Mondial de basket : le jour où les Bleus ont compris qu'un exploit historique ne suffirait pas
On dit souvent que l’histoire se répète, inlassablement, comme si tout était écrit à l’avance, et que le destin ne laissait aucune place à la volonté, à l’obstination. Il en faudra pourtant aux Bleus ce vendredi, au moment de jouer face à l’Argentine une place en finale de la Coupe du monde, qui serait la première de son histoire. "Il ne faut pas se retourner mais avancer vers le prochain match qui sera plus compliqué. On est seulement en chemin" a justement réagi le sélectionneur Vincent Collet après l’exploit réalisé face aux Etats-Unis en quart de finale (89-79).
Des paroles mesurées, qui ressemblent étrangement au discours prononcé par le coach des Bleus il y a cinq ans, après la victoire historique acquise face à l’Espagne en quart de finale de son Mondial (65-52). «Faire un tel match contre l’Espagne, c’est incroyable, mais pour aller en finale, il faudra disputer un nouveau match de très haut niveau. La Serbie peut nous arrêter. Il ne faut pas s’écarter du chemin" avait réagi Collet en 2014, prudent, à défaut d’être euphorique.
Son équipe venait pourtant de réaliser le match parfait face à la sélection espagnole, vice-championne olympique en titre, présentée comme la meilleure chance de faire tomber Team USA en finale. Il n’en a finalement rien été. Humiliée à domicile, la Roja a laissé filer la France vers le dernier carré, où tous les espoirs semblaient désormais possibles. "Il faut se remettre dans le même état de transe" prévenait l’entraîneur strasbourgeois, "la difficulté sera de le refaire 48 heures après. Cela passe par le discours et le fait de se responsabiliser individuellement. On n’est jamais sûr de rien. L’équipe est jeune. Au début de l’aventure, tout le monde ou presque rigolait quand on disait qu’on venait chercher une médaille" poursuivait-il à l’époque.
"Garder les pieds sur terre"
Le discours, les Français l’avaient eu. Tout comme l’humilité nécessaire après ce genre de victoire. Ils s’étaient d’ailleurs tous regroupés au centre du parquet après le quart face à l’Espagne, histoire de se rappeler leur unique objectif commun : ramener une médaille de ce Mondial, et de préférence, arboré du plus beau métal. "Il faut apprécier le moment. Dans le vestiaire, après le match, tout le monde était content", expliquait d’ailleurs Nicolas Batum, "Maintenant, l’Espagne est dernière nous. Il faut se concentrer sur la Serbie. On parle beaucoup entre nous. C’est quand même une demi-finale de Coupe du monde. À moi, Boris (Diaw), Flo (Pietrus) de recadrer les plus jeunes. Ce n’est pas parce qu’on a battu l’Espagne qu’on peut battre tout le monde" assurait-il.
Une vision partagée par son coéquipier en équipe de France Florent Piétrus, alors âgé de 33 ans, "Il faut garder les pieds sur terre et repartir tout de suite au combat. Nous voulons ramener une médaille" prévenait l’intérieur de Nancy (2013-2016). Il faut dire qu’en l’absence des Tony Parker, Nando De Colo ou encore Alexis Ajinça, les Bleus s’en étaient plutôt très bien sortis jusque-là, ayant même réussi à battre leurs futurs adverses serbes en phase de poules (73-74), avec un bémol à la clé : le joli coup de pouce de l’arbitrage. "C’était un match nul pour moi" avait d’ailleurs assuré Vincent Collet. Autant de raisons qui ont incité les tricolores à rester prudents, et ce malgré l’exploit espagnol.
Le Parisien résumait d’ailleurs très bien la situation vécue par la sélection française à la veille de sa demi-finale : "Il y a deux jours, une défaite en quart de finale contre l’Espagne n’aurait pas été vécue comme un drame. Aujourd’hui, une élimination en demi-finale provoquerait des regrets infinis" disait très justement le quotidien. Exploit oblige, on attendait la suite.
Rarement les Bleus n’avaient abordé un match de Coupe du monde avec une telle pression sur leurs épaules. Evan Fournier and co le savaient, la victoire inaugurale face à la même Serbie en début de Mondial ne voulait plus rien dire. Car après un premier tour en demi-teinte (défaites contre la France, l’Espagne et le Brésil), la République des Balkans venait de changer de visage, au point de devenir un sérieux prétendant au titre. Qualifiée dans le dernier carré après des succès faciles contre la Grèce et le Brésil, l’équipe menée par l’intenable Milos Teodosic a trouvé son équilibre petit à petit dans ce tournoi, entre une belle galerie de pivots - avec Miroslav Raduljica, Nemanja Bjelica et Nenad Krstic - et ses talentueux arrières, dont le "sniper" Bogdan Bogdanovic.
