Coronavirus - Carnet de bord : Emeline Gros, de la troisième à la première ligne face au virus
Elle aurait dû jouer avec le XV de France lors du Tournoi des VI Nations. Mais une actualité inédite a bousculé les plans d’Emeline Gros, troisième ligne du FC Grenoble Amazones. La crise du Covid-19, puis le confinement du pays, a obligé Emeline à remplacer son maillot bleu par la blouse blanche. Infirmière depuis juillet 2019, la grenobloise de 24 ans travaille depuis septembre dans l’Ehpad Les Ecrins à Vizille (Isère). Mais avec le confinement, le quotidien d’Emeline au sein de l'Ehpad a changé. Auparavant, son planning était arrangé pour concilier son métier d’infirmière et ses entraînements et matches de rugby. A présent, elle y travaille à temps plein.
Dans son établissement, 120 résidents sont confinés depuis mi-mars, comme partout en France. Mais avec une différence de taille. Alors que le Covid-19 a déjà fait plus de 5000 morts dans les Ehpad (Etablissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes), aucun cas n’a été recensé aux Ecrins. “Comme nous n’avons pas de cas Covid, nous sommes moins dotés en matériel sanitaire. Nous avons quand même des masques, et un peu de matériel au cas où on aurait un cas. Les directrices arrivent très bien à gérer le stock et essaient de nous dénicher du matériel pour nous soulager”, explique Emeline Gros.
“On se doit d’être encore plus vigilants”
Au-delà du matériel et des gestes barrières, le personnel de l’Ehpad a dû s’adapter à la situation sociale et être d’autant plus présent avec les résidents, privés de leur famille depuis un mois maintenant. “Les résidents sont confinés en chambre et ne reçoivent plus de visites de leurs proches. Nous devons donc être encore plus à l’écoute des résidents, dont certains sont en perte de repères. On se doit d’être encore plus vigilants”, explique la jeune infirmière originaire de Savoie.
Mais compenser l’absence d’un proche n’est pas évident. “On aura beau être présent, on sait qu’on n'aura pas le même impact que la famille. Moralement c’est dur de voir les résidents qui souffrent de ce confinement”, confie Emeline. Alors pour leur remonter le moral, Emeline partage sa passion du rugby avec certains résidents amateurs du ballon ovale, et qui suivent ses exploits dans le journal. Certains l’attendaient même à la télévision pour le Tournoi des 6 Nations auquel la jeune femme devait participer.
Une crainte, contaminer les résidents
Emeline doit aussi rassurer au quotidien les familles des résidents et leur donner des nouvelles de leur proche. Un travail supplémentaire mais essentiel. Un week-end où elle était de permanence, Emeline a reçu un appel d’une fille d’un des résidents. Un coup de fil qui a surpris la jeune femme. “Elle appelait pour prendre des nouvelles de son père bien sûr, mais surtout pour nous demander comment nous, le personnel soignant, on allait, comment on vivait les choses, si on était bien soutenu. Elle était vraiment bienveillante auprès de l'équipe soignante. Ça fait chaud au cœur de voir qu'on est autant soutenu.”
Mais face à ce quotidien si particulier, Emeline a une vraie crainte, celle d’amener le Covid-19 au sein de l'Ehpad. “Si l'un des résidents contracte le virus, on sait que c’est nous, le personnel soignant, qui l’avons véhiculé. Et si un résident est touché, on sait qu’il y a aura une vague derrière, souligne-t-elle. On cogite beaucoup, mais on essaie de ne pas se focaliser là-dessus et de ne pas s'ajouter du stress supplémentaire.”
Limiter les sorties au strict minimum
Pour éviter le risque d’être contaminée, l’athlète de haut niveau explique ne prendre aucun risque, et limiter ses sorties au strict minimum, pour se protéger elle et les résidents. “Le préparateur du club nous a donné un programme à suivre. On garde nos quatre entraînements hebdomadaires, mais à la maison. On travaille avec le poids du corps ou avec du petit matériel comme des élastiques, des poids lestés ou des haltères. Je ne prends pas le risque d’aller courir en extérieur.” Le préparateur physique du club a aussi mis en place un groupe Skype pour faire des entraînements collectifs en visio et remotiver les troupes. “Le sport permet aussi une échappatoire. C’est une autre forme de fatigue, une fatigue saine, qui nous permet de nous relâcher et de penser à autre chose”, indique la troisième ligne.
Pour Emeline, face à l’épidémie, l’essentiel est de se concentrer sur la santé, le sport étant au second plan. Mais ce rythme au sein de l’Ehpad n’est pas toujours facile à tenir. “J’ai parfois des journées qui sont compliquées car je suis sur deux rythmes, soit en journée de 12 heures, soit en 7 heures. Mes journées sont bien remplies et certains jours, je suis tellement fatiguée que je ne prends pas la peine de faire du sport”, confie l’infirmière de 24 ans.
“C'est dans ce genre de situation qu'on se rend compte qu'un sport collectif nous colle à la peau”
Et la Grenobloise l’avoue, après un mois de confinement, ce qui lui manque le plus, c’est l’ambiance du collectif. “Je suis une personne très active, j'ai toujours la bougeotte. Ne pas aller courir dehors, s'entraîner avec les copines, cela me manque beaucoup. Et faire les séances à la maison, c'est bien mais ce n’est pas pareil. C'est dans ce genre de situation qu'on se rend compte qu'un sport collectif nous colle à la peau”, affirme-t-elle.
Des temps de répit pour souffler
En plus du maintien de l’endurance physique, Emeline Gros essaie de garder une hygiène de vie exemplaire. Car pendant le confinement, les athlètes ne dépensent pas la même énergie que d’ordinaire. “Même si je ne suis pas à cheval sur mon alimentation, je fais attention pour éviter de prendre du poids et être en difficulté sur les terrains au moment de la reprise. Mais il y a des jours où je ne fais pas du tout attention, ça joue beaucoup sur le moral”, justifie la jeune femme, qui s’est d’ailleurs mis à la cuisine pendant le confinement. Dernier essai culinaire en date, les tagliatelles aux courgettes et aux crevettes. Essai concluant, se félicite la joueuse professionnelle.
Pour occuper ses temps de repos, la grenobloise s’est aussi remise à la lecture, un passe-temps qu’elle adorait étant plus jeune. “Avec le travail et le rugby, j’avais perdu ce goût de la lecture. Avec le confinement, j’ai retrouvé le temps et ce plaisir”, raconte la jeune femme, en pleine lecture du Syndrome du bocal, de Claude Pinot. Des petits moments de répit qui permettent à Emeline Gros de recharger les batteries pour poursuivre son engagement auprès de ses résidents. Et il faut tenir. En Isère, l’épidémie recule et les “Ephad sont moins touchés qu’ailleurs, la courbe est rassurante”.
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