Comment le football tel qu'on le connaît pourrait être impacté par le projet de Super Ligue européenne ?
Imaginez une Ligue 1 sans Neymar, Kylian Mbappé, Ángel Di María, Marquinhos… Bref, un championnat de France privé des stars du Paris Saint-Germain. Voilà à quoi pourrait ressembler la Ligue 1 si le PSG venait à rejoindre la Super Ligue européenne, projet mené par les clubs les plus riches d’Europe qui serait sur le point de se concrétiser selon les informations dévoilées la semaine dernière par Sky Sports.
En continuant à participer à la Ligue 1, en plus de cette nouvelle compétition à plus de 30 matches par saison, le PSG n’aurait pas d’autre choix que de bâtir deux effectifs : une équipe composée de stars pour cette Super Ligue européenne, et une équipe A’ pour la Ligue 1. Voilà l’une des premières conséquences très concrètes du projet mené par plusieurs présidents de grands clubs qui souhaiteraient que cette compétition, potentiellement chapeautée par la FIFA selon Sky Sports, débute dès 2022.
Une stabilité financière rare dans le monde du football
Bien évidemment, l’enjeu est principalement financier. "Les investisseurs expriment des difficultés à investir dans le sport professionnel à cause de l’aléa sportif. Une mauvaise saison sportive fait qu’on ne joue pas les compétitions européennes, donc il y a des risques très importants. La Super Ligue fermée permet aux investisseurs d’avoir ce qu’ils veulent sur le temps long", explique Jean-François Brocard, économiste du sport au Centre de droit et d’économie du sport (CDES), qui a mené pendant deux ans une étude sur l’avènement d’une ligue fermée.
Une stabilité financière rare dans le monde du sport, garantie pour 11 des 18 clubs de la Super Ligue qui verraient leur place réservée sur plusieurs saisons. Forcément, les critiques pleuvent face à ce fonctionnement qui détache le sport de la gratification liée aux résultats. Aleksandr Ceferin, président de l’UEFA, a à plusieurs reprises parlé d’un plan "insensé", tandis que Gary Neville, désormais consultant à la télévision britannique, a expliqué que cette idée était une "nouvelle plaie" pour le football.
Pourtant, selon de nombreux observateurs, cette compétition verra bel et bien le jour à terme. "Tant que les patrons de clubs voudront gagner de l’argent, ou valoriser leur club, c’est sûr qu’il y aura des risques parce que les compétitions ouvertes ne sont pas faites pour ce genre de stratégie", souligne Jean-François Brocard. Concrètement, cette Super Ligue et ses 18 clubs viendraient concurrencer la Ligue des champions. "L’intérêt pour les très grands clubs est de resserrer les rangs, et la C1 pourrait devenir une sorte de Ligue Europa renforcée", explique Raffaele Poli, responsable de l’Observatoire du football du Centre international d’étude du sport (CIES).
Les droits TV des championnats nationaux en baisse ?
Une fois la Ligue des champions reléguée au second rang, l’UEFA risquerait un fort appauvrissement car la C1 est la compétition qui lui rapporte le plus d'argent. Et les plus petites fédérations nationales, qui dépendent grandement des subventions de l’instance, paieraient les pots cassés. Les cinq grands championnats (Allemagne, Angleterre, Espagne, France, Italie) qui fourniraient la majorité des 18 clubs engagés en Super Ligue, pourraient également pâtir de la création de cette compétition. Déjà en proie à des difficultés avec son diffuseur actuel, la Ligue de football professionnel (LFP) risquerait de voir les montants des droits TV chuter.
"Si le PSG ne joue plus avec ses stars en Ligue 1, les droits TV vont forcément baisser", souligne Raffaele Poli avant de poursuivre : "Mais cela pourrait être mis dans la balance afin de demander plus de solidarité." Si la Super Ligue venait à voir le jour, les négociations seraient en effet intenses entre les clubs souhaitant y participer, les fédérations nationales et la FIFA. "La FIFA, qui organiserait la compétition, pourrait demander plus de garanties sur la mise à disposition de joueurs pour les sélections. Et avec les fédérations, demander plus de solidarité pour un partage du gâteau avec les clubs exclus de cette compétition", explique le responsable au CIES.
Toujours plus affamés, les grands clubs seront difficiles à convaincre, d’autant plus qu’ils apparaissent en position de force. Si le PSG affirmait son intention de participer à la Super Ligue, la LFP n’aurait pas les moyens de l’en empêcher. En tout cas, plus en 2020. Car les dernières décisions de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) interdisent notamment aux fédérations d’exclure un de leurs membres au motif qu'il souhaiterait participer à une compétition privée. Une pratique jugée anticoncurrentielle par la CJUE, comme le précise Thierry Granturco, avocat spécialisé dans le sport : "Ces jurisprudences de la CJUE sont passées hors des radars parce qu’elles concernaient des sports mineurs comme le patinage et l’équitation, mais elles sont déterminantes dans ce qu’il se passe actuellement".
"Un rééquilibre dans les championnats nationaux"
"Les clubs de football ont regardé ça de près et c’est pour cela que les négociations se sont accélérées et vont continuer à s’accélérer", souligne l’avocat. Libéré de ce poids juridique, les clubs intéressés par le projet de Super Ligue peuvent donc passer la seconde pour espérer empocher le pactole. Et si le PSG décidait de lâcher la Ligue 1 en y alignant une équipe A’, "cela pourrait permettre un rééquilibrage dans les championnats nationaux", assure Raffaele Poli. Le club de la capitale, concentré sur la Super Ligue, pourrait laisser la place à de nouveaux champions de France.
Obnubilés par la manne financière qui se présente face à eux, avec des affiches de haute volée tels que des Bayern Munich-Real Madrid chaque semaine, les cadors du football européen pourraient donc sauter le pas sous l’égide de la FIFA. Exit les stars du PSG en Ligue 1, celles-ci se concentreraient sur la toute nouvelle et éclatante Super Ligue européenne. Et si les clubs exclus de ce projet en pâtiront, d’autres auxquels personne ne pense pourraient également faire les frais de cette nouvelle compétition : les supporters. À défaut de pouvoir voyager à travers l’Europe pour suivre leur équipe, ils pourront peut-être se consoler en sachant que leur club pourrait être amené à jouer deux fois dans la même journée. Une fois en Ligue 1, et une fois en Super Ligue.
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