On vous explique pourquoi l'avenir de la boxe dans le programme olympique est plus fragile que jamais
Touchée mais pas KO. La boxe a survécu au pire : elle figurera bien au programme des Jeux olympiques de Paris 2024 dans un peu plus de huit mois (du 26 juillet au 11 août). Mais une question revient de plus en plus : pour combien de temps le restera-t-elle ? En juin dernier, le noble art avait été mis au tapis à l’occasion de la 140e session du Comité international olympique (CIO), qui avait décidé de bannir définitivement la Fédération internationale de boxe amateur (IBA) du mouvement olympique.
Si cette sanction a fragilisé la boxe amateur, elle ne l'a pas exclue des prochains JO. Elle a cependant acté la fin de la gestion des tournois de qualifications olympiques par l'IBA, comme ce fut le cas déjà avant les Jeux de Tokyo en 2021. Cinq mois après la décision du CIO, le président de l’IBA, Umar Kremlev, n’a toujours pas digéré.
Au moment où le Tribunal Arbitral du Sport (TAS) lançait son examen de la suspension, ce dernier a assuré, lors d’une conférence de presse donnée le 16 novembre dans un grand palace du 16e arrondissement de Paris, qu'il ne laisserait "jamais ces 'fonctionnaires du CIO' décider du sort de la boxe". Proche du président Vladimir Poutine, le dirigeant russe a décidé de ne pas baisser sa garde alors que sa discipline pourrait, d’ici aux Jeux de Los Angeles 2028, être éjectée du programme olympique.
Corruption et gouvernances douteuses, le lourd passif de l’IBA
Déjà "suspendue" par le CIO en juin 2019, la Fédération internationale de boxe amateur n’a jamais cessé de se discréditer entre scandales d'arbitrage à répétition, dettes abyssales, et la précédente présidence de l’Ouzbek Gafur Rakhimov, reconnu par les autorités américaines comme "l'un des plus importants trafiquants d’héroïne" au monde.
Un rapport officiel [article en anglais] de l'organisme olympique, datant de 2019, avait notamment pointé du doigt les dettes "inquiétantes" de l'IBA, que le nouveau président Umar Kremlev, fraîchement élu en décembre 2020, s'était engagé à éponger [article en anglais] à hauteur de "50 millions de dollars sur deux ans, pour reconstruire l'IBA". Sa façon à lui de promettre dans le même temps de grands changements, insistant même sur sa volonté de faire le ménage avec ce passé trouble marqué par la corruption.
Nouvelle désillusion du côté du CIO : dans un nouveau rapport au vitriol publié en juin dernier, le Comité international olympique a non seulement jugé que l'IBA avait "échoué à remplir les conditions" fixées pour sa réintégration, mais qu'elle était aussi allée jusqu'à "l'intimidation", notamment quand le CIO lui a enlevé l'organisation du tournoi olympique de Paris 2024, après l'avoir privée de celui de Tokyo 2020. Mais aussi lorsque Umar Kremlev a autorisé la participation des Russes et Biélorusses sous leurs propres couleurs lors des Mondiaux 2023 [en Inde pour les femmes, en Ouzbékistan pour les hommes].
"Le CIO a constamment et patiemment tenté d'aider sur les sujets d'inquiétude", mais l'IBA "n'a pas été capable de fournir les éléments permettant la levée de sa suspension", avait résumé Christophe De Kepper, le directeur général de l'instance. L'organisation olympique déplore enfin la dépendance financière persistante au géant russe Gazprom, son principal parraineur amené par Umar Kremlev lors de sa première élection. Depuis, l'ultra leader du marché gazier mondial finance à lui tout seul, ou presque, l'IBA et toutes ses manifestations dont les fameux prize money mis en place - une nouveauté dans la boxe amateur - par son président russe.
Vers un modèle de plus en plus professionnel
En conférence de presse, le président russe a répondu à sa manière aux dernières mises en garde du CIO, et aux doutes quant à l'avenir olympique fragile de son sport. "Ce n’est pas la boxe qui va perdre de la notoriété, mais les JO ! Car la boxe est plus populaire que les Jeux ! Et ce ne sont pas les JO qui en sont la cause, mais l’organisation et ses membres qui sont responsables pour la corruption qu’il y a eue. Je ne peux pas dire si l’organisation est au courant ou pas. Mais pourquoi elle ne dit rien ?", a lancé Umar Kremlev.
"Nous, aujourd’hui, on a tout nettoyé et nous sommes 'clean'. Maintenant, si la boxe ne fait plus partie des Jeux, on ne perdra rien. Ce sont les Jeux qui perdront !"
Umar Kremlev, président de l'IBAen conférence de presse
Une position qu'il ne développera pas plus et qui peut surprendre, mais qui s'explique surtout par le virage professionnel entrepris par le président Kremlev. Dans ce sens, il a confirmé l'augmentation des futurs prize money lors des Mondiaux, mais aussi lorsque ses champions du monde iront défendre, deux fois par an, leur ceinture, promettant 300 000 euros aux vainqueurs et 200 000 aux perdants.
Un point de vue partagé par la championne olympique Estelle Mossely, l'une des principales ambassadrices de l'IBA et soutien proclamé de son président. "Au vu de la direction prise par l'IBA (...) qui pourrait aussi évoluer différemment à travers une boxe plus professionnelle, (...) en effet, ça ne serait pas un souci [de ne plus être au programme olympique]" a appuyé la boxeuse tricolore de 31 ans, qui précise tout de même : "J'ai quand même quelques nuances. Après les JO 2016, avec toute l'équipe de France, nous avions touché les jeunes : on a eu beaucoup plus de licenciés, 30 % en plus en septembre [2016]. Cela reste un bon moyen d'amener vers notre sport et de passer des messages. Donc je pense que ça nous poserait des soucis à ce niveau-là."
Si le CIO a assuré que la boxe serait bien au programme à Paris en 2024, rien n'est effectivement moins sûr pour ceux de Los Angeles en 2028. Lors de la 141e et dernière session de l'instance olympique à Mumbai (Inde), il y a un mois, la commission exécutive du CIO avait décidé que "toute décision concernant l'admission de la boxe au programme des sports pour les Jeux de LA28 était mise en suspens." Dans le même temps, et après avoir rappelé que l'IBA n'était plus reconnue, le CIO a tenu à préciser qu'elle ne reconnaissait aucun "autre organe dirigeant pour la boxe olympique".
World Boxing, un rêve américain au secours de la boxe olympique ?
"Nous voulons la boxe au programme. Nous n'avons aucun problème avec la boxe ni les boxeurs, juste un énorme problème avec son instance dirigeante", avait précisé son président Thomas Bach. Des annonces qui, par ailleurs, font écho aux intentions d'un nouvel acteur dans le milieu, la toute jeune fédération internationale World Boxing. Créée en avril 2023 par plusieurs fédérations occidentales, et déjà rejointe par celles de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis, World Boxing a organisé ce week-end à Francfort son premier congrès officiel, qui a permis d'élire son président, le Néerlandais Boris van der Vorst.
"La décision du CIO et les commentaires du président signifient clairement que l'IBA n'organisera plus jamais de tournoi de boxe aux JO et qu'une nouvelle fédération internationale (...) sera inévitablement requise", avait réagi World Boxing dans un communiqué. "Toutes les fédérations nationales de boxe ont désormais une décision cruciale à prendre si elles veulent que leurs boxeurs combattent aux JO de Los Angeles, et au-delà", a ajouté l'instance, se plaçant en clair candidat à la reconnaissance olympique.
Le CIO attend désormais de voir si cette nouvelle instance parvient à rassembler suffisamment de pays [26 des 27 pays membres étaient présents au congrès en Allemagne] pour remplacer l'IBA, et s'imposer comme le futur gestionnaire de la boxe olympique. Pour le moment, la France est notamment toujours membre de l'IBA. Jusqu'ici, rien n'a été acté en ce qui concerne la reconnaissance par le CIO de cette nouvelle fédération internationale.
La route est encore longue tant l'influence de l'IBA, et particulièrement de son président Umar Kremlev, est importante dans le milieu de la boxe amateur. L'exode annoncé vers World Boxing se confirmera-t-il ? Une chose est sûre, la situation actuelle accentue un peu plus les doutes quant à l'avenir de la boxe aux Jeux olympiques.
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