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Liz Mills, pionnière dans l'histoire du basket mondial

La carrière de Liz Mills n'en est qu'à ses débuts, mais elle pourrait déjà servir de solide scénario à un film. L'Australienne est parvenue à emmener l'équipe masculine du Kenya à l'Afrobasket, le championnat d'Afrique des nations. Elle sera en août prochain la première femme de l'histoire à coacher une équipe d'hommes dans une compétition internationale.
Article rédigé par Loris Belin
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 9min
Liz Mills, l'entraîneur de la sélection masculine de basket du Kenya, lors du match contre l'Angola le 20 février dernier à Yaoundé (Cameroun) lors des qualifications pour l'Afrobasket 2021

Un grand cri de joie pour une immense libération. Au bord du parquet, difficile de manquer Liz Mills avec ses bottes et sa queue de cheval caractéristiques. Difficile également de ne pas remarquer son intensité sur le banc de touche et avec ses joueurs. Impossible surtout de passer outre l'histoire aussi improbable que remarquable de l'Australienne. Mills a réussi l'exploit d'emmener l'équipe nationale masculine du Kenya au prochain AfroBasket. Celui d'avoir brisé des barrières ce samedi 20 février est bien plus grand encore. Elle devrait être en août prochain la première femme à coacher une équipe masculine dans une grande compétition internationale de basket.

Liz Mills est une défricheuse, une aventurière du sport. Biberonnée en Australie, "où le sport est comme une religion" explique-t-elle, la jeune femme originaire de Sydney y a vu naître une vocation, devant sa télévision. "Avec ma sœur jumelle, on a grandi en regardant le championnat féminin de basket ici, nous raconte-t-elle. Nous avons eu des joueuses incroyables dans les années 90 et au début des années 2000, Lauren Jackson, Penny Taylor, Sandy Brondello ou Michelle Timms. Surtout, il y avait de nombreuses femmes entraîneurs et c'était assez rare à l'époque. Cela nous a inspiré, nous avons commencé le basket à 15 ans, et à coacher dès 16 ans." Et c'est en Afrique que Mills va trouver le terrain où s'exprimer.

"Si j'avais été un Australien, et non une Australienne, on ne m'aurait pas posé la moindre question avant que l'on m'offre le poste"

En 2008, sa sœur et elle participent à une mission humanitaire en Zambie. Le coup de foudre est immédiat. "Nous sommes tombées amoureuse de l'Afrique dès que nous sommes arrivées, évoque-t-elle, encore émue. Les gens sont tellement chaleureux, amicaux, les paysages et la faune sont incroyables. L'Afrique est vraiment devenue pour moi la maison loin de mes terres."

Une jeune Australienne prête à entraîner n'importe où en Afrique, l'aventure a des airs de pari. Elle entame son périple en 2011 en Zambie, là où tout a commencé. Mills connaît le succès avec différents clubs et structures, et se fait un nom dans le pays. Mais ce bel incipit n'empêche pas les péripéties. Il ne suffit pas encore pour défier les us et coutumes locales et s'imposer comme une évidence.

"Comme la fédération ne voulait qu'un local pour diriger la sélection, on m'a finalement donné un poste d'assistante. Si j'avais été un Australien, et non une Australienne, on ne m'aurait pas posé la moindre question avant que l'on m'offre le poste." La Zambie n'a pourtant encore jamais participé à un Championnat d'Afrique des nations de son histoire. "J'ai été dévastée quand on ne s'est pas qualifié en 2017. Disputer cette compétition, c'était mon rêve depuis cinq ans. Je voulais déjà être la première femme à emmener une équipe masculine à l'AfroBasket."

Mais Liz Mills est du genre déterminée, obstinée même. Si elle revient en 2014 terminer son master d'entraîneur en Australie, "c'est parce qu'avec plus de qualifications, ce serait plus dur pour les fédérations de m'ignorer." "Comment voulaient-elles alors regarder mon CV, mes qualifications et ne pas considérer ma candidature pour devenir entraîneur principal ? Les femmes doivent toujours avoir plus de compétences, ou se donner à 110% de plus pour être reconnues."

