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Clémence Calvin : L'heure de vérité

Clémence Calvin et son compagnon Samir Dahmani, comparaissent ce mercredi matin devant la commission des sanctions de l’AFLD (l’Agence Française de Lutte contre le Dopage). L’heure de s’expliquer face aux juges sportifs sur le rocambolesque contrôle anti-dopage du 27 mars dernier à Marrakech a sonné. Chaque partie va pouvoir exposer ses arguments et surtout ses éléments. Les deux athlètes encourent une sanction maximale de 4 ans de suspension. Les membres de la commission vont devoir trancher entre deux versions diamétralement opposées.
Article rédigé par franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
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Enquête - Sur la piste de Clémence Calvin

D’un côté les PV de l’AFLD

On peut penser que l’audience prendra une bonne partie de la matinée tant les arguments de l’AFLD et ceux de Clémence Calvin (actuellement suspendue à titre provisoire, comme S. Dahamani) sont à l’opposé. Il y a d’un côté les deux contrôleurs assermentés - dont l’expérimenté Dr Olivier Grondin - qui, sur procès-verbal attestent  que Clémence Calvin est notifiée qu’elle fait l’objet d’un contrôle inopiné, ce 27 mars 2019 vers 17h, dans une rue du quartier Socoma de Marrakech. Elle vient de récupérer son fils à la garderie toute proche. Clémence Calvin demande alors aux contrôleurs de pouvoir le confier à son père qui s’entraine dans une salle musculation toute proche. Toujours selon les PV des préleveurs, ils l’accompagnent jusqu’au sous-sol de la salle où elle s’entretient brièvement avec son compagnon Samir Dahmani (son entraineur personnel mais également membre de l’équipe de France sur 1500 m). Puis les événements se précipitent.
Après avoir échangé quelques mots en arabe avec son compagnon, elle s’enfuit en courant par l’escalier. C’est alors que Samir Dahmani, empêche le Dr Grondin de la suivre en le ceinturant. Damien Ressiot, directeur des contrôles de l’AFLD qui accompagne les deux contrôleurs, tente à son tour de la suivre mais Samir Dahmani s’interpose encore. Quand les représentants de l’AFLD sortent enfin de la salle, le Dr Grondin part en courant pour rattraper Clémence Calvin. Pendant qu’il la poursuit il lui parle pour tenter de la convaincre de se soumettre au contrôle. Elle court alors à allure modérée puis d’un coup, accélère et disparait. Voici, en résumé, la version, telle que va la présenter l’AFLD. Celle-ci va produire quelques photos et vidéos prises dans la rue. Voit-on l’athlète s’enfuir ? Difficile à confirmer car les débats auront lieu à huis clos.

De l’autre les déclarations de Clémence Calvin et des SMS

Ce n’est pas du tout la même histoire que présente Clémence Calvin depuis le début. Elle n’est d’accord avec l’AFLD que sur deux points : l’heure et le lieu, vers 17h dans cette même rue du quartier de Socoma. Pour le reste tout diverge. Selon la version présentée jusque-là par la vice-championne d’Europe 2018 du marathon, elle est interpellée par trois personnes dans la rue qui se présentent ainsi : « Police française, il est où Dahmani ?». Elle prend peur. L’un d’entre eux, qu’elle désignera ensuite comme Damien Ressiot, la prend par le bras et provoque la chute de son enfant qui se blesse et pleure. Sur ces entrefaites, Samir Dahmani sort de la salle de sport. S’en suit une altercation avec le groupe de prétendus policiers. C’est le moment que choisi Clémence Calvin pour s’éclipser avec son fils, dans le but de le protéger car elle a cru un moment à un « enlèvement » selon ses propres mots.
Toujours selon la version de l’athlète, ces personnes auraient ensuite fait du porte à porte dans le quartier, toujours en se faisant passer pour des policiers français. Pour appuyer sa version, la défense de Clémence Calvin, dirigée par Me Arnaud Péricard, pourrait produire des témoignages d’habitants du quartier ainsi que des SMS, que Damien Ressiot aurait envoyé à l’hébergeur de Clémence Calvin, un certain Janah Boubker. Dans ces messages, il incite Boubker à collaborer avec l’AFLD mais Clémence Calvin, elle, prétend qu’il a fait pression sur ce témoin potentiel. Elle a affirmé avoir déposé plainte à Marrakech, sans pour autant jusque-là qu’on connaisse les suites de cette plainte.

