Jean-Philippe Guillin : "Limoges, l'un des plus grands exploits du basket français"
Rédacteur en chef de Tout le Sport, Jean-Philippe Guillin a couvert le Final Four du CSP à Athènes pour le journal national de France 3. Il se souvient avec passion de la victoire de Limoges, riche en symboles, de la transformation de Richard Dacoury et de l'euphorie de Fred Forte. Un événement qui n'a malheureusement pas trouvé sa continuité lors des deux décennies suivantes.
- France 2 avait pris la décision de chambouler ses programmes pour diffuser la finale en direct et en prime time…
Jean-Philippe Guillin : "Au départ, la chaîne devait le diffuser en différé, sur France 3 en troisième partie de soirée, mais je crois me souvenir que Jean Réveillon (directeur de la rédaction des sports en 1993, ndlr) est intervenu au dernier moment pour que cela passe en direct. En demi-finale contre le grand Real de Sabonis, je m'étais contenté de points d'insert en direct, au téléphone depuis la salle à Athènes, dans le 19-20 d'Élise Lucet. J'avais déjà eu la chance de travailler sur un premier Final Four de Limoges à Saragosse en 1990, avec Ostrowski et Dacoury notamment, mais à l'époque nous avions fait du différé sur le national, et du direct sur la région Limousin Poitou-Charentes. Ils perdent contre Split, les futurs champions d'Europe, en demi-finale (et remportent le match pour la troisième place, ndlr)."
- La victoire de Limoges face à Trévise était-elle si surprenante que cela?
JPG : "Ceux qui s'intéressaient au basket savaient que Limoges était une grosse équipe à l'époque. Bozidar Maljkovic leur avait fait énormément travailler la défense, ce n'était pas du basket chatoyant, ils n'étaient pas là pour marquer 100 points. Mais ils étaient loin d'être favoris en arrivant à Athènes : avant de taper l'ogre du Real, ils affichent 9 victoires et 6 défaites au total. Et puis à Trévise, il y avait deux étrangers exceptionnels avec Toni Kukoc et l'ancien des Lakers, Terry Teagle."
"Ils n'étaient pas là pour marquer 100 points"
- Dans l'ensemble, la finale était d'une intensité rare…
JPG : "Une très mauvaise première mi-temps! Beaucoup de maladresse des deux côtés, pas du beau basket. Les scouts américains présents sur place devaient encore se dire que le basket européen, c'est de la "daube"… Ils avaient sûrement dû acérer leur stylo au départ, avant de revenir dessus en voyant l'intensité défensive qu'avait réussi à insuffler Maljkovic dans cette équipe. Richard Dacoury en a été transformé, il y a un avant et un après Maljkovic dans sa carrière. Il s'est rendu compte qu'on pouvait être un très bon joueur de basket sans marquer 25 points ou prendre 15 rebonds. Même chose pour le "petit" Vérove, qui n'a jamais défendu comme ça dans sa carrière."
- S'il ne fallait retenir qu'un seul joueur dans le match ?
JPG : "(Sans réfléchir) Forte, forcément. Fred se souviendra toute sa vie de cette interception, il n'arrivait pas à y croire. Dans les vestiaires après le match, je tombe dans ses bras et je le ramène sur le terrain pour qu'il prenne bien conscience de ce qu'il venait de réaliser. Il me disait : "Je ne sais pas comment j'ai fait". C'est le top de sa carrière. C'est l'homme qui a empêché Toni Kukoc de donner le titre à Trévise."
"Un collectif énorme"
- S'il fallait situer cette performance dans les plus grands exploits sportifs français?
JPG : "C'est évidemment spécial pour moi, qui parlais de basket à mes collègues depuis mon arrivée à la rédaction nationale de France 3. C'est le premier titre européen, un mois avant l'OM en football mais aussi quelques semaines avant aussi Vitrolles en handball. Et puis, la France s'identifiait à cette équipe de Limoges qui comportait beaucoup de basketteurs membres de l'équipe nationale. C'était très fort, je le mets forcément dans le top 10."
- "Voilà pourquoi le basket sera le sport de l'an 2000", disait Patrick Montel pendant la finale. Vingt ans plus tard, n'aurait-on pas raté quelque chose?
JPG : "Le déclic, ce sont les Jeux de Barcelone, l'engouement autour de la Dream Team où on se dit que tout le monde va se mettre à jouer au basket. C'est effectivement devenu l'un des sports les plus pratiqués au Monde. En revanche, avec l'arrêt Bosman en 1995 (libre circulation des sportifs de haut niveau quelque soit leur nationalité, ndlr) on n'a plus eu les moyens économiques de conserver, en France, les meilleurs étrangers. Dans le basket féminin par exemple, les meilleures vont en Russie où elles sont payées plus d'un million de dollars par saison : tu appauvris ton réservoir national... et ton réflexe de défenseur du sport hexagonal. A côté de la NBA qui se vend comme un produit, le basket français change sans cesse. Tu ne peux pas t'identifier à une équipe qui change complètement en six mois! A l'époque, le gamin qui regardait du basket savait que Dacoury, c'était Limoges, et Rigaudeau, Cholet. Ils restaient. Le sport s'est développé certes, mais pour les Français, ça a été un appauvrissement. Et puis, aujourd'hui, un jeune qui joue sur un playground Portes de Vincennes ne parle que de NBA. Tony Parker, un salaire garanti, 500 000 dollars… Beaucoup se servent du championnat de France comme un lieu de passage pour éventuellement se faire repérer à titre individuel et partir en NBA où ne parle que des statistiques. Or, l'avantage de Limoges en 1993, c'était la plus-value : sur le papier, autour des deux étrangers (Jure Zodvc, Michael Young), des gars comme Butter et Vérove, épais comme des coucous, ne faisaient rêver personne. Mais l'entraînement collectif, le fait de jouer pour un autre, faisait dégager une énorme plus-value. Cette tradition, qui faisait qu'on gagnait des matches à plusieurs, s'est transformée en un sport très individualiste".
Semaine spéciale Limoges 93 :
Dacoury : "Le trophée le plus extraordinaire de ma carrière" (1/2)
Dacoury : "En 1992, je suis sur le point de prendre ma retraite" (2/2)
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