L'affront de la Zambie lui donne une nouvelle idée et une nouvelle ligne à ajouter à son parcours déjà long comme le bras : être la spécialiste des "statistiques avancées" sur le basket africain. "J'ai dû tout faire à la main, aller chercher les feuilles de match sur le site de la fédération internationale de basket et tout rentrer dans des tableurs." En sus d'être coach, elle devient une analyste et une consultante prisée sur le continent. "Ces concepts sont devenus la norme en NBA et en Euroligue, mais l'analyse de vidéo, le scouting… Tout ça est complètement nouveau en Afrique. J'espère que cela pourra élever le niveau de jeu sur le continent."

La première des Morans

Élever le niveau, briser les codes, Liz Mills s'en est fait une raison de vivre. Les mésaventures ont renforcé ses convictions, alimenté sa motivation. Il ne manquait que l'opportunité de les assouvir. Alors que le Kenya patauge dans son groupe de qualifications, la fédération fait appel à elle pour prendre les rênes en janvier dernier. Elle est alors embarquée dans une drôle de mission commando : préparer les Morans – du nom des combattants masaïs du pays – en deux semaines chrono pour se qualifier à leur premier Afrobasket depuis 28 ans.

"J'aime le défi de construire une équipe, nous explique-t-elle. C'est "facile" d'arriver dans des pays comme le Nigéria ou la Tunisie, qui ont des années de victoires et qui ont construit une culture basket. Je veux travailler avec des équipes que les gens négligent. On vit pour ces moments-là, quand les petits tapent les gros."

Le samedi 20 février dernier, le Kenya affrontait l'Angola, monument du basket africain placé 83 rangs plus haut que les Morans au classement des nations de la Fédération internationale de basket. Vite menés, les Kenyans ont pourtant renversé le match avant de s'imposer à la dernière seconde (74-73) pour décrocher leur billet pour l’Afrobasket aux Rwanda du 24 août au 5 septembre.

"Mon premier rêve est sur le point de se réaliser, après neuf ans à le bâtir. J'ai tellement hâte de fouler le parquet. On veut aller à l'Afrobasket pour être compétitifs, pas seulement pour y prendre part."

"Un de mes autres rêves est d'entraîner une équipe africaine en Coupe du monde ou aux Jeux olympiques, poursuit Liz Mills. J'espère que j'en aurais l'opportunité d'ici quelques années. Tous mes rêves visent à promouvoir le basket africain, et l'égalité pour les femmes dans le coaching. De montrer au monde à quel point il a une idée fausse de ce qu'est l'Afrique." C'est de là que Mills va marquer l'histoire du basket international, et paver le chemin vers l'égalité hommes-femmes dans le monde du sport. 

"Beaucoup de gens voient encore l'Afrique comme très rétrograde, patriarcale. Mais si elle est la première à faire confiance à une femme, quelles sont les excuses de tous les autres pays ? Je suis fière d'être la première femme à réussir cela. Mais j'espère surtout être la première de beaucoup d'autres. Que cela va mettre un pied dans la porte des fédérations pour qu'elles choisissent leurs entraîneurs sur la foi de leurs compétences et de leur expérience, pas en fonction de s'ils sont un homme ou une femme. Pas mal de gens me disent que je suis le meilleur entraîneur féminin qu'ils aient jamais vu. Je prends presque mal ce compliment, pourquoi est-ce que je ne serais pas la meilleure entraîneur, tout court ? C'est un peu triste que l'on soit en 2021 et qu'on en soit encore là. Il y a tellement de jeunes femmes coach à qui on n'a jamais donné d'opportunités. Le seul conseil que je peux leur donner, c'est qu'elles créent leur opportunité. C'est ce que j'ai fait toute ma carrière."

Elle ne fait sans doute que débuter alors qu'elle a déjà vécu dix vies en Afrique. L'ascension éclatante de Liz Mills dans le basket international pourrait être à la vitesse de celle de la balle orange sur l'ensemble du continent. "Cela ne fait pas le moindre doute que de nombreux entraîneurs vont débarquer en se disant 'tiens, et si je prenais en main une équipe ici', alors qu'ils ne l'auraient jamais fait il y a encore quelques années. C'est un moment passionnant pour être en Afrique." Cela tombe bien, Mills le clame haut et fort, elle compte bien y rester pour "au moins une dizaine d'années". Il reste bien encore quelques barrières à faire voler en éclats.

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