L'ultime défi de Phil Jackson
Jackson n’a pas choisi New York par hasard. En revenant, il savait que son retour serait perçu comme celui du fils prodigue. Avant de prendre en main les Bulls (six titres entre 1991 et 1998) puis les Lakers (cinq sacres en 2000 et 2010), le technicien hors-pair avait en effet évolué onze années (1967-1978) sous l’uniforme des Knicks. Il avait même participé à deux campagnes victorieuses (1970, 1973) avec la franchise de Big Apple qui n’a plus jamais, depuis, remporté le moindre titre NBA.
Un symbole qui réussit tout ce qu’il tente
A l’issue de sa carrière de joueur, où son leadership était déjà loué, Jackson s’est essayé au coaching au début des années 80, en ligue mineure (CBA) puis en NBA. Et il a tout raflé. Technicien au plus fort taux de victoire de l’histoire (70,4%), sacré à onze reprises (record NBA), il a quitté les Lakers, en 2011, avec l’image d’un coach légendaire qui transforme en succès tout ce qu’il approche. La dimension symbolique du personnage revêtira donc une importance significative pour ces Knicks-là, qui s’appuieront autant sur ses qualités de gestionnaire que sur son immense aura pour redorer leur blason.
Vers une liberté de décision totale ?
Mais que fera exactement Phil Jackson à New York ? Officiellement, il sera membre du front-office des Knicks, en charge des "opérations basket" de la franchise. Potentiellement, cela pourrait lui offrir une immense marge de manœuvre : choix du coaching staff (l’actuel entraîneur en place, Mike Woodson, est très décrié) voire d’un nouveau General Manager (Steve Mills, arrivé en septembre, ne convainc pas), mais aussi pouvoir de décision sur le recrutement, la Draft (la cuvée 2014 est annoncée comme l’une des plus riches de l’histoire) et la gestion des contrats (sa priorité : prolonger Carmelo Anthony, qui devient agent libre cet été).
Pourquoi Jackson a été tenté...
Concrètement, Jackson pourrait donc avoir une mainmise totale sur la plus mythique des franchises NBA. Et s’il a refusé d’en devenir "simplement" le coach, c’est bien pour posséder un droit de regard et d’action sur la totalité des décisions -sportives et financières- des Knicks, afin d’y insuffler sa vision, sa culture… et ses manies. Ce nouveau rôle fait beaucoup penser à celui qu’a choisi d’endosser Pat Riley à Miami en 2008. Ancien coach titré en 2006, désormais président de la franchise floridienne, l’homme fort du Heat est aujourd’hui autant un manager -sportif et financier- qu’un mentor pour ses joueurs.
Jackson, homme de défis et de records, rêve bien évidemment de suivre ses pas. Présenté mardi devant la presse, il évoquait déjà l’importance des "systèmes de jeu", de la "circulation de balle" et de la place de Carmelo Anthony dans l’attaque des Knicks. Car le Master Zen -en référence à ses qualités de psychologue- voudra tout gérer, quitte à empiéter sur le poste de Mike Woodson, pour relancer sa franchise de cœur vers les sommets de la ligue.
… et pourquoi c’est très risqué
Le problème, c’est que le défi qu’a choisi de relever Jackson est plus relevé que jamais. La situation des Knicks n’est pas mauvaise : elle est encore pire. Son propriétaire, James Dolan, est un personnage excentrique qui possède un historique impressionnant en termes de mauvaises décisions et d’investissements ratés. La presse new-yorkaise est la plus critique de tout le pays ; ses fans sont les plus acharnés, mais aussi les plus difficiles. Et ils ont raison de râler, car la franchise est abîmée à tous les niveaux : elle ne dispose par exemple d'aucun choix de Draft ni cette année, ni en 2016.
Or, Jackson, avec toute son expérience et sa bonne volonté, n’est pas un faiseur de miracle... d’autant qu’il a eu quelques gros pépins physiques ces dernières années (hanche, genou), et qu’il compte faire d’incessants aller-retour entre New York, où il s’apprête à déménager, et la Californie, où vivent encore sa femme et ses quatre enfants. En outre, les décisions de l’ancien technicien ont toujours été prises sur des bases solides, certaines, à l’image de ses systèmes de jeu (la fameuse attaque en triangle) qui semblaient avoir été inventés pour les joueurs qu’il avait alors à sa disposition. Là, c'est le grand saut dans l'inconnu.
Car Jackson débarque dans une ligue où les dirigeants n’ont plus le même profil qu’il y a quelques années. Les franchises recrutent aujourd’hui des managers jeunes, scouts émérites (spécialistes du suivi des jeunes joueurs), dingues de statistiques avancées, de nouveaux outils d'analyses, voire des experts économiques. L’homme de la vieille école, qui espère redonner aux Knicks leur lustre d'antan, sera donc bien obligé de s’entourer de conseillers avisés pour réussir sa mission. Conscient que tout au bout de son palmarès, l'un des plus beaux de l’histoire du sport, cet accomplissement ferait figure d’ultime chef d’œuvre.
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