Batum, seul au monde
"Nous aurions préféré affronter l’Espagne" avait lancé le sélectionneur Sasha Djordjevic avant le match face aux Bleus, "Nous voulons être les meilleurs, et pour ça, il faut battre les meilleurs. L’Espagne est la meilleure équipe". Un sacré pavé dans la marre, qui n’a pas eu l’effet de révolte escompté sur les tricolores, puisque les hommes de Vincent Collet ont démarré cette rencontre amorphes, sans rythme, et bien loin de l’envie qui étaient la leur deux jours plus tôt face à la Roja.
Malgré un bon début de match des cadres Boris Diaw et Nicolas Batum, les Français ont été extrêmement fébriles en défense, et se sont vites retrouvés dans le dur, menés 10-20, puis 15-30. En face, les Serbes s’amusaient, et Milos Teodosic leur faisait très mal : à la mi-temps, le joueur du CSKA Moscou totalisait déjà 18 points à 7/8 au shoot. Intenable. D’autant que du côté de l’équipe de France - même si le retour de Batum sur le parquet faisait du bien en fin de deuxième quart-temps - les champions d’Europe en titre étaient en bien mauvaise posture, menés de 14 points à la pause (32-46).
Dans un grand jour mais beaucoup trop esseulé, "Batman" continuait de sauver les apparences au retour des vestiaires, essayant tant bien que mal de combler les erreurs offensives commises par les Bleus pour recoller. Sur un nuage, les Serbes ne relâchaient pas la pression dans le troisième quart temps, et conservaient leur avance (46-61). Il aurait alors fallu un véritable miracle pour voir les Bleus renverser ce match.
Mais l’impensable a failli se produire. Avec 10 dernières minutes de folie - peut-être les plus incroyables de l’histoire du basket français - les coéquipiers de Boris Diaw ont touché du doigt une remontada aussi improbable qu’héroïque. Un trois-points de Fournier puis un dunk de Batum dès l’entame ont d’abord permis aux Français d’y croire un peu (51-61), d’autant que de l’autre côté du parquet, les coéquipiers de Teodosic commençaient à douter. Portés par un Batum survolté (35 points sur l’ensemble du match), les Bleus défendaient beaucoup mieux et commençaient à mettre leurs adversaires en échec.
"C’est toujours une histoire de concentration" disait justement Boris Diaw avant le match, "Quand toute l’équipe est concentrée et volontaire, on joue des matches comme face à l’Espagne. C’est ce qui nous a manqué dans la préparation" ajoutait l’ailier fort de San Antonio. La concentration, les Bleus l’avaient visiblement retrouvé dans cette fin de match, car il n’y avait plus qu’une seule équipe sur le terrain. Grâce au sang-froid de Thomas Heurtel sur la ligne de lancée, la France revenait même à une possession de la Serbie (82-84) à une minute du coup de sifflet final. Incroyable.
Largement menés à la pause - la France a compté jusqu’à 18 points de retard dans ce match - les champions d’Europe étaient sur le point de tout renverser, et de réaliser un exploit majuscule, peut-être plus grand encore que celui qu’ils venaient d’accomplir en quart de finale. Mais le basket est un sport difficile, parfois cruel, où la dernière minute est souvent dévastatrice pour l’équipe dans la position du chasseur. Les Bleus l’ont appris à leurs dépens face aux Serbes, car les hommes de Djordjevic sont parvenus à conserver leur avantage en jouant à la faute. Les neuf paniers à trois points réussis par les tricolores dans les 10 dernières minutes n’ont pas suffi. Le mal était fait. La messe était dite (85-90).
Regrets éternels
"Il y a forcément de la déception. On avait vraiment l’occasion de remporter ce match" a regretté Boris Diaw au micro de Canal+Sport après la défaite, amère, "On n’est pas rentrés dedans de la bonne façon. On ne méritait pas de gagner. Les Serbes eux l’ont mérité, ils ont joué plus dur. C’est un match perdu. On ne peut en vouloir qu’à nous-mêmes", poursuivait justement le leader des Bleus. "On peut avoir des regrets. On n’était pas prêts aujourd’hui. On a laissé la Serbie développer son jeu" ajoutait avec lucidité Nicolas Batum, seul tricolore au niveau de la première à la dernière minute dans cette demi-finale.
Ce match crucial, les Bleus l’ont effectivement abordé trop sereinement. S’ils étaient bien conscients de leur objectif, et de la nécessité de ne pas se relâcher après l’Espagne, les Français n’ont pas su traduire leur envie en force collective sur le terrain. Il a fallu attendre un dernier quart-temps en forme d'ultime espoir pour voir les Bleus se réveiller, trop tard. L’exploit aurait pu être à la hauteur des ambitions tricolores, mais le rêve s'est arrêté aux portes de la finale. Si les Bleus de 2014 avaient su rebondir en décrochant le bronze face à la Lituanie, ceux de 2019 entendent bien ne pas avoir à disputer de match pour la troisième place. Rudy Gobert et sa bande veulent l'or, mais il faudra battre l'Argentine d'abord.
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