lendemain, Mark et son équipage sont récupérés et transportés en lieu sûr. Facture de l'opération de secours ? Environ 2000 livres sterling. Entièrement payés de la poche de maman Thatcher, et non puisés dans l'argent public, comme soupçonné par le Bureau des affaires étrangères dans les semaines qui ont suivi. Telle mère, telle Dame de fer.
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