Divorce à un milliard et grosses combines : Bernie Ecclestone, le "parrain de la F1"
Empêtré dans un procès pour corruption, le promoteur de la Formule 1 a connu une carrière extraordinaire. Et à 83 ans, il compte bien la continuer.
"Bernie Ecclestone ? Il pousserait sa mère dans l'escalier pour un billet de cinq livres !" Certes, celui qu'on surnomme "le parrain de la F1" n'est pas un enfant de chœur, mais mérite-t-il pareille assertion, émise par Adam Hay-Nicholls, journaliste spécialiste de ce sport, dans Paddock Magazine (en anglais) ? Alors que le procès pour corruption du promoteur de la Formule 1, qui l'oblige à se mettre en retrait de la discipline, a commencé le 23 avril à Munich (Allemagne), brossons le portrait de celui qui règne d'une main de fer sur ce sport depuis plus de quarante ans.
"Je ne paie pas mes pilotes"
Bernard Charles Ecclestone a occupé tous les postes du sport automobile. D'abord pilote. Un mauvais pilote. "J'ai mené la plupart des courses auxquelles j'ai participé. Après, soit le moteur explosait, soit je craquais. Parfois, je gagnais", reconnaît Ecclestone dans le livre The Piranha Club, qui décrit les requins du monde de la F1. "Ce n'était pas un bon pilote", tranche le champion du monde F1 Stirling Moss, qui a couru avec lui en F3 dans les années 1950.
Puis Ecclestone fut manager. Un manager malchanceux. Son premier poulain, Stuart Lewis-Evans, se tue au volant en 1958. L'accident traumatise Ecclestone, qui revient à son business d'origine, la vente de voitures d'occasion. Quelques années plus tard, il se laisse tenter par le management de la carrière de Jochen Rindt, un pilote autrichien prometteur. Rindt est sacré champion du monde en 1970. Le seul champion du monde posthume : il se tue au volant sur le circuit de Monza (Italie), à quelques courses de la fin.
Bernie Ecclestone s'essaye ensuite au métier de patron d'écurie en rachetant Brabham, en 1970. Il finance intégralement l'équipe, et se forge une réputation de radinerie. Certaines pièces des monoplaces sont en bois ! L'écurie est aussi connue pour payer ses pilotes une misère. Double champion du monde en 1981 et 1983 avec Brabham, le pilote brésilien Nelson Piquet n'émarge qu'à 1,5 million de dollars par an, trois fois moins que ses concurrents, comme Alain Prost chez McLaren. Le pilote Marc Surer raconte sur le site Car and Drivers (en anglais) le jour où il a cherché à négocier son salaire avec l'inflexible "Bernie".
- "De quel salaire vous parlez ?
- Je sais que Nelson Piquet est payé 1,5 million de dollars.
- Je ne le paie pas. Il touche 500 000 dollars d'Olivetti, 500 000 de Pirelli et 500 000 de BMW. Je ne paie pas mes pilotes."
Main basse sur la discipline
Alors qu'il n'est arrivé dans le cercle fermé des dirigeants d'équipe qu'en 1970, il gère l'association des patrons dès 1972. Et étale rapidement son savoir-faire. En 1980, il organise un Grand Prix en Afrique du Sud sans l'accord de la Fédération internationale de l'automobile (FIA), à qui il réclame une plus grosse part des revenus de la F1. C'est lui en personne qui fournit les pneus. La course est chaotique, beaucoup de voitures manquent à l'appel, mais qu'importe : il parvient à faire plier l'institution. Quelques mois plus tard, ce sont les pilotes qui se mettent en grève pour réclamer leur part du gâteau. Il les remet dans leur baquet en quelques heures. En plus d'être un patron d'écurie brillant, "Bernie" est un négociateur redoutable. Il revend Brabham en 1985 et passe à plein temps à la promotion de la F1.
C'est à ce moment-là qu'il devient "le parrain de la F1". La FIA édicte le règlement de la compétition, Bernie Eccleston vend les courses. La fédération, les écuries, et l'homme d'affaires se partagent l'argent, ce dernier se prélevant 50% de la somme. "Il nous a volé la Formule 1", résume sans ambages l'ancien patron de l'équipe McLaren, Ron Dennis. Sa fortune, placée sur le hedge fund Bambino Holdings, est à l'abri dans un paradis fiscal. On l'estime à 4,5 milliards d'euros. Même après une enquête du fisc britannique, conclue à l'amiable. Même après son divorce d'avec Slavica, qui lui a coûté autour d'un milliard. Les mauvaises langues avaient l'habitude de dire que Bernie Ecclestone, 1,60 m, était aussi grand que son épouse (1,88 m) quand il montait sur son portefeuille...
Eric Clapton 1 - Tony Blair, Juan Carlos et Ayrton Senna 0
Dans son motor-home gris, qu'on surnomme "le Kremlin" dans le paddock, Bernie Ecclestone ne traite qu'avec les chefs d'Etat. Et encore. Le livre The Piranha Club rapporte que lors d'une visite de presse du Grand Prix de Catalogne en 1997, son téléphone sonne. Le big boss de la F1 ne décroche pas. "Qui c'était ? C'était juste Carlos. Je veux dire, le roi Juan Carlos. Il peut attendre. Vous, les gars, vous êtes importants. Je le rappellerai plus tard."