Des incohérences passées à la loupe de la commission

La commission des sanctions, organe souverain et indépendant, est composée d’une dizaine de personnes, dont des magistrats du Conseil d’État et de la Cour de Cassation, des médecins, des pharmaciens et des représentants du monde sportif, dont l’ancienne gymnaste championne d’Europe Isabelle Sévérino. Ils vont étudier chaque élément présenté mais certainement questionner les incohérences apparentes dans la version Calvin. Nous lui avons demandé lors de sa conférence de presse début avril, pourquoi, alors qu’elle disait se sentir menacée, elle n’avait alerté personne, ni le consulat, ni la fédération. De même, elle reconnaissait que, le soir même du contrôle, elle était allée au restaurant en famille puis avait repris son entraînement le lendemain, comme prévu. Nous n’avons jamais obtenu de réponse à cette question.
Les membres de la commission des sanctions vont sans aucun doute lui demander aussi pourquoi elle a changé plus de vingt fois de localisation durant son séjour au Maroc, en fournissant au moins une fois à Ouarzazate, une adresse qui n’existe pas.

CC a-t-elle rempli elle-même ses localisations ?

Nul doute que les membres de la commission vont aborder le sujet. Car si le contrôle sanguin n’a pu être effectué, un no-show, c’est à dire un défaut de localisation a bien été constaté à Marrakech ce jour-là.  Enfin les membres de la commission des sanctions chercheront sans doute à sonder Clémence Calvin et son compagnon-entraîneur Samir Dahmani sur la cohérence entre un périple au Maroc avec plus de vingt localisations –signifiant un déménagement quasi quotidien avec un enfant en bas âge - et la préparation d’un marathon de Paris où elle a battu le record de France en moins de 2H23’41’’. Marathon qu’elle avait pu courir après un recours en référé express gagné devant le Conseil d’État. Peut-être les membres de la commission chercheront-ils aussi à savoir qui a réellement rempli les localisations de la jeune femme sur le logiciel ADAMS (où les athlètes de haut-niveau ont obligation quotidienne de déclarer leur lieu de résidence).
Selon nos informations, l’adresse IP de connexion qui a servi à renseigner le logiciel, serait localisée en France et non au Maroc. Enfin, les membres de la commission seront sans doute très attentifs aux arguments accusatoires que pourrait présenter la défense Calvin-Dahmani à l’encontre de Damien Ressiot. En effet, Clémence Calvin a présenté le Directeur des contrôles de l’AFLD comme son « agresseur », pointant sur RTL « sa structure psychique ». Ils lui demanderont sans doute des éléments factuels pour étayer ses accusations. Damien Ressiot a déposé plainte suite à ces propos.

Sanctions et recours possibles

La faute générique retenue contre Clémence Clavin et Samir Dahmani, en vertu du code mondial anti-dopage est "falsification de contrôle", ce qui inclut les faits de soustraction, d’opposition à un contrôle et de faux témoignages. Quatre ans, c’est la peine maximale encourue par les deux athlètes car il s’agit de leur première comparution. C’est également la peine la plus lourde prévue dans le code. Ils disposent en cas de sanction de la possibilité d’introduire un recours auprès du Conseil d’État, compétent en la matière et non du TAS (tribunal Arbitral du Sport), car ils ne font pas partie des listes d’athlètes sous le contrôle de l’IAAF. La commission des sanctions va sans doute mettre sa décision en délibéré et la rendre dans un délai de deux à trois semaines.

Quoiqu’il arrive désormais, cette « Affaire Calvin » marque un tournant dans l’histoire de l’athlétisme français et a sonné le début des ennuis de la Fédération Française. Depuis, des questions planent sur Morhad Amdouni (champion d’Europe du 10 000m) suite à des reportages que nous avons diffusés en commun avec la chaîne publique allemande ARD. Ce mardi, c’est une nouvelle suspicion de dopage qui a éclaté, mettant en cause Ophélie-Claude Boxberger. Il s'agit de la coureuse de 3000m steeple, dont nous avons révélé ce mardi sur Twitter son contrôle positif à l’EPO. Ce sont au moins trois enquêtes préliminaires des parquets de Paris et Marseille et confiées aux gendarmes de l’OCLAESP (Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique), qui sont ouvertes simultanément et qui concernent des athlètes français. Rien n’indique que cela s’arrêtera là, car selon la formule bien connue qu’utilisait le défunt président Jacques Chirac « les em…, ça vole en escadrille ». Et le petit milieu de l’athlétisme  français bruisse déjà d’autres rumeurs qui pourraient prochainement se concrétiser.

Thierry Vildary                 
Twitter : @thierryvildary                                                            

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