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Ça s'est passé un 2 avril 1995 : la fin d'une grève record du baseball américain

Le 2 avril 1995, le baseball américain s’apprêtait à enfin reprendre ses droits. Après 232 jours de grève, joueurs et propriétaires de clubs trouvaient enfin une porte de sortie à ce conflit social hors norme dans le monde du sport. Récit d’une grève presque comme les autres.
Article rédigé par Adrien Hémard Dohain
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 6min
  (CHRIS WILKINS / AFP)

Quand on pense "grève" dans le sport, on pense au pathétique épisode du bus de l’équipe de France à Knysna en 2010, à celles des cyclistes des Tours de France 1948, 1966, 1978 ou 1998, ou bien encore à la protestation des joueurs du Stade français en mars 2017, face au projet de fusion avec le Racing Metro. Pourtant, en matière de grève sportive, ce sont bien les Américains qui, comme souvent, ont vu plus grand. Si la culture de la grève est moins présente dans la société américaine qu’en France, elle l’est bien plus dans le sport. Ainsi, à lui seul, le baseball en a connues huit ! La plus emblématique d’entre elles se terminait il y a tout juste vingt-cinq ans, après 232 jours de conflit.

Propriétaires de tout le pays, unissez-vous

Comme toute bonne grève, celle des joueurs de baseball des Ligues majeures américaine en 1994 trouve son origine dans une convention collective. Arrivée à échéance le 31 décembre 1993, celle qui liait l’Association des joueurs (MLBPA) aux Ligues majeures devait être renouvelée. Problème : à l’époque, le baseball traverse une crise financière. Pour en sortir, les propriétaires des clubs profitent de ce renouvellement de convention collective pour demander un partage des droits TV et surtout l’instauration d’un plafond salarial pour les joueurs. Son but : permettre une meilleure santé financière aux équipes les plus modestes.

Après des mois de négociations tendues, la grève, annoncée dès le 26 juillet, éclate le 12 août 1994. Au Téléjournal de Radio Canada, le présentateur André Bédard résume la situation : “Les propriétaires prétendent que le baseball majeur est au bord du gouffre et doit réformer son économie en profondeur en passant par l’instauration d’un plafond salarial. Une réforme à laquelle s’oppose l’association des joueurs, qui estime que le baseball est un sport en parfaite santé". Les dés sont lancés, la partie peut commencer. 

La drôle de grève

Très vite, la question de l’avenir de la saison se pose. La date limite fixée par les Ligues pour « sauver » la fin du championnat est établie au 9 septembre. D’ailleurs, de part et d’autres, on pense que le conflit sera court. Personne n’imagine ce qui va suivre. "Les joueurs étaient sûrs que la grève serait d’une courte durée, personne n’envisageait que la Série mondiale soit annulée”, se souvenait Rodger Brulotte en 2012, dans le Journal de Montreal.

Le 31 août, la confiance s’effrite après une négociation de plus de trois heures, en présence de médiateurs, qui n’aboutie à aucun progrès. La situation se fige, la guerre de position commence. 

Le 14 septembre 1994, après 34 jours de grève, le couperet tombe : la saison est annulée. Pour la première fois depuis 1904, les Séries mondiales n’auront pas lieu. Même les deux guerres mondiales n’avaient pas entraîné pareille annulation. Quant à celle de 1904, elle était due à l’orgueil des Giants de New York, qui refusaient d’affronter les Pilgrims de Boston, parce qu’ils les considéraient "inférieurs". 

Cet électrochoc ne fait pas évoluer le conflit, qui s’enlise. En décembre 1994, le négociateur des propriétaires de club, Richard Révitch, jette l’éponge. Quelques jours plus tard, les clubs décident d’appliquer leur plan de plafond salarial sans l’accord des joueurs. En réponse, ces derniers menacent début janvier de casser leurs contrats. A travers ses épisodes, et d’autres, la tension continue de monter. A tel point que le 26 janvier, le président des Etats-Unis, Bill Clinton, ordonne aux joueurs et propriétaires de trouver un accord au plus tard le 6 février. 

Armistice et victimes collatérales

L’intervention présidentielle entraîne l’annulation de l’application unilatérale du plafond salarial par les clubs, mais n’aboutie pas à un accord. Il faut attendre le 2 avril 1995 pour voir les propriétaires de club renoncer au plafond salarial, après 232 jours de grève. C’est une décision de justice qui clôt les débats, après une injonction lancée par l’Association des joueurs. Ces derniers ont gagné la bataille, mais perdu 350 millions de dollars en salaires sur la période. Les clubs, eux, auraient subit des pertes presque deux fois plus élevées. D’un point de vue sportif, plus de 940 matches ont été annulés, sans parler de l’absence de titre en 1994.

Un titre auquel pouvaient prétendre les Expos de Montréal. L’équipe canadienne réalisait alors sa meilleure saison, et restait sur 20 victoires en 23 matches avant le début de la grève. Déjà en difficulté financière, la franchise ne s’en remettra jamais, et quittera même Montréal pour Washington en 2004. A la perte sportive s’ajoute aussi une crise économique et la perte de 1 500 emplois autour du stade olympique. 

Raccourcie, la saison 1995 reprend avec trois semaines de retard, le 25 avril 1995. Dans les stades du pays, l’accueil est glacial pour les joueurs. Un exemple parmi tant d’autres : à Pittsburgh, le match des Pirates contre les Expos est interrompu dix-sept minutes face aux huées de la foule. A Cincinnati, un avion affichant "Propriétaires et joyeux : allez tous au diable" survole le stade. Quant aux audiences TV, elles seront en chute libre toute la saison. Un pari réussi pour les joueurs, selon Rodger Brulotte : "Les joueurs ont gagné sur tous les points et la masse salariale n’a jamais cessé d’augmenter au fil des années. Les propriétaires ont finalement cédé en partageant leurs revenus avec les équipes les moins nanties".

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