Tony Blair est bien placé pour le savoir. En 1996, celui qui est alors le candidat du Labour Party au poste de Premier ministre est invité au Grand Prix de Silverstone (Angleterre) par Bernie Ecclestone et le président de la FIA, Max Mosley - ce dernier est par ailleurs l'avocat d'Ecclestone depuis les années 1970 et fut son témoin de mariage en 1985. Blair a même droit à un tour de circuit avec Damon Hill, la vedette britannique de l'époque. Ecclestone fait ensuite un don d'un million de livres au Labour Party, et se voit obtenir 20 minutes d'entretien une fois Blair en poste. Quinze jours plus tard, le Parlement vote une loi exemptant la Formule 1 de l'interdiction de la publicité sur le tabac. Coïncidence ? Blair traînera l'affaire comme un boulet pendant de longs mois, rapporte la BBC (en anglais).
Pour Bernie Ecclestone, la fin justifie les moyens. Toujours. Ainsi, en 1981, il rencontre le top model croate Slavica Radic au Grand Prix d'Italie, mais égare son numéro. Qu'à cela ne tienne. Il mobilise la police italienne pour la retrouver. Sa fille veut se marier ? Il convoque en guest-stars payantes Andrea Bocelli et les Black Eyed Peas, Eric Clapton vient en ami et Jean Alesi sert de chauffeur aux mariés.
Ecclestone est aussi du genre à tirer parti de chaque coup dur. Il se fait tabasser à la sortie de son domicile ? Il contacte aussitôt l'horloger de luxe Hublot, envoie une photo de son visage tuméfié et écrit : "Voyez ce qu'on est capable faire pour avoir une Hublot." La publicité fera date. Un journal brésilien lui demande son sentiment sur la mort de Senna, 15 ans après l'accident du triple champion du monde brésilien sur le circuit d'Imola ? "C'est malheureux. Mais la publicité générée par sa mort, c'était tellement... Je veux dire, c'était une bonne chose pour la F1."
Pour lui, Hitler et Saddam avaient du bon
Le politiquement correct, Bernie Ecclestone ne connaît pas. "Je ne crois en rien", répond-il à un journaliste qui l'interroge sur ses convictions religieuses. A l'auteur de sa biographie, Bernie Ecclestone dit : "Ecrivez ce que vous voulez, à condition que ce soit à peu près la vérité. Je sais que je ne suis pas un ange." Le journaliste répond du tac au tac : "Pensez-vous qu'on pourra intituler le livre 'No Angel' ? " Réponse d'Ecclestone : "Ça, c'est un bon titre !"
Même à 83 ans, Bernie Ecclestone est toujours une grande gueule, bravache, jamais avare d'une provocation. "J'aime que la F1 soit dans la controverse tout le temps", lance-t-il juste après une remarque sexiste, rapporte le Guardian (en anglais). Il y contribue grandement. Prenez ses opinions politiques. Même s'il a donné un million d'euros au Labour Party, son truc, ce sont "les leaders forts." Dans une interview au Times, en 2009, il affirme trouver Adolf Hitler "efficace". Et en guise de justification, explique : "Nous avons commis une erreur quand nous avons décidé de nous débarrasser de Saddam Hussein. C'était le seul qui pouvait contrôler son pays. La même chose s'est produite avec les talibans." Quand a eu lieu le premier Grand Prix de Bahrein, en 2009, Ecclestone a qualifié de "stupide" le gouvernement local qui n'a pas réussi à étouffer une opposition en quête de démocratie. Le prince a bien pris la chose : "C'est tout Bernie, ça. J'aime bien ses petites phrases, il est drôle."
"Aucune raison de partir" à 83 ans
Bernie Ecclestone a même réussi à obtenir les droits de la F1 jusqu'en... 2110. Son grand ami Max Mosley les lui a vendus pour 500 millions d'euros en 1999, à prix d'ami. Ecclestone a ensuite vendu 75% de la holding qui détenait ses droits à une société allemande, faisant une jolie plus-value au passage.
Pour effectuer la vente, il a missionné le consultant Gerhard Gribkowsky, qui gère alors ses affaires. Mais Gribkowsky s'est ensuite fait pincer dans une affaire d'évasion fiscale, et collabore désormais avec la justice. Il accuse Ecclestone de l'avoir acheté, pour favoriser un acquéreur plutôt qu'un autre, même si l'offre était moins intéressante. Du favoritisme, à 44 millions de dollars. Version d'Ecclestone : Gribkowsky l'a fait chanter, en menaçant de le dénoncer au fisc britannique. La justice devra trancher dans un procès prévu pour durer jusqu'à septembre.
Ecclestone ne se fait pas de souci sur son issue. "A la minute où ce procès se termine, je reprends ma place à la tête de la F1, a-t-il déjà prévenu, cité par le Guardian. "Je ne connais pas la date de ma mort. Tant que je suis en mesure de faire le boulot, je n’ai aucune raison de partir", déclarait-il déjà à Libération en 2009.
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