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NBA : Kyle Korver signe une tribune sur le "privilège" d'être blanc aux Etats-Unis

Dans un texte publié sur le site "The Players' Tribune", le joueur du Utah Jazz Kyle Korver a livré sa vision et sa réflexion sur la question du racisme et du privilège d’être blanc aux Etats-Unis, au travers de deux incidents impliquant des joueurs noirs de la NBA.
Article rédigé par Mathieu Aellen
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 8min
  (CHRISTIAN PETERSEN / GETTY IMAGES NORTH AMERICA)

"The Players' Tribune" est un site internet créé en 2013 par l'ancien joueur de baseball professionnel Derek Jeter, où les sportifs de tous bords et de tous horizons ont la liberté de s’exprimer à la première personne sur des sujets personnels qui leur tiennent à cœur. La dernière tribune publiée, datée du lundi 8 avril, s’appelle "Privileged" ("Privilégié" en VF) et est signée de la main de Kyle Korver, joueur de basket au sein de l’équipe Utah Jazz. L’ailier de 38 ans se confie longuement sur le racisme en NBA et aux Etats-Unis et le privilège d’être un homme blanc au sein de la société américaine au travers de sa propre expérience et de deux incidents impliquant des joueurs noirs de la NBA ces dernières années.

"Quand la police brise la jambe de ton coéquipier, tu pourrais penser que ça va te réveiller un peu. Quand ils l'arrêtent dans une rue de New York, le mettent en prison pour la nuit et le laissent avec une blessure qui met un terme à sa saison, tu pourrais penser qu'il y a autre chose derrière cette histoire. Tu pourrais. Mais non."

C'est par ces mots que Kyle Korver débute sa tribune, racontant l’histoire de Thabo Sefolosha, son ami et coéquipier chez les Hawks et arrêté à New-York en 2015 à la sortie d’une boîte de nuit après un match face aux Knicks. Le joueur d’origine sud-africaine, gravement blessé à la jambe lors de cette arrestation, a finalement été déclaré non coupable de toutes les charges portées contre lui avant de recevoir une indemnisation de 4 millions de dollars de la part de la ville de New-York suite aux poursuites engagées par le joueur.Un souvenir difficile pour Kyle Korver, qui explique comment il a réagi en apprenant l’incident et son embarras de s’être demandé ce que faisait "Thabo dans une boîte de nuit pendant un back to back" (deux matches en deux jours) plutôt que de chercher à savoir ce qu’il s’était passé pendant l’arrestation."Avant d'apprendre le fond de l'histoire et d'avoir l'occasion d’en parler à Thabo, je l’ai en quelque sorte blâmé", écrit-il. "Je me suis dit que si j'avais été à la place de Thabo, en boîte de nuit, la police ne m'aurait pas arrêté à moins d'avoir fait quelque chose de mal."

Un embarras que Kyle Korver a de nouveau ressenti il y a quelques semaines après l’altercation entre le meneur d’OKC Russell Westbrook et un supporter du Jazz, et les insultes racistes dont aurait été victime le N°0 d’Oklahoma. "Le jeune homme et sa femme dans les tribunes m'ont dit de me mettre à genoux, comme nous le faisions avant. C'est pour moi l'expression d'un manque total de respect, je pense qu'il y a un caractère racial (dans ces propos), c'est inapproprié", avait-il expliqué après le match. Kyle Korver, présent sur le parquet lors ce match, évoque dans sa tribune la réunion à huis clos qui s’est tenue le lendemain de cet incident, en présence des joueurs et du président du Jazz, Steve Starks.

"Lors d'une réunion privée avec le président du Jazz le lendemain, mes coéquipiers ont partagé des expériences similaires qu'ils avaient eues. Ils s'étaient sentis insultés dans des proportions bien plus graves que la simple provocation de spectateurs", écrit Kyle Korver, insistant sur la déception, la colère et l’épuisement de ses coéquipiers noirs de devoir subir les insultes et actes racistes, autant sur les parquets que dans la vie de tous les jours. "Les gars en avaient juste vraiment marre de tout ça. Ce n'est pas la première fois qu'ils avaient une conversation à propos des questions raciales au cours de leur carrière NBA. Et ce n'est pas la première fois qu'ils devaient s’occuper des actes haineux d'autres personnes. Et l’une des choses qui a été beaucoup évoquée au cours de cette réunion, c'est à quel point ces incidents ne concernaient pas seulement les personnes directement impliqués. Ça ne concernait pas seulement Russ et un certain fauteur de trouble. C'était bien plus que cela. Cela concernait ce que cela signifie aujourd'hui d’exister en tant que personne de couleur dans un environnement composé essentiellement de personnes blanches. C'était à propos du racisme aux Etats-Unis."

"Je réalise cela maintenant"

Deux événements comme fil rouge, qui ont fait prendre conscience à Kyle Korver de sa cécité envers son "privilège" d'être un homme blanc et que contrairement à Sefolosha et Westbrook, il n'avait pas à craindre d'être victime de discrimination. "Ce que je réalise, c’est que, peu importe à quel point je m'engage à être un allié de cette cause, peu importe le soutien indéfectible que je donne aux joueurs de couleur de la NBA et de la WNBA… Je peux toujours aborder cette question d’un point de vue privilégié, qui a le choix de s'en préoccuper ou pas, écrit-il. Ce qui signifie que d’un autre côté, je pourrais tout aussi bien choisir de ne pas m’en préoccuper. Chaque jour, j’ai ce choix – j’ai ce privilège – simplement en raison de ma couleur de peau. En d'autres termes, je peux dire tout ce qui est juste, témoigner à Russ ma solidarité, faire évoluer mon point de vue sur ce qui est arrivé à Thabo. (...) Je peux condamner tous les racistes que j'ai rencontrés. Mais je peux aussi me fondre dans la masse et me mettre du côté de ces racistes quand j'en ai envie. Je réalise cela maintenant."

Kyle Korver évoque également l’embarras de cette étiquette de joueur blanc dans une ligue "composée à 75% de joueurs noirs" et le symbole qu’il peut représenter pour certains supporters blancs. "Je sais que je suis dans une position étrange, du fait que je suis l’un des joueurs blancs les plus reconnus de la NBA. Cette position provoque de nombreux sous-entendus et fait de moi un symbole pour beaucoup de gens, même pour ceux qui ne connaissent absolument rien de moi. D'habitude, je les ignore. Mais pas aujourd'hui. C'est le moment de tracer une ligne de démarcation sur le sable. Je crois que ce qui arrive aux personnes de couleur dans ce pays - en ce moment, en 2019 - est injuste." 

Le joueur du Jazz s'est également confié sur son propre sentiment de responsabilité - "Je sais qu'en tant qu'homme blanc, je dois tenir mes concitoyens blancs pour responsables"- avant de s'interroger sur la manière, en tant que joueur blanc dans la NBA, de contribuer à la lutte contre le racisme et de conclure sur une épiphore lourde de sens. "Je crois que c’est la responsabilité de quiconque se trouvant du bon côté des privilèges et des inégalités d’aider à rendre les choses justes. Si vous voulez porter mon maillot, soyez au courant de ça. Si vous voulez l'offrir à quelqu'un, soyez au courant de ça. Si vous me suivez sur les réseaux sociaux, soyez au courant de ça. Si vous venez aux matches du Jazz pour me soutenir, soyez au courant de ça. Et si vous scandez mon nom, soyez au courant de ça. Merci de m'avoir lu. Il est temps pour moi de la fermer et d'écouter".

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