F1 : Romain Grosjean, le pilote français qui va enfin gagner un Grand Prix
Jamais le pilote Lotus n'a semblé aussi proche de la victoire, après sa deuxième place au Grand Prix des Etats-Unis.
"Une fois qu'un pilote a un enfant, il perd une demi-seconde au tour." La citation est attribuée à Enzo Ferrari, le Commendatore qui a régné sur la Scuderia pendant près d'un demi-siècle.
Pour Romain Grosjean, l'un des quatre pilotes français du circuit, c'est tout l'inverse. Papa depuis quelques mois, il a enchaîné cinq podiums en six courses, le dernier au Grand Prix des Etats-Unis, dimanche 17 novembre. S'il y en a un qui peut briser la disette de dix-sept ans sans victoire tricolore en F1, c'est bien lui. Pourquoi pas dès dimanche 24 novembre, lors du Grand Prix du Brésil ?
Passe ton bac d'abord
Romain Grosjean n'était pas destiné à devenir pilote de F1. Petit, son père rechigne à lui acheter un kart, la machine du futur champion. Quand un Michael Schumacher ou un Ayrton Senna brillaient déjà sur les pistes à cinq ans, Romain Grosjean attend d'en avoir 14 pour s'essayer à la discipline. Car son père lui a ordonné, texto : "Travaille à l'école d'abord." Le Genevois (il est né en Suisse d'une mère française et d'un père helvète) délaisse rapidement le BMX et les sports extrêmes, ses autres marottes, une fois déballé le paquet cadeau au pied du sapin de Noël, en 1997. Un kart, enfin. "Tout de suite, j'ai adoré ça", confie-t-il.
Le début d'une histoire d'amour avec le sport automobile. Romain Grosjean collectionne les succès dans les catégories inférieures. Les moments de solitude aussi : "Mon pire souvenir, c'est une course de Formule Renault en 2004, où je me suis arrêté alors que l'arrivée était un tour plus tard." Il commence à se faire un nom dans le milieu.
Le site britannique spécialisé F1 Fanatic brosse son portrait en 2007 : "Romain Grosjean peut-il être le nouveau pilote de haut niveau français ? Non, car il est suisse." Suisse ? Les relations de Grosjean avec ses deux pays d'origine sont un rien compliquées : s'il débute dans des compétitions suisses, il prend une licence française avant de franchir le pas en faveur de l'Hexagone, une fois sa carrière sur les rails. Son père Christian explique au journal suisse Blick (en allemand) : "La Suisse n’a jamais aidé mon fils durant toute sa carrière, contrairement aux Français. Vous devez rester loyal vis-à-vis du pays qui vous a donné une chance."
"La F1, c'est comme la banque ou l'horlogerie"
C'est logiquement qu'il est appelé par Renault F1 mi-2009, pour suppléer le pilote brésilien Nelson Piquet Jr. Il débarque dans une équipe traumatisée par le "Singapourgate" (Piquet a volontairement crashé sa voiture pour neutraliser un Grand Prix et permettre à son équipier, Fernando Alonso, de l'emporter). Mal à l'aise –beaucoup de techniciens le trouvent hautain – il ne parvient pas à dompter sa voiture et finit souvent dans les graviers. Notamment au Grand Prix de Singapour, où il se crashe dans le même virage que Piquet l'année précédente, note ESPN F1 (en anglais). Le fiasco est total, et Renault ne lui offre pas de baquet l'année suivante. "La F1 est un monde sans pitié, comme c'est le cas dans la banque privée ou l’horlogerie", déclare-t-il en 2012, avec le recul, au journal suisse Le Matin.
Romain Grosjean détonne dans le paysage policé de la F1. A l'époque, il arbore une flamboyante chevelure rousse qui lui vaut le surnom de "Choucroute". Il a aussi conservé son job de banquier dans une prestigieuse institution de Genève. Pendant la saison 2009, il explique "n'être plus présent physiquement au bureau, mais continue(r) à (s')occuper des clients à distance". Une façon de garder un pied dans le monde réel, mais aussi une des raisons de son manque de concentration en course, lui reprochent ses détracteurs. "C'était la vraie vie, se lever le matin, enfiler un costume, une cravate et aller au boulot, se souvient-il dans le Daily Mail anglais. Maintenant, j'ai un uniforme différent, et je préfère celui-là, pour être honnête."
De "taré" à coqueluche du paddock
Renault F1, devenu Lotus, le rappelle un an plus tard, après une saison à jouer les bouche-trous dans les catégories inférieures. Cette fois, il saisit sa chance et devient en 2012 le premier Français à monter sur podium au XXIe siècle, avant d'être impliqué dans une série d'accrochages en course. Mark Webber, l'expérimenté pilote australien, le qualifie de "taré du premier tour", quand le pilote italien Daniel Ricciardo le traite d'"idiot". Avant lui, d'autres pilotes ont été étiquetés fous du volant, comme le Finlandais Mika Häkkinen, d'abord remplaçant chez McLaren avant de finir double champion du monde, en 1998 et 1999.
La saison 2013 marque sa montée en puissance : dans le sillage de son (mutique) coéquipier Kimi Räikkönen, Romain Grosjean collectionne les podiums et apparaît comme le concurrent le plus crédible pour mettre fin à l'hégémonie de l'écurie Red Bull. "Sa première victoire est au coin de la rue", veut croire son concurrent Jenson Button dans le Guardian (en anglais). "Il y a une blague qui circule dans le paddock au sujet des récentes performances de Grosjean, écrit l'ancien pilote David Coulthard dans sa chronique pour la BBC (en anglais). Ferrari [qui a débauché Räikkönen pour 2014] a peut-être signé avec le mauvais pilote Lotus."
L'un des trois papas du circuit
Romain Grosjean continue de cultiver sa différence : papa et marié à une journaliste – qui a peur en voiture avec lui. Marion Jollès raconte sur le site de 20 minutes : "Il y a quelques années, je suis montée dans une GT avec lui, sur le circuit de Dijon. Il n’était pas sorti de la ligne des stands que je hurlais déjà comme une hystérique, alors que lui conduisait d’une seule main." Et son sponsor, Total, qui garantit sa place dans l'équipe à hauteur de 15 millions d'euros annuels, publie des vidéos où on le voit aux fourneaux, son autre grande passion.
En pleine recette de langoustines aux asperges texturées, il empoigne un immense couteau de cuisine et déclare, presque sérieux : "J'ai toujours dit que la cuisine, c'était plus dangereux que la F1."
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