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Souleymane Cissokho : "Alors même que j'ai des sponsors, je vis sur mes économies, alors que dire de ceux qui n'ont ni sponsors, ni combat"

Privé de ring depuis mi-mars en raison de la pandémie du coronavirus, le boxeur Souleymane Cissokho, médaillé de bronze olympique aux JO de Rio en 2016, se confie sur ses difficultés financières. Il souhaite aussi militer pour un statut du boxeur professionnel, qui n'existe pas aujourd'hui.
Article rédigé par Apolline Merle
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 5min
  (JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP)

Quelles sont les conséquences pour vous de l'arrêt des compétitions ainsi qu'une reprise des sports de combat qui n'a toujours pas été annoncée ?
Souleymane Cissokho : "La situation est très compliquée car les boxeurs professionnels ne sont payés que lorsqu'ils boxent, c'est-à-dire qu'ils payés au combat. Ils n'ont pas de revenu. Et depuis plusieurs mois, il n'y plus de combat. La situation devient d'autant plus compliquée que cela va faire un certain temps qu'aucune organisation n'a eu lieu ou même un gala. Mon dernier combat remonte à septembre et je ne sais pas quand les compétitions vont pouvoir reprendre. Pour ma part, étant médaillé olympique, j'ai de grosse ambition, comme celle du titre mondial, et pour cela j'ai besoin de boxer pour m'améliorer, gagner en expérience, et cela s'acquiert en combattant. 

J'avais un combat de prévu en décembre lors des championnats du monde mais je n'ai pas combattu car j'étais blessé à la main. Le 17 avril, j'avais un combat à Washington, qui a été annulé en raison du coronavirus. Le 20 juin, j'en avais un autre, en Angleterre qui a, lui aussi, été annulé pour les mêmes raisons. Normalement, je fais trois ou quatre combats par an, et aujourd'hui, j'en ai déjà trois sur quatre qui ont été annulés. J'espère en avoir au moins un cette année."

Vous militez pour que les boxeurs qui puissent bénéficier d'un statut. C'est un cri d'alerte pour la profession ? 
SC :
"Oui. Pour ma part, je fais partie des boxeurs qui arrivent à s'en sortir le mieux car j'ai des sponsors. Mais ce cri d'alerte, il est pour ceux qui galèrent. Je me mets en position de capitaine. J'étais le capitaine de l'équipe de France olympique à Rio et aujourd'hui, beaucoup de boxeurs m'appellent et me confient leur situation très difficile. C'est pour cela que j'ai voulu mettre en lumière leur situation. Alors même que j'ai des sponsors qui me soutiennent, je vis sur mes économies, alors que dire de ceux qui n'ont ni sponsors, ni combat."

Quelle est la situation des boxeurs en France aujourd'hui ?
SC : "Si tu ne fais pas de combat, tu ne gagnes rien. Si tu as un boulot à côté, tu peux t'en sortir. Mais ceux qui ont tout sacrifié pour le sport, ils se retrouvent sans rien dans des situations comme nous vivons aujourd'hui. Certains boxeurs prennent aussi en charge les camps d'entraînement, qui coûtent cher car il faut parfois aller à l'étranger, prendre des sparring-partners qui ont le profil de ton futur adversaire ainsi qu'un préparateur physique. En équipe olympique, c'est différent, tout est pris en charge et c'est à toi de composer ton propre staff. 

"Aujourd'hui, les boxeurs amateurs, en équipe de France, les boxeurs olympiques, sont mieux lotis que les boxeurs professionnels, même ceux qui sont champions de France"


Par exemple, le Français Nordine Oubaali, qui est champion du monde, n'est pas forcément considéré comme sportif de haut niveau, alors même qu'il détient la ceinture WBC, qui est l'une des plus grosses ceintures mondiales. Je pense donc qu'il y a un gros travail à faire sur ce statut du boxeur professionnel. Aujourd'hui, les boxeurs amateurs, en équipe de France, les boxeurs olympiques, sont mieux lotis que les boxeurs professionnels, même ceux qui sont champions de France. Seuls 5% des boxeurs français vivent de la boxe. C'est fou ! Dans de nombreux pays, les boxeurs vivent de notre sport parce que le modèle économique est plus propice qu'en France. Par exemple, aux Etats-Unis, les journeymen, ce sont des boxeurs qu'on appelle à la dernière minute pour un combat. Et bien, même ces gens-là vivent de la boxe. Aujourd'hui, en France, dire qu'on vit de la boxe, c'est très compliqué."

Qu'aimeriez-vous comme changement, comme reconnaissance, par ce statut ?
SC :
 "Avant toute chose, je ne pointe pas du doigt la Fédération. Je suis d'ailleurs en lien avec elle. Mais il faut que l'on réfléchisse ensemble à mettre en place un système, avec une redistribution. Que ceux qui s'en sortent le mieux reversent une partie de leurs gains pour aider ceux qui ont des difficultés à vivre de la boxe. On pourrait prendre aussi un petit pourcentage sur chaque licence. 

Quand je parle de statut, je pense aussi à la reconnaissance du sportif comme un athlète de haut niveau, et que l'on définisse à partir de quel niveau, ou de quel titre en particulier. Mais il faut être plus clair qu'aujourd'hui. Il pourrait aussi avoir une petite prime de versée qu'on est dans le top 20 par exemple. Un statut permettrait d'avoir, pour les boxeurs, une sécurité, qui dans une situation comme nous vivons aujourd'hui, aurait été utile.

Cette crise a mis en lumière toutes les difficultés que rencontrent des boxeurs, et même au-delà de la boxe. Plusieurs sports olympiques sont touchés, comme les escrimeurs, qui sont eux aussi en difficulté. A mon niveau et seul, je suis trop petit pour faire bouger les choses. Mais je suis prêt à m'investir humainement et financièrement." 

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