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Corée du Nord - Corée du Sud : le sport au service de la diplomatie

Peu importe la discipline, un match entre les deux Corées n’est jamais anodin. La rencontre de football de ce mardi 15 octobre, le sera encore moins. En effet, c’est seulement la deuxième fois que le Sud affronte le Nord à Pyongyang. Habituellement, c’est en Chine que les Nord-coréens « reçoivent » leurs voisins sudistes. Ce match des éliminatoires pour le Mondial 2022 s’inscrit dans une stratégie politique : celle d’illustrer par le sport un rapprochement entre deux pays officiellement toujours en guerre.
Article rédigé par Adrien Hémard Dohain
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 4 min
 

Mercredi 17 juillet 2019, Kuala Lumpur, Indonésie. Le tirage au sort des éliminatoires asiatiques pour la Coupe du Monde largue deux bombes diplomatiques : l’Iran et l’Irak s’affronteront dans le groupe C, la Corée du Nord et la Corée du Sud dans le groupe H. Dans la foulée, Paulo Bento, sélectionneur sud-coréen, désamorce aussitôt une situation sensible : "Pour nous, ce n’est rien de spécial. C'est du sport et l'objectif est de nous qualifier". Mais que le technicien portugais le veuille ou non, ce match dépasse de loin le rectangle vert. D’autant plus lorsque la Corée du Nord annonce qu’il se déroulera sur celui du stade Kim Il Sung, à Pyongyang, ce qui n’est arrivé qu’une fois en 1990, pour un match amical. Comme souvent, la guerre de 1950-53 refait surface.

Un outil diplomatique et politique

"Dans la péninsule coréenne, le sport est d’abord un outil diplomatique et politique" confirme Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique et spécialiste des deux Corées. Il poursuit : "Le sport est utilisé pour mettre en scène, illustrer un éventuel rapprochement des deux Corées, mais ce n’est pas le sport qui rapproche les deux états". Ainsi, ce match tombe à pic alors que les relations entre les deux états sont au point mort, après un réchauffement en 2018. "Il n’y a eu aucune avancée depuis des mois, donc ça peut être un moyen de donner l’impression qu’il se passe des choses alors que sur le fond, il ne se passe rien", développe Antoine Bondaz.

Le sport est utilisé pour mettre en scène, illustrer un éventuel rapprochement des deux Corées

Sur le terrain en revanche, il se passera certainement des choses entre les deux leaders ex-aequo - et favoris - du groupe H, dans la course au Mondial 2022. De l’enjeu donc, d’autant qu’aux yeux du régime nord-coréen, le football est devenu capital. Depuis l’arrivée au pouvoir de Kim Jong Un en 2011, la pratique sportive a en effet été érigée comme priorité nationale, le football en tête. "Cela permet de divertir les gens et de donner l’image d’un leader jeune qui s’intéresse au bien être de la population", détaille le chercheur. "A cela s’ajoute une couche diplomatique puisque cela fait exister, voire briller, la Corée du Nord à l’international. Pour le régime, le sport a donc une utilité en politique intérieure et extérieure".

« Un 8-0 serait perçu comme un message politique »

Côté sud-coréen, ce déplacement rarissime à Pyongyang est un défi autant sportif que logistique. "Comme tout étranger, il leur faut une autorisation de la Corée du Nord. Mais, à la différence d’autres pays, la Corée du Sud interdit à ses ressortissants d’entrer en Corée du Nord et donc les joueurs sud-coréens doivent aussi obtenir cette autorisation", explique Antoine Bondaz. Le match ayant lieu au stade Kim Il Sung, en plein centre-ville, les Sud-coréens évolueront dans un environnement étroitement surveillé, avec un agenda très structuré, pré-établi.

Officiellement, c’est un match normal, pas truqué. Mais la Corée du Sud fera en sorte de ne pas humilier le Nord.

Favoris sur le plan sportif, les coéquipiers de Son Heung-min (Tottenham) devront s’extirper de ce contexte pesant pour s’échapper en tête du groupe H - ils devancent pour l’instant leurs voisins du Nord à la différence de buts -. Pour autant selon Antoine Bondaz, il ne faut pas s’attendre à une démonstration de force comme Pyongyang en voit souvent : "Généralement dans ce genre de match très politique, on s’assure que la différence de points soit faible. Officiellement, c’est un match normal, pas truqué. Mais la Corée du Sud fera en sorte de ne pas humilier le Nord parce que s’ils leur mettent un 8 à 0, ça sera perçu comme un message politique".

Equipes réunifiées et candidature olympique commune

Plus généralement, cette rencontre à enjeux intervient alors que de plus en plus de disciplines présentent des équipes coréennes réunifiées. Après celle de hockey sur glace féminin aux Jeux Olympiques de Pyeongchang en 2018, le basketball féminin et le handball masculin ont suivi, tandis qu’en tennis de table, une fusion a eu lieu en pleine compétition alors que les deux équipes devaient s’affronter en quarts de finale des mondiaux de mai 2018. De là à voir un jour une équipe de football de Corée réunifiée ? "C’est tout à fait possible. Mais pour être très honnête, il n’y aura pas d’équipe réunifiée dans un sport où l’équipe de Corée du Sud peut gagner une médaille d’elle-même", prévient Antoine Bondaz. Il précise : "En revanche, que pour des raisons politiques on sacrifie une équipe, ça irrite les Sud-coréens. A leurs yeux, il ne faut pas que la politique entrave le sportif".

"Cette candidature olympique, c’est irréaliste, utopique, pour un tas de raisons. C’est clairement un coup politique de la part de la Corée du Sud.

Depuis plusieurs mois, une étape supplémentaire a même été franchie avec à l'étude, la candidature commune Séoul/Pyongyang pour accueillir les Jeux Olympiques de 2032. "Soyons clairs : le Comité international Olympique a été utilisé par le Nord et le Sud pour mettre en scène un rapprochement diplomatique", relativise Antoine Bondaz, avant de clarifier : "Cette candidature olympique, c’est irréaliste, utopique, pour un tas de raisons. C’est clairement un coup politique de la part de la Corée du Sud. D’ailleurs, les Nord-coréens sont bien moins engagés". Réel ou pas, ce rêve olympique n’a finalement pour but que de prolonger l’illusion d’un rapprochement entre les deux Corées, que les deux régimes entretiennent grâce au sport. Un but bien différent de ceux que viseront les joueurs Sud et Nord-coréens dès 10h30 ce mardi, au stade Kim Il Sung de Pyongyang.

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