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Formule 1 : Lewis Hamilton et Nico Rosberg, une amitié au point mort

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Lewis Hamilton asperge de champagne son coéquipier chez Mercedes Nico Rosberg, le 13 novembre 2016 à Sao Paulo (Brésil). (PAULO WHITAKER / REUTERS)

A 13 ans, ils faisaient les 400 coups ensemble. Aujourd'hui âgés de 31 ans, les deux pilotes Mercedes se disputent le championnat du monde de F1 sur fond de guerre fratricide.

"Nous ne serons plus jamais amis. Sauf s'il accepte d'être second." Voilà comment Lewis Hamilton a résumé sa relation avec son coéquipier Nico Rosberg. Les deux sont à la lutte pour le titre de champion du monde des pilotes, dont on connaîtra le dénouement dimanche 27 novembre à Abou Dhabi (Emirats arabes unis). Rosberg mène la danse au classement des pilotes, mais une défaillance peut faire le bonheur d'Hamilton. Inutile de préciser que l'ambiance ne sera pas à la franche camaraderie dans le stand de l'écurie Mercedes pendant la durée de la course... voire pire une fois le drapeau à damier abaissé. Et dire que ces deux-là étaient les meilleurs amis du monde.

Tu seras pilote de F1 mon fils

Nico et Lewis ne venaient pourtant pas du même monde. Le premier sort du confort ouaté d'une famille aisée, scolarité monégasque, passeport germano-finlandais et cinq langues parlées à la perfection. L'autre de la banlieue londonienne, parents divorcés, père d'origine trinidadienne qui cumule trois boulots pour assouvir la passion de son fils pour le kart. C'est ce sport qui pousse les deux ados à se retrouver autour des circuits européens quand ils ont à peine l'âge d'avoir trois poils au menton. Une classe d'écart sur la concurrence : Hamilton est déjà un pilote flamboyant, risque-tout et au talent insolent ; Rosberg, plus gestionnaire, plus posé, plus régulier aussi.

Au bord de la piste, leurs parents. Le nom Keke Rosberg, champion du monde de F1 1983, aide à ouvrir des portes. Son fils sera un jour dans un baquet, reste à savoir quand. Anthony Hamilton travaille pour les chemins de fer anglais et se demande comment il va financer les rêves de son fils. Lewis, âgé de dix ans, a tenté de résoudre le problème. Il a emprunté un costume (trop grand) pour s'incruster lors d'un gala de l'écurie McLaren, et a crânement demandé au tout-puissant patron de l'équipe, Ron Dennis, de lui donner sa chance. "Gamin, reviens me voir dans neuf ou dix ans", lui a rétorqué Dennis, raconte le Guardian

Anthony Hamilton se demande tout de même si le patron de l'équipe de kart, l'Italien Dino Chiesa, ne donnerait pas une moins bonne machine à Lewis pour filer un coup de pouce au fils de champion. "J'ai interverti leurs karts durant une session d'essais pour lui montrer qu'il n'en était rien", se souvient l'Italien sur la BBC. Les doutes ne durent pas, et l'amitié s'installe. Keke et Anthony partagent la même voiture de location, leur progéniture la même chambre à l'hôtel.

Pizza, glace à la vanille, et frigo vide

Tout est sujet à la compétition entre eux. A Parme, un soir d'été en 2000, Hamilton et Rosberg enfournent littéralement les parts de leur pizza pour la finir le plus vite possible. Et aussitôt, le serveur en apporte une deuxième. "Ils en mangeaient même deux en même temps", se souvient le pilote polonais Robert Kubica, qui lui aussi a fait ses classes en kart. "A l'époque, je n'aimais pas trop ça, mais je n'avais pas trop le choix." Un jour, Hamilton se pique de faire du monocycle. Rosberg veut aussitôt l'imiter. Et son ami anglais lui enseigne l'art difficile de se tenir en équilibre sur la selle en moins de deux heures.

C'est le temps des gamineries. Une de leurs spécialités : réclamer de la glace à la vanille en pleine nuit au manager de l'équipe de kart, qui a la lourde tâche de gérer les deux terreurs. "Je devais aller en chercher, au beau milieu de la nuit, pour les contenter. C'étaient de vrais gosses", se rappelle Chiesa. Malgré les poches sous les yeux et les pannes d'oreiller, les deux pilotes grimpent dans les catégories supérieures, antichambre de la Formule 1. Malgré ses dénégations, Ron Dennis a fait signer un pré-contrat à Hamilton, pour récupérer le jeune prodige quand il aura fini sa formation. 

Nico Rosberg et Lewis Hamilton se retrouvent en F1 en 2007. L'un a réalisé une saison d'apprentissage chez Williams. Le second s'apprête à casser la baraque et à louper le titre d'un cheveu chez McLaren. Première course de la saison, en Australie. Hamilton monte sur le podium et lâche : "J'ai hâte d'y retourner, mais avec Nico cette fois. Ce sera le pied !" Quand les deux amis ont enfin l'occasion de s'asperger de champagne, ils esquissent quelques pas de danse. C'est le temps où Hamilton, décidément bohème, toque à la porte de Rosberg, son voisin à Monaco, quand son frigo est vide.

"La F1, pas le bon endroit pour se faire des amis"

Quand il n'était qu'un petit nouveau en F1, à l'hiver 2006, Rosberg a eu cette phrase prémonitoire, récemment rappelée par L'Equipe magazine : "La compétition automobile, ce n'est pas le bon environnement pour se faire des amis." Quand Hamilton le rejoint chez Mercedes, en 2013, il ne tarde pas à se rendre compte à quel point il a eu raison. Car d'écurie de milieu de grille, Mercedes devient la meilleure équipe du plateau. Ses deux pilotes se retrouvent en lutte frontale pour le titre. C'est le début d'une série d'accrochages (compilés sur le site officiel de la Formule 1), de filouteries et de déclarations fracassantes pour déstabiliser l'autre. Le tout entrecoupé de réconciliations orchestrées par l'écurie, ou de main tendue sur les réseaux sociaux, comme ce tweet d'Hamilton, posté en mai 2014, après leur premier accrochage.

Le point de non-retour semble être atteint quand Rosberg emboutit (délibérément ?) la voiture d'Hamilton lors du Grand Prix de Belgique, sur le circuit de Spa-Francorchamps, en 2015. A ce moment-là, l'Allemand ne prononce plus le nom de son rival britannique, utilisant des périphrases comme "l'autre pilote" ou "l'autre garage". Le team manager Toto Wolff (plutôt proche d'Hamilton) et le conseiller Niki Lauda (réputé proche de Rosberg) jouent les casques bleus. Forcément, c'est à ce moment-là que les médias se sont mis à en faire des tonnes sur leur amitié broyée par leur soif de gloire. 

"Le nombre de mes amis se compte sur le doigt d'une main, et Nico n'en fait pas partie. La réciproque est vraie", se souvient Hamilton sur la BBC. Rosberg, nostalgique, confie au Guardian : "Il y a toujours eu une certaine compétition entre nous, à la différence qu’à l’époque, il n’y avait pas l’influence d’une équipe, des médias et de l’argent. C’est ce qui rend notre rivalité difficile aujourd’hui." Scène révélatrice : après la victoire d'Hamilton à Austin, le pilote britannique jette négligemment la casquette que doit porter le second à Rosberg, affalé sur un canapé non loin de lui. Qui lui renvoie rageusement. Le tout devant les caméras.

Le respect, tout ce qui reste

Les tabloïds font leur miel des attaques d'Hamilton (sacré deux fois depuis qu'ils sont coéquipiers chez Mercedes) sur la supposée jalousie de Rosberg (toujours bredouille) : "Je suis beau gosse, j'ai la fille [Nicole Scherzinger, chanteuse, ex-membre des Pussycat Dolls], j'ai la bonne bagnole. Qu'est-ce que je peux dire ?" Les internautes aussi, comme cette hilarante parodie de la série Friends à la sauce F1.

Dernier exemple en date, quand Rosberg fête sa victoire au Grand Prix des Etats-Unis dans un bar d'Austin, en chantant en play-back sur du Bon Jovi au milieu de son équipe, Hamilton brille par son absence. "Pas mon style de musique", s'est justifié le pilote, jet-setteur invétéré, qui s'est trouvé une autre soirée. "On n'a pas envie de sortir ensemble", a poursuivi plus tard le Britannique. 

Les deux rivaux pour le titre sont encore voisins sur l'exigu rocher monégasque à la fiscalité attractive. "Je nageais dans la piscine de notre copropriété, et il a dû me voir de sa fenêtre, raconte Hamilton à Reuters en mai dernier. J'ai fait quelques longueurs, et il est venu me parler, vingt minutes, une demi-heure, relax." S'il n'est plus question d'aller taper dans le frigo du voisin, Hamilton juge que leur rivalité a été "surjouée" par les médias, tout comme leur amitié passée. "Il y aura des hauts et des bas, mais quand nous aurons raccroché, le respect sera toujours là."

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