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Que font les sportifs de leur argent? Ils sauvent des emplois, parfois

Le défenseur de l'équipe de France de foot Laurent Koscielny, qui a sauvé une fabrique d'accordéons corrézienne, n'est que le dernier d'une longue série.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Le défenseur d'Arsenal Laurent Koscielny lors du match contre Sunderland, le 22 février 2014.  (BEN QUEENSBOROUGH / BPI / REX / SIPA)

La BA de la semaine est à mettre à l'actif du défenseur des Bleus Laurent Koscielny, qui a investi 300 000 euros pour sauver une entreprise d'accordéons près de Tulle (Corrèze). Le geste du footballeur d'Arsenal a permis de sauver une dizaine d'emplois et de redorer un peu l'image du sportif - pire, du footballeur - qui ne pense qu'à sa prochaine Ferrari. Et pourtant, les exemples de sportifs qui rendent à leur communauté un peu de ce qu'ils ont gagné sont nombreux. 

En vendant des voitures, comme Michael Jordan

Au sommet de sa gloire, en 1995, Michael Jordan reçoit des dizaines de millions de dollars en salaire des Chicago Bulls et en droits d'image de Nike, mais ça ne l'empêche pas… de devenir concessionnaire Nissan en Caroline du Nord, son Etat d'origine. Le Baltimore Sun (en anglais) raconte que Jordan investit 1,5 million de dollars pour relooker quelques concessions, en y installant notamment un terrain de basket pour que les enfants puissent laisser leurs parents acheter sereinement une nouvelle voiture. 

Pat Pascarella, qui a dirigé plusieurs concessions estampillées Jordan, se souvient dans le Charlotte Observer (en anglais) : "Un jour, Michael Jordan m'a appelé et a dit qu'il était en ville et qu'il allait passer à la réunion commerciale du matin." Contrairement à ses investissements dans des restaurants ou des hôtels où il ne mettait jamais les pieds, l'ancien basketteur s'intéresse à ses concessions. "Il surveille les comptes de près", se rappelle Pascarella, qui ajoute que les salariés recevaient des chaussures Air Jordan flambant neuves comme prime en nature. 

Michael Jordan, lors d'une conférence de presse à Charlotte (Caroline du Nord), le 1er novembre 2013.  (MCT / SIPA USA)

En tentant de redresser une équipe en difficulté, comme Fernando Alonso

Fin 2013, l'équipe cycliste basque Euskaltel-Euskadi est en difficulté. L'emblématique formation au maillot orange annonce qu'elle est contrainte de mettre la clé sous la porte... quand surgit le pilote espagnol de F1 Fernando Alonso, grand fan de cyclisme. Les négociations durent. Alonso, qui a le soutien de la banque Santander, est prêt à mettre sur la table les 17 à 20 millions d'euros nécessaires - l'équivalent de son salaire annuel, tout de même. Mais début septembre, Euskaltel se retire des pourparlers. Motif : Alonso voulait récupérer la licence pro-Tour de l'équipe (le sésame qui donne le droit de participer au Tour de France, entre autres) et rebâtir l'équipe de A à Z. 

Le pilote Ferrari Fernando Alonso lors d'un tour du circuit de Corée du Sud à vélo, le 20 octobre 2010.  (MARK BAKER / AP / SIPA)

"Je ne comprends pas comment quelqu'un peut être prêt à investir entre 17 et 20 millions d'euros, en voulant créer un grand projet, sans savoir comment cela fonctionne, regrette l'ancien directeur sportif de l'équipe basque, Igor Gonzalez de Galdeano, dans le journal AS (en espagnol). L'affaire a capoté... jusqu'à l'année prochaine. Alonso envisagerait de racheter l'équipe Cannondale, et de rebâtir une équipe autour de la star Peter Sagan. Pas sûr que cela réussisse. Le pilote Ferrari en est déjà à son deuxième échec, après une tentative avortée en 2009, avec Alberto Contador au casting. 

Bonus : plusieurs vedettes espagnoles de la Premier League se sont mobilisées pour sauver l'équipe du Real Oviedo (D3 espagnole) à l'appel d'un journaliste du Guardian (en anglais). Le champion du monde 2010 Andrés Iniesta a, lui, lâché 240 000 euros pour sauver son club formateur, Albacete (en quatrième division). Des montants bien moindres que ceux investis par Alonso.

En faisant fonctionner l'économie de la Bretagne, comme Bernard Hinault

Le quintuple vainqueur du Tour de France n'avait pas encore fini sa carrière qu'il investissait déjà dans une ferme, à Calorguen, dans les Côtes-d'Armor, en 1983. La ferme est au nom de sa femme, Martine, également maire de la commune jusqu'aux prochaines élections. Encore heureux, lâche-t-elle au JDD : "Il n'est jamais là. Quand il revient, il fait du vélo !" Pas faux, reconnaît celui qu'on surnomme "le Blaireau" dans La France Agricole : "C'est elle l'exploitante agricole en titre. Moi, je ne suis que l'ouvrier de madame et ça me va bien." Au départ, Bernard Hinault rêvait grand : "En pédalant, je me suis souvent imaginé au milieu de mon troupeau", confie-t-il au Parisien. Les quotas laitiers de la politique agricole commune en décideront autrement. "C'était pas viable mais on avait promis de garder l'employé. On a quand même produit jusqu'à sa retraite", poursuit le champion. 

Bernard Hinault s'entraîne dans son jardin de Calorguen (Côtes-d'Armor) en compagnie de son patron de l'époque, Bernard Tapie, le 7 octobre 1983. (AFP)

N'allez pas croire que la contribution de Bernard Hinault à l'économie bretonne se soit arrêtée là : il codirige une entreprise de distribution de produits pour les boulangeries-pâtisseries. Et son fils a ouvert un magasin de cycles à Saint-Malo, rapporte Ouest-France.

En faisant de l'entreprise familiale une multinationale, comme Gérard Bertrand

Gérard Bertrand n'a que 33 ans quand il doit renoncer à sa carrière de rugbyman à cause d'une vilaine blessure. Capitaine emblématique du RC Narbonne, en pré-retraite au Stade français, il retourne en 1994 dans sa région pour reprendre le vignoble familial. Son père, Georges, a choisi de faire de la qualité, quand le Languedoc souffre d'une réputation épouvantable et que les vignerons du coin assument de "faire pisser la vigne". Une décision capitale quand les goûts des consommateurs basculeront vers des vins plus chers et de meilleure qualité. "J'aidais mon père à faire le vin quand j'avais 10 ans", se souvient Gérard Bertrand, interrogé dans le New Jersey Journal (en anglais). "Ainsi, à 60 ans, j'aurai 50 ans d'expérience !"

L'ancien rugbyman devenu viticulteur Gérard Bertrand, dans un cellier de Bizanet (Aude) en 2008. (RAYMOND ROIG / AFP)

Sa première décision : s'agrandir. Une équipe de quinze personnes ratisse la région Languedoc à la recherche de terres prometteuses, jusqu'en 1998. En vingt ans, l'entreprise passe de 5 à 200 salariés, et les vignobles grossissent de 60 à 400 hectares. Les chiffres de ventes suivent. Chaque année, les vins estampillés Gérard Bertrand - dont le fameux domaine de l'Hospitalet - se vendent à 10 millions de bouteilles. "Notre objectif, c’est d’être une marque mondiale et d’être distribués dans 150 pays d’ici cinq ans", affirmait Gérard Bertrand au Midi Libre, en 2012. Le rugby n'est jamais bien loin : Gérard Bertrand a signé des cuvées spéciales Stade français avec des bouteilles aux couleurs (criardes) des maillots du club, dans les années 2000. Une success-story qui lui vaut le surnom de "Bernard Tapie bachique".

En sauvant sa ville, comme Magic Johnson

"Je ne remplis jamais un chèque sans m'investir. Vous allez me voir souvent à Detroit", a déclaré au Crain's Detroit Business (en anglais) Magic Johnson, basketteur mythique des Los Angeles Lakers, en 2011. Ce dernier a investi une partie de sa fortune dans une joint-venture destinée à transformer la ville de l'industrie automobile en "Detroit 2.0". Originaire de la région, Magic Johnson, avec d'autres entrepreneurs, entend encourager l'investissement dans les nouvelles technologies. "Je veux aider les gens de mon Etat [le Michigan] à retrouver du travail", écrit-il sur sa page Facebook

L'ancien basketteur Magic Johnson aux côtés de Barack Obama, le 11 novembre 2011 à Vinson (Californie). (SUSAN WALSH / AP / SIPA)

Magic Johnson, c'est l'exemple même du sportif devenu businessman qui veut rendre ce qu'on lui a donné. En 1995, au crépuscule de sa carrière, il lance une chaîne de cinémas implantés uniquement dans les banlieues difficiles, en partenariat avec Sony. Non seulement ça marche, mais d'autres commerces s'implantent à proximité, permettant à ces quartiers délaissés de retrouver une vie. "Les gens n'avaient pas à prendre leur voiture pour aller voir les films dans d'autres quartiers", se souvient le conseiller municipal de Los Angeles Bernard C. Parks, dans le Los Angeles Times (en anglais). Le basketteur revend sa participation dans les cinémas en 2010 pour se tourner vers d'autres projets. Entre-temps, il est devenu le businessman afro-américain le plus puissant d'Amérique, peut-on lire sur son site.

Cette liste est loin d'être exhaustive. Si les ratages et faillites sont très médiatisés, les sportifs qui agissent en chef d'entreprise responsable ou en business angel passionnent moins les foules. "Les sportifs sont des joueurs, remarque Doug Glanville, spécialiste de la reconversion des sportifs, cité dans GQ (en anglais). Depuis qu'ils ont signé leur premier contrat, la Terre entière essaie de les attirer pour investir sur un projet. Forcément, au bout d'un moment, ils se laissent tenter. L'esprit de compétition ne se met jamais en veilleuse !